C’est le type de télésérie moderne, brutale, percutante et remuante que l’on a l’habitude de croiser sur une plateforme payante, donc plus nichée, comme Crave ou Netflix.

Avec une approche quasi documentaire, cette minisérie imaginée et réalisée par Mara Joly suit quatre jeunes d’un quartier chaud et pauvre de Montréal, qui en décousent avec la violence, la leur ou celle d’un proche. Les dialogues sautent du français à l’anglais, au franglais, au créole et à l’espagnol, naturellement, sans altérer la fluidité du récit (oui, il y a des sous-titres si nécessaire, ne capotez pas).

Vraiment, j’ai beaucoup aimé Après le déluge, qui décolle jeudi à 21 h sur les ondes de Noovo. Voilà une émission – très différente du téléroman traditionnel – à la fois audacieuse, captivante et originale.

D’ailleurs, pour ceux qui râlent que la télé québécoise montre toujours les mêmes visages d’acteurs blancs, sachez que la majorité des rôles principaux de cette nouveauté automnale ont été confiés à des comédiens issus de la diversité, inconnus du grand public. Et ils s’en sortent plus que bien, particulièrement l’humoriste Erika Suarez, qui campe une jeune latina pétillante qui rêve de gloire en faisant des ménages chez les riches.

Le premier épisode paraît un peu échevelé, mais les intrigues se déploient de façon plus organique au deuxième, qui donne le goût de se rendre jusqu’à la sixième et dernière heure.

Non, malgré ce que vous imaginez peut-être, Après le déluge ne sermonne pas les téléspectateurs ignorants à propos des privilèges ou du racisme systémique, franchement. Oubliez les leçons de morale. Avec acuité et réalisme, au-delà du wokisme, la série raconte la chute et la rédemption de quatre jeunes délinquants qui s’inscrivent à un club d’arts martiaux mixtes pour s’éviter un casier judiciaire.

C’est une policière noire, Maxime Salomon (Penande Estime), qui entraîne les quatre recrues, même si son patron (Stéphane Demers) se braque à l’idée d’enseigner à des personnes déjà violentes comment mieux se battre.

IMAGE TIRÉE D’APRÈS LE DÉLUGE

Penande Estime et Blanche Masse dans une scène d’Après le déluge

Mais pour des enfants de la DPJ comme l’impulsive Dylane (Blanche Masse), le combat dans l’octogone lui permet de canaliser sa colère, ses pulsions et ainsi éviter de péter la gueule à n’importe qui, quand elle disjoncte. À 17 ans, Dylane sort d’un centre jeunesse et gère très mal son tempérament bouillant (la toute première scène d’Après le déluge fesse fort, c’est le cas de le dire).

Sa mère, qui l’élève seule (Marilyse Bourke, très juste), est une femme bipolaire qui ne se médicamente pas, et l’entraîne dans un cycle de violence sans fin. Dylane, enragée et démunie, ne compte que sur son grand frère Jimmy (Karl Walcott), et même lui la trouve épuisante et songe à l’abandonner.

Le personnage le plus touchant d’Après le déluge s’appelle Eva (Erika Suarez, une découverte). Ses deux parents immigrants exploitent une entreprise de ménage à domicile. Décrocheuse, Eva aide chez Super Clean et alimente en secret un compte OnlyFans (rebaptisé OnlyFame), qui l’enrichira, elle l’espère tellement. Derrière la personnalité effervescente d’Eva, on sent la détresse de cette jeune femme coincée chez les pauvres, mais qui aspire à l’univers plus bling-bling des bourgeois.

IMAGE TIRÉE D’APRÈS LE DÉLUGE

Erika Suarez

D’origine haïtienne, le taciturne Jay (Steve Diouf Felwin) s’avère un mystère. Après un séjour en prison, il fricote toujours avec son frère, membre d’un influent gang de rue. Même s’il exprime le désir de stopper sa carrière de criminel, la pression s’accentue sur Jay pour qu’il collecte de nouveau des dettes de drogue et qu’il cambriole des maisons. Comment s’extirper de ce milieu difficile dans lequel on a grandi ? Jay orchestre sa fuite en emportant un gros secret que seule sa mère bienveillante connaît. La révélation de ce punch au deuxième épisode est surprenante.

La langue entendue dans Après le déluge est celle, métissée, qui se parle dans un quartier comme Saint-Michel ou Montréal-Nord, même si la série de Noovo n’identifie jamais le lieu précis où vivent ses protagonistes.

Au fil des épisodes, vous verrez des personnages vapoter (parfum : Red Bull et melon), manipuler des armes à feu, s’allumer des clopes, s’adonner au « stick and poke » (une forme de tatouage), se crier dessus, boire trop et habiter des appartements très modestes.

OK, OK, une famille hispanophone impliquée dans l’entretien ménager et des Noirs qui tirent du fusil en pleine nuit, n’est-ce pas cliché, tout ça ? Oui et non. Oui, parce que ces stéréotypes, souvent vrais, ont déjà été exploités au petit écran.

Et non, parce qu’Après le déluge ajoute de l’épaisseur à des personnages qui auraient pu être unidimensionnels. Sans glorifier leurs méfaits et sans sombrer dans le misérabilisme non plus.

Après le déluge – à ne pas confondre avec Avant le crash à Radio-Canada – ne ressemble à rien de ce que propose actuellement la télé québécoise. Moins dure que Je voudrais qu’on m’efface, cette minisérie ressort du lot des productions d’ici et mérite la pluie de compliments qui l’arroseront dans les prochains jours.