L’annonce n’a été faite qu’en avril dernier, mais Jay Du Temple prévoyait depuis un bon moment de monter sur la scène du Centre Bell pour la dernière représentation de son spectacle Bien faire. Et il ne faisait pas qu’en rêver. Cela fait deux ans que le plus grand aréna de la province est réservé, à son nom, pour le 3 janvier 2020.

Risquée, cette idée de mener son spectacle solo au Centre Bell ? C’est peu dire. Le nombre d’humoristes qui ont tenté le coup se compte sur les doigts des deux mains. Pour les humoristes québécois, une main suffit sûrement. 

« J’y pense et je me rends compte que j’ai toujours su que c’est là que je m’en allais, sans me le dire, dit Jay Du Temple, rencontré la veille du grand jour. Ça a plein de sens. En 2016, je faisais le Club Soda, en 2020, c’est rendu le Centre Bell. Et entre-temps, il y a eu le Métropolis, le Théâtre Maisonneuve, Wilfrid-Pelletier. Le next step, c’était ça. »

Avec ce spectacle, l’humoriste tourne la dernière page du chapitre Bien faire (et se fera raser les cheveux pour Leucan par la même occasion). « À chaque joke que je vais faire, je vais vivre un deuil. Chaque blague, ce sera la dernière fois que je la raconte de ma vie », dit Du Temple. Les mots mélancoliques d’un nostalgique avoué. Des mots qui ne semblent pas tristes pour autant. Car la fin de cette tournée, c’est aussi « le passage à autre chose ».

Il a souhaité marquer l’occasion en grand. Ça se fera finalement en très, très grand. Puisque d’une salle pouvant accueillir 5000 personnes, on est passé au double, à force de libérer de nouvelles places.

Mais le pari n’a pas été relevé sans que l’humoriste traverse quelques périodes d’anxiété. D’abord lorsque le spectacle a été annoncé et que la vente de billets a tardé à décoller. « Je me suis demandé si on était en train de se planter », admet-il. L’automne dernier, l’entrée en ondes d’Occupation double, qu’il anime, a donné un bon coup de pouce aux affaires. Ces deux derniers mois, très rapidement, les billets se sont écoulés.

Viser haut

Du haut de ses six pieds et quelque, Jay Du Temple affiche un sourire confiant, qui se marie bien à sa dégaine ultra cool – chandail et souliers colorés, plusieurs bagues à chaque main, ses ongles peints de plusieurs couleurs et, bien sûr, le fameux man bun

Il ne donne pas l’impression d’être de ceux qui doutent d’eux-mêmes. Et, dit-il, suivre son instinct et croire en ses capacités lui a souvent profité. Ça a commencé dans les années 2010. Quand, de cégépien déboussolé, il est passé à aspirant humoriste. Au milieu de la décennie, après l’École de l’humour, il s’est lancé avec ambition dans sa carrière. Dès lors, ç’a rarement mal été (en apparence, du moins) pour celui qui est aussi chroniqueur, animateur et comédien.

Sauf qu’entre dire qu’on va se produire au Centre Bell et le faire, il y a tout un monde rempli de remises en question. Quand les billets ont commencé à mieux se vendre, qu’il a été possible de libérer quelques milliers de places de plus, il a d’abord hésité.

Finalement, la décision de viser haut a été la bonne, estime Jay Du Temple. Pour un spectacle qu’il ne présentera qu’une seule fois dans ce contexte et dont une partie des profits sera remise à Leucan, autant le faire sans demi-mesure.

Pareil, mais différent

Justement, pour ne pas faire les choses à moitié, l’humoriste s’est laissé tentr par une mise en scène plus élaborée. Un DJ set de Karim Ouellet en entrée, une chanteuse à la fin, pendant qu’il sera en train de se faire raser la crinière. Et puis, entre les deux, une entrée en scène avec « un peu de crémage ».

Pour ce qui est des blagues, il compte s’en tenir à ce qu’il a présenté des dizaines de fois maintenant depuis le début de la tournée Bien faire, en 2018. Même la partie d’improvisation avec le public garde sa place, bien qu’il ne sache pas encore ce que ça donnera dans ce cadre.

Jay est bien préparé. Il est aussi conscient qu’il y a une limite à se conditionner pour quelque chose qu’on n’a encore jamais fait.

L’important, pour moi, c’est juste d’en profiter.

Jay Du Temple, à plusieurs reprises durant la rencontre avec La Presse, à un peu plus de 24 heures de sa montée sur scène

Il mentionne le documentaire Five Foot Two, sur Lady Gaga, où l’on voit la chanteuse pétillante d’énergie avant son colossal spectacle du Super Bowl. Elle explique que le chemin jusqu’à ce moment a été si laborieux et stressant qu’elle a pris la ferme résolution de prendre plaisir à vivre l’évènement. C’est comme ça que Jay Du Temple veut aborder la chose, lui aussi.

La cause, puis une pause

La décision de se raser les cheveux pour Leucan a été prise il y a longtemps. C’est un engagement envers l’association, bien sûr (un dollar par billet est remis à Leucan et Jay doublera la somme amassée). Également envers son public. Envers lui-même. Comme un renouveau. « J’impose le fait que les choses changent, que je suis rendu là, que je suis rendu ça », explique Jay.

C’est d’abord sa grand-tante, atteinte d’un cancer et qui n’est plus, qui lui a donné l’idée de se laisser pousser les cheveux pour la cause. « Bizarrement, c’est grâce à ma tante Lucile que je suis devenu à la mode ! », lance-t-il. 

Dès le début de la tournée, il prévoyait faire de son spectacle de clôture un évènement pour Leucan, avec qui il s’est encore plus impliqué récemment, en visitant des familles d’enfants malades.

« Le geste a pris un tout autre sens après ces rencontres, dit-il. Quand je vais me faire raser les cheveux, je vais avoir des visages en tête. »

Quand la soirée prendra fin, que la pyrotechnie aura émerveillé, que Jay aura fait rire et que sa tignasse aura été offerte à la charité, l’humoriste sait qu’il aura alors à redoubler d’efforts pour la suite.

« Faire le Centre Bell, c’est pour mieux retourner à la base, dit-il. C’est ce que j’aime avec l’humour. Tu as beau avoir de la pyrotechnie, un beau suit et faire la plus grosse scène, une fois que c’est fini, il faut que tu écrives une autre heure et demie. Tout est à refaire. »

Mais avant, il va s’accorder un temps de répit mérité. En voyage, ces prochains mois, Jay fera le plein de repos et d’inspiration. « Ma job, c’est de parler. La question, c’est : pourquoi tu parles et qu’est-ce que tu as à dire ? Il faut que j’aille vivre des choses pour revenir plus sincère, plus vulnérable. »