Faut croire que le printemps rime avec ménage à la télé québécoise. Après le concours Laver pour gagner à TVA, une autre série s’intéresse au récurage de grande surface, au propre comme au figuré, mais de façon intelligente, drôle et captivante.

Il s’agit de Discrètes, dont les 10 épisodes de 15 minutes ont été déposés sur la plateforme Extra de Tou.tv. Ça se dévore en une soirée. C’est testé, coché et approuvé ici.

Il s’agit en fait d’un thriller domestique, et parfois comique, qui incorpore des éléments juridiques, littéraires et féministes. Et cette histoire d’agression sexuelle en teintes de gris nous attrape dans son chiffon, comme de la poussière dans un Swiffer, sans nous faire la morale et sans glisser de message éducationnel peu subtil.

On déclenche le premier épisode et, pouf, on file jusqu’à la finale qui s’avère surprenante et cohérente dans l’esprit de vengeance qui anime les deux héroïnes.

Discrètes, c’est d’abord le nom de l’entreprise d’entretien ménager qui emploie Macha (Juliette Gosselin) et Gaby (Aurélia Arandi-Longpré), deux jeunes femmes dans la vingtaine affectées au nettoyage des bureaux d’une prestigieuse firme d’avocats. Les deux techniciennes de surface s’activent la nuit, aux troisième et quatrième étages de Place Ville Marie, une tour grise qui s’élève au centre-ville de Montréal.

Dans le premier épisode, les avocats du cabinet Fichaud célèbrent, dans leurs locaux, l’arrivée d’un gros client, un chef cuisinier vedette accusé d’agression sexuelle par une chanteuse populaire. La fête, arrosée de vin et saupoudrée de cocaïne, se déverse au petit matin, et Gaby, la femme de ménage la plus extravertie des deux, se joint au party, qui dérape.

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Aurélia Arandi-Longpré incarne Gaby.

Allumée par le sexy plaideur Jarvis (Joey Scarpellino), la pétillante Gaby tombe plutôt entre les pattes de Manuel (Olivier Gervais-Courchesne), un avocat ambitieux et charmant, qui connaît tous les classiques de la littérature française. Il y a du flirt, un premier baiser, puis un lourd malaise, mais jamais la flamboyante Gaby ne consent à la relation intime, pas plus qu’elle ne repousse Manuel ou qu’elle prononce à voix haute le mot « non ». Cachée sous le bureau où se déroule l’acte sexuel, je ne divulgâcherai pas pourquoi elle se terre là, la collègue de Gaby, la timide Macha (Juliette Gosselin), entend tout, sans rien voir. Comme nous, devant notre écran.

Cet évènement traumatisant soudera les deux jeunes femmes de ménage, qui comploteront ensuite pour que Manuel paie pour ses gestes. Les deux protagonistes de Discrètes, Macha et Gaby, vivent cependant sur des planètes différentes et n’ont pas la même notion des moyens à prendre pour se faire justice. La collision de leurs réalités les influencera l’une et l’autre, pour le meilleur et parfois le pire.

Étudiante à la maîtrise en littérature, la posée Macha rase les murs et se cache quasiment derrière sa frange de cheveux pour se fondre dans le décor. Avec son bandeau large, elle ressemble à la jeune fille à la perle du célèbre tableau de Vermeer.

Dégourdie et allumée, Gaby s’apparente davantage à l’expressive Eva (Erika Suarez) de la série Après le déluge. Ayant un père mexicain, Gaby adore le hip-hop, se cramponne à sa vapoteuse et s’exprime dans un franglais qui hérissera tous les pépères et mémères la virgule de la planète.

Du genre, elle s’est fait call out, c’est quoi les odds, c’est fucking nasty, je crave l’attention, je me mets dans des situations sketch, elle flashe ses tits, elle est la victime la plus guilty ever, c’est obvious et tout le tralala. Oui, c’est wack à l’oreille, mais c’est une réalité moderne. Plusieurs ados et vingtenaires parlent de cette façon bilingue, et la série Discrètes ne fait que mettre la loupe sur ce phénomène, même si c’est wrong AF.

D’ailleurs, le père hispanophone de Gaby déplore le langage hybride de sa fille, qui comprend trois langues mais qui n’en maîtrise parfaitement aucune.

Écrite et réalisée par Juliette Gosselin et Sophia Belahmer, Discrètes n’est pas une série sur les travailleurs de l’ombre, ni une série sur la pauvreté, mais un thriller bien ficelé – et ponctué d’humour noir – sur la colère féminine et la sororité. Il y a, dans chacun des dix épisodes, des punchs qui nous incitent à visionner la série de façon compulsive.

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Juliette Gosselin et Aurélia Arandi-Longpré sont excellentes dans la série, écrit notre chroniqueur.

Comme Gaby, Macha cache aussi une histoire souffrante qui la tourmente et qui nécessite une intervention, comment dire, radicale. Ça commence par des menaces polies et ça finit avec beaucoup de bruit.

Les deux actrices principales de Discrètes sont excellentes. On croit à leur amitié improbable, nourrie par une révolte commune contre l’injustice et l’impunité.

Discrètes incorpore également un volet littéraire à son récit, notamment parce que l’universitaire Macha participe à un club de lecture anonyme avec un client de la tour de bureaux où elle astique les cuvettes. Les deux boulimiques de livres s’échangent, par tiroir interposé, des titres de Paul Valéry, Simone de Beauvoir, Charles Baudelaire, Gustave Flaubert et Colette.

Le générique d’ouverture de Discrètes évoque à la fois Sabrina, l’apprentie sorcière et le livre le plus connu de l’essayiste Mona Chollet, Sorcières : la puissance invaincue des femmes. Car oui, c’est possible de passer le balai avec du fun et avec du fond, bon !