L’humoriste Julien Lacroix présente son premier spectacle solo, Jusqu’ici tout va bien, ce soir au Monument-National. Rencontre avec un artiste hyperactif de 26 ans, qui ne craint pas les malaises.

Marc Cassivi : Ça fait un an et demi que ton spectacle est en rodage. Avais-tu hâte de pouvoir dire qu’il est prêt ?

Julien Lacroix : [Rires] Initialement, la première devait avoir lieu en janvier dernier, mais, à cause du film [Mon ami Walid, qu’il a coscénarisé avec Adib Alkhalidey], on a préféré la repousser. Je pense qu’il commence à être prêt ! J’ai hâte que la première ait eu lieu pour pouvoir recommencer à rajouter du stock…

MC : On peut dire que le spectacle est fixé pour l’instant ?

JL : Il est fixé, monté, travaillé et retravaillé. Le but, c’est qu’il ne bouge pas ! Mais je viens de l’impro, donc en rodage, après trois, quatre fois à faire un numéro qui marchait super fort, je le changeais. Autour de moi, on me disait : « Non, non, non, tu le gardes !

— Ouais, mais moi, je m’emmerde !

— Oui, mais, le public, c’est la première fois qu’il le voit. Ta gueule ! » [rires]

MC : Ceux qui l’ont déjà vu en rodage, il y a plusieurs mois, vont voir un autre spectacle ?

JL : Il a évolué beaucoup, oui. Les gens m’ont vu en entrevue, ils m’ont vu sur le web, ils m’ont entendu à la radio, ils m’ont vu faire des chroniques à la télé, mais vraiment pas beaucoup de gens m’ont vu en stand-up. C’est ma première carte de visite comme humoriste, alors je veux vraiment que ce soit nickel. Je veux que chaque numéro soit pertinent et drôle.

Je voulais vraiment être fier de le montrer. C’est pour ça aussi que ça a pris du temps. J’invite les gens à venir le voir deux, trois fois. Je veux faire du cash ! [rires]

Julien Lacroix

MC : Tu le dis : tu es un peu partout. Tu es un touche-à-tout. Tu es un hyperactif de l’humour. Mais le stand-up, c’est la base, le pilier, tu dirais, de ton métier ?

JL : Je crois que oui. Même si les gens me connaissent pour tout le reste et que j’aime faire tout le reste, le stand-up, c’est quand même ce que je crois que je fais le mieux. Adib m’a dit que de faire plein de choses, c’est se donner la possibilité de parler des mêmes sujets mais en les exploitant de façons différentes. J’ai trouvé ça vraiment pertinent. Un personnage en fiction peut se permettre de dire des affaires beaucoup plus trash ou plus naïves. Il y a des blagues que tu peux juste exploiter en faisant de la comédie de situation et il y en a d’autres qui se prêtent mieux au stand-up parce que tu peux être plus franc…

MC : Étant de nature hyperactive, est-ce difficile pour toi de faire toujours le même show ? Est-ce que la formule même du stand-up, en rodage pour 100 spectacles, est pour toi contre-nature ?

JL : Il y a six mois, je t’aurais dit oui. Puis, j’en suis venu à l’évidence que c’est quand même un travail. C’est un métier, et je suis choyé. C’est vraiment le fun. Par respect pour le monde, je me dois, chaque fois que je présente le spectacle, que chaque blague soit à son plein potentiel. C’est la première fois que les gens le voient, ils se sont déplacés, ça coûte cher… Avant, j’étais un peu plus égoïste. Je préférais m’amuser dans l’improvisation. Ça crée des moments magiques, mais il y a des soirs où la sauce pogne moins. J’ai un show qui est rodé au quart de tour. Il y a un plaisir à présenter une œuvre que tu as maximisée et de pouvoir dire : « Regardez comment c’est tight ! »

Je me permets quand même de l’impro ! Il y a une vingtaine de minutes pendant lesquelles je fais du crowdwork. Les idées se bousculent. Mon cerveau, des fois, va plus vite que ma bouche…

Julien Lacroix

MC : Et ta bouche va quand même assez vite !

JL : J’ai slacké un peu ! Au début, je voulais aller trop vite. Parce que mon école, c’était les bars. Dans les bars, tu ne veux pas que quelqu’un se mette à crier « t’es plate ! », alors tu goales. Plus tu joues dans une grande salle, plus tu as le luxe de pouvoir prendre ton temps. Je le prends, de plus en plus.

MC : On a l’impression que tu es sorti de nulle part. Tu t’es fait connaître grâce à tes capsules web, et ça a décollé…

JL : Je n’ai pas de plan précis, mais je veux faire des choses. Je sais que je veux faire des films, je sais que je veux faire plusieurs shows, je sais que je veux être en tournée, je sais que je veux écrire, je sais que je veux réaliser éventuellement, je sais que je veux essayer de travailler ailleurs. Je ne sais pas toujours comment je vais y arriver, mais je sais tout ça. C’est mon côté hyperactif : on est en montage et en fin de tournage pour le Projet 2000 [série que l’humoriste a coécrite avec Louis Morissette pour Tou.tv], il y a la première du show, mais je suis déjà en train de penser à la prochaine affaire ! Je suis choyé. Les gens, maintenant, ont une oreille attentive pour mes projets, alors j’y vais la pédale à fond !

MC : Quand on dit « Il est sorti de nulle part », trouves-tu qu’on sous-estime les efforts que tu as dû faire pour te rendre où tu es ?

JL : Le titre de mon show, Jusqu’ici tout va bien, fait référence à ça. Il y a une référence au film La haine [de Mathieu Kassovitz] qui est évidente : le mec qui tombe de 50 étages et qui se dit « jusqu’ici, tout va bien », alors que l’important, c’est pas la chute, mais l’atterrissage… Il y a une référence à mon parcours aussi. Les gens disent toujours : « Ça va bien, tes affaires ! » Oui, mais j’ai travaillé en chien ! Écrire des vidéos, produire des vidéos, écrire un film, produire un film, écrire un spectacle, écrire une série… Il y a un mensonge dans la réponse qu’on donne à la question « Ça va bien ? ». On a tous nos démons. On a tous nos petites bibittes. J’aime rire de ce qui fait mal, parce que ça fait du bien à tout le monde. C’est le fil conducteur du spectacle. La finalité de tout ça, c’est le one-man-show. C’est l’atterrissage.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Julien Lacroix a gagné trois Olivier en 2017.

MC : Comment les trois prix Olivier que tu as gagnés en 2017 ont-ils changé ta trajectoire ?

JL : J’avais un succès d’estime, et les Olivier m’ont donné une crédibilité. J’ai vu du jour au lendemain la différence. Maintenant, on accorde plus d’attention à mes projets. Je ne suis plus juste « un gars sur internet » !

MC : Tes capsules web, on regardait ça de haut ?

JL : Je pense qu’il y a une génération qui regardait peut-être ça de haut parce que ça faisait youtubeur. Mais, pour d’autres, non. Moi, je regarde ma télé sur Tou.tv, sur l’ordi. C’est quoi la différence entre regarder un épisode de 23 minutes des Bougon sur YouTube et regarder une capsule d’humour de 5 minutes ?

MC : Tu as abordé en rodage des thématiques comme la famille dysfonctionnelle, #moiaussi ou l’alcool au volant. Tu ne détestes pas créer des malaises, mais y a-t-il des thèmes que tu as regretté d’avoir abordés ?

JL : Non, au contraire. Au début, j’étais plus « ado » et je voulais choquer pour choquer. J’ai réfléchi à tout ça. Il y a des affaires crues, il y a des affaires plus vulgaires, mais elles sont calculées et pertinentes dans le numéro. Je dis par exemple que moi, des familles parfaites, dans la vie, ça me fout la chienne. Des maisons trop carrées avec le gazon trop vert, les dents trop blanches, ça cache de quoi ! Tu rentres 20 minutes trop tôt au souper et la bonne femme est en train de sniffer des antidépresseurs en disant : « Je suis un rayon de soleil ! » Tu vas dans le garage et il y a le bonhomme avec un sac de plastique sur la tête qui te dit : « Oh ! Vous êtes arrivés tôt ! » Je ne voulais pas parler du secondaire. Je ne voulais pas parler d’affaires qui, à mon sens, sont moins pertinentes. Il y en a d’autres qui le font beaucoup mieux que moi. Il y a des sujets plus touchy, ça peut être trash, mais on n’a pas eu de plaintes ! Alors qu’il y a des humoristes qui sont neuf fois moins vulgaires que moi, mais qui se font reprocher de dire le mot « pipe ». Je ne sais pas trop pourquoi avec moi, ça passe mieux, mais j’en profite !

À la salle Ludger-Duvernay du Monument-National ce soir (à guichets fermés) et en tournée au Québec.

Consultez le site de Julien Lacroix : https://julienlacroix.ca/