De nombreux humoristes convergent vers les réseaux sociaux pour continuer de faire rire en ces temps de distanciation sociale. Avec des spectacles gratuits sur le web, des directs sur Instagram, des gags sur le coronavirus (mais pas seulement) sur Facebook… Tous les moyens (virtuels) sont bons. Leur but est simple : garder le contact avec le public, le distraire, rester créatif, mais aussi communier pendant cette déroutante période d’isolement.

« La quarantaine se poursuit. On se refait un live ce soir ! J’ai tellement eu de fun hier ! » Christine Morency a lancé cet appel mercredi sur son compte Facebook. Ils sont nombreux, ces jours-ci, dans le milieu de l’humour, à convier leurs abonnés à des rassemblements virtuels.

Mehdi Bousaidan, Maude Landry, Louis-José Houde, Arnaud Soly, Pierre-Yves Roy-Desmarais, Sugar Sammy, Yannick de Martino… la liste est longue. Tous, à leur manière, tentent de dédramatiser par le rire la situation que nous traversons collectivement.

« Le rire est la plus grosse soupape à anxiété qui existe, estime Arnaud Soly. [Le virus] est sur toutes les lèvres et c’est très anxiogène pour tout le monde. Plus que jamais, les gens ont besoin de rire, de décrocher. »

Comme plusieurs, Arnaud Soly a été forcé de reporter ou d’annuler ses représentations des prochaines semaines, dont le lancement de son tout premier spectacle solo. Pour aider le public à décrocher, il faut donc le faire rire autrement qu’en passant par la scène.

Grand habitué du web, lui dont les capsules sur les réseaux sociaux ont aidé à lancer sa carrière, il a continué de se filmer comme il l’a toujours fait. En axant cette fois certaines blagues sur la crise actuelle.

L’impact est manifeste. Sa vidéo sur Facebook « Je reviens du Costco », où il se moque de la panique qui s’est emparée de certains au moment de faire des provisions (notamment de papier de toilette), a été vue 1,2 million de fois en cinq jours.

Et si, pour un humoriste, les rires instantanés d’une foule n’ont pas d’équivalent, voir les gens commenter une publication, échanger sur un live et mentionner à quel point ils trouvent drôle ce qu’ils voient reste la meilleure solution de remplacement en ce moment, souligne Arnaud Soly. « On se met en communauté, ça vient pallier et on se sent tous moins isolés », observe-t-il.

Comme une petite drogue

Cette forme de création privilégiée par les humoristes est aussi une façon de combler un « manque ». « Comme tout le monde, on vient de vivre un choc, dit Maude Landry. Pour les humoristes de scène, ça veut dire que pour un temps indéfini, on n’entendra plus de foule rire devant nous. Ce qui est quand même une petite drogue pour nous. »

Celle qui se décrit plutôt comme une « introvertie », pas toujours à l’aise face à la mise en scène du soi sur les réseaux sociaux, repense ces derniers jours sa façon d’aborder ces moyens de communication. Elle documente avec humour sa quarantaine. Mais elle se questionne aussi sur la bonne façon de parler de la crise. « Les gens ont besoin de rire, mais pas nécessairement envie de rire de tout, constate-t-elle. Alors, est-ce qu’on est cynique ? Est-ce qu’on change de sujet ? Est-ce qu’on dédramatise et on est positif ? »

Cette dernière solution est celle qu’elle souhaite adopter. « On peut essayer d’adoucir les mœurs », dit-elle.

Le devoir de l’humoriste est de pointer la société et d’en rire. Plus que jamais, on a des choses desquelles rire.

Maude Landry

Mais il n’est pas indispensable de ne parler que du coronavirus pour divertir les gens en ce moment. Au contraire.

Arnaud Soly organise des directs sur Instagram. L’un d’eux était un doublage improvisé hilarant d’un épisode complet de la série Ramdam. Christine Morency jase de tout et de rien pendant ses directs. Pierre-Yves Roy-Desmarais, à qui cette période inspire des chansons, mentionne celle qu’il vient d’écrire sur… son chien. « Ne parler que du coronavirus, je trouve ça lourd un peu, dit-il. J’ai toujours un peu perçu l’humoriste comme le fou du roi. On est des soupapes pour faire relâcher la pression, faire penser à autre chose. » 

La peur d’être oublié

Louis T, lui, a publié sur Facebook mercredi un texte dans lequel il annonçait son retrait des réseaux sociaux pour un temps. Après une semaine à réagir sur la crise de la COVID-19 en publiant des blagues, il s’est rendu compte que l’exercice était devenu « presque obsédant ».

Cette décision a été prise par Louis T le père de famille et non pas Louis T l’humoriste, nous dit-il au téléphone quelques jours plus tard.

On se bat sans cesse pour nos carrières, on veut toujours un peu de spotlight de peur de sombrer dans l’oubli.

Louis T

« Quand un évènement comme celui-ci arrive, c’est une occasion de rayonner. […] Mais le papa incapable de jouer avec son fils parce qu’il se disait qu’il devrait être en train d’écrire de quoi sur l'internet ou se filmer a préféré se retirer. »

Cette décision ne sera « peut-être pas la meilleure pour [sa] carrière », pourtant Louis T est en paix. Et il sait que son sentiment est partagé dans le milieu. Plusieurs de ses pairs lui ont écrit pour dire qu’ils sont aussi touchés par l’anxiété qu’il a décrite.

> Lisez le texte de Louis T

Bien faire rire

Aborder la pandémie pour en faire une blague ne peut pas être fait n’importe comment, estime Pierre-Yves Roy Desmarais. « Je pense qu’on peut en rire, et même que ça vaut la peine de le faire. Mais chacun a ses propres limites et il faut en être conscient. »

Moi j’essaie de ne pas toucher aux cordes sensibles. Je ne suis pas pour combattre le feu par le feu. Plutôt pour combattre le feu par… une joke de pet.

Pierre-Yves Roy Desmarais

Bien qu’ils souhaitent tous aider à changer les idées des gens ou à relâcher la pression momentanément, aucun humoriste n’a l’intention de minimiser la crise. Nombre d’entre eux ont répondu à l’appel du premier ministre François Legault en signalant à leurs abonnés l’importance de suivre les consignes de distanciation sociale.

« Tant qu’à faire des jokes, autant transmettre le bon message et la bonne information », souligne Maude Landry.

S’il n’est plus actif pendant quelque temps, Louis T pense « qu’il est aussi important de montrer que la vie ne s’est pas arrêtée ». « On n’est pas des joueurs de violon sur le Titanic en train de couler, image-t-il. Le bateau ne coule pas. Il faut continuer à jouer du violon. Pas par déni, mais pour montrer que la vie continue. »