Dans les mois qui ont suivi la mort de Minou Petrowski, en avril 2021, sa fille Nathalie a été prise d’une irrépressible envie d’écrire. Il fallait qu’elle mette des mots sur ce qu’elle avait vécu avec cette mère qui n’a jamais été « une vraie mère », sur cette femme qui, telle une Pénélope défaisant la nuit le voile qu’elle tissait le jour, a souvent trompé la vérité, la sienne.

Il est né de cela La vie de ma mère, un récit que j’ai dévoré (deux fois plutôt qu’une) avec un plaisir non dissimulé. Dans cette œuvre, sans doute la plus personnelle de la chroniqueuse, romancière et scénariste, Nathalie Petrowski raconte l’histoire de deux femmes soudées l’une à l’autre pour des raisons fort différentes. Et en digne représentante du clan Petrowski, l’auteure le fait en remettant les pendules à l’heure.

« Écrire ce livre est une chose, mais je dois maintenant assumer publiquement le geste, me dit-elle dans le café où je lui ai donné rendez-vous. Je ne me suis pas posé de questions en l’écrivant. C’est maintenant que je m’en pose. C’est très intime, car au fond, j’écris sur moi à travers ma mère. »

L’histoire de Minou Petrowski est celle d’une femme née à Anvers d’un père diamantaire d’origine ukrainienne et d’une mère russe. Confiée aux deux propriétaires d’une clinique privée à Nice, la petite fille sera finalement adoptée par ce couple. « Le début de la vie de ma mère se lit comme un roman de Dostoïevski ou une pièce de Tchekhov, écrit Nathalie Petrowski. C’est plein de personnages fourbes, doubles, mélancoliques, menteurs, impénitents, inconséquents, irresponsables. »

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Minou Petrowski au début des années 90

Jeune adulte, Minou rencontre à Paris André Petrowski, lui aussi d’origine ukrainienne. Neuf mois après leur rencontre naît Nathalie, en 1954. Après avoir connu l’existentialisme du Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre, Minou et André s’installent au Québec en 1957, laissant derrière eux leur fille qui est confiée aux grands-parents Petrowski. Minou la reprendra à l’âge de 5 ans.

Une mère pas comme les autres

Pour les besoins de son livre, Nathalie Petrowski a relu plusieurs fois l’autobiographie que Minou Petrowski a publiée en 2008 intitulée Prends-moi dans tes bras. Elle a découvert que certains faits avaient été déformés. La journaliste de Femmes d’aujourd’hui raconte notamment la fête qui a accompagné sa première communion et qui a dégénéré en débauche d’adultes. Or, c’est Nathalie qui a vécu cela, pas Minou.

Je crois que c’est un amalgame involontaire. Ma mère était beaucoup dans la fiction. Les versions sur ses origines changeaient constamment.

Nathalie Petrowski, auteure de La vie de ma mère

Avouez que tout cela n’est pas banal. Le ton du livre aurait donc pu être revanchard. Il ne l’est pas. « En même temps, je voulais être honnête, je voulais dire les choses, dit l’ex-chroniqueuse de La Presse. Bien sûr, y a eu de la culpabilité. Mais ça, c’est moi, je me sens toujours coupable. »

Nathalie Petrowski a rapidement découvert que Minou ne sera jamais une mère comme les autres. « J’aurais voulu avoir une mère ronde qui m’aurait fait du pâté chinois, déclare Nathalie Petrowski. La mienne partait pour New York et revenait dans des jumpsuits. Elle n’avait rien de maternel. »

Un épisode en particulier dont est témoin la jeune Nathalie crée une cassure entre la mère et la fille. Embauchée comme maquilleuse à la chaîne de télé CJOH, à Ottawa, Minou a l’habitude d’y amener la fillette. Un jour, cette dernière aperçoit un jeune animateur (je vous laisse le soin de découvrir son identité) passer sa pomme sur les fesses de Minou. « Cet homme est venu frotter sa pomme sur son cul… Et elle l’a laissé faire. Je n’en revenais pas. »

Au début des années 1970, Minou Petrowski prend part au mouvement féministe qui secoue son époque. Elle vit comme une femme libre, multipliant les escapades et les aventures avec des hommes, la plupart du temps beaucoup plus jeunes qu’elle. « Quand tu es la pionnière d’un tel mouvement, ça ne peut pas être doux et gentil, dit Nathalie Petrowski. C’est violent. C’est sûr que pour les enfants, c’est dur. »

À l’instar d’autres jeunes de leur génération, les enfants Petrowski ont eu des parents qui ont créé une famille dans une certaine insouciance, défiant les codes classiques de l’époque. « En même temps, ces parents ont fait de nous des gens très indépendants, reprend Nathalie Petrowski. Mon côté fonceur de critique, ça vient d’eux. »

J’ai grandi avec des adultes qui disaient ce qu’ils pensaient. Quand j’ai commencé dans ce métier, je n’avais pas de filtre, car on ne m’en avait pas donné.

Nathalie Petrowski, auteure de La vie de ma mère

Le public connaît la Nathalie Petrowski grande gueule qui monte aux barricades, souvent seule, laissant derrière elle un bataillon de critiques consensuels. Au fil du temps, j’ai découvert la femme ultra-sensible qui peut se transformer en véritable lionne quand vient le temps de défendre ceux qu’elle aime. « Quand, à l’âge de 5 ans, tu changes de pays et que tu vas vivre avec des gens que tu ne connais pas, tu es obligée de te protéger. Je suis quelqu’un qui a plusieurs carapaces. »

La fille qui devient la mère

Quand Nathalie Petrowski est tombée enceinte de son fils Louis, elle a mis un certain temps avant de l’annoncer à sa mère. « Je craignais sa réaction. En effet, elle a eu un choc. Comme je m’occupais déjà beaucoup d’elle, elle a eu peur de perdre la mère que j’étais devenue pour elle. »

Ces rôles inversés ont pris une grande ampleur à la fin de 2018 lorsque Minou Petrowski a commencé à souffrir d’un trouble neurocognitif. Aidée par son frère, Nathalie a veillé à tout. Sans l’aide financière de sa fille, la cigale qu’a toujours été Minou n’aurait pas pu jouir des conditions de vie qu’elle a eues jusqu’à la fin de ses jours.

Dans ses dernières volontés, Minou Petrowski a demandé à ce qu’on disperse ses cendres dans la mer, au large de Cannes. Pendant des années, Nathalie s’est opposée à ce souhait. « Pour moi, c’était une trahison pure et simple, imaginée à mes yeux par une femme désinvolte et puérile qui abandonnait une fois de plus ses enfants à eux-mêmes. […] Cause toujours, Minou. Moi, je n’en fais qu’à ma tête », peut-on lire dans le livre.

Finalement, à la lecture du testament, le cœur de la fille a craqué. Je vous laisse le plaisir de lire le récit de ce cérémonial à la fois maladroit et bouleversant.

Est-ce parce que ce livre émane de zones cachées et qu’il a été écrit d’un même souffle, toujours est-il que l’écriture de Nathalie Petrowski atteint ici un sommet. Chaque page est un ravissement qui triture le cœur autant qu’il dilate la rate. L’auteure a eu la bonne idée de ne pas conférer un ton lourd à cette avalanche d’aveux.

Et puis, il y a cette universalité qu’elle réussit magnifiquement bien. Cette histoire est la sienne et celle de sa mère. Mais tous ceux qui ont vécu une relation difficile avec un parent trouveront dans ce livre la voix réconfortante d’une alliée.

S’inquiétant de ne pas avoir eu de réaction de la part de son frère au sujet de son manuscrit, Nathalie s’en est un jour enquise auprès de lui. Après lui avoir dit qu’il n’avait pas eu le temps de le lire, le frangin lui a texté ceci : « Rappelle-moi la raison de ce texte ? »

Ce livre a plein de bonnes raisons d’exister, à commencer par le bonheur qu’il offre à ceux qui le liront. Pour ce qui est de son auteure, il est sans doute un baume sur des blessures mal guéries, une manière de « tirer le rideau », de « tendre une perche ».

La conversation a pris fin devant nos cafés devenus froids. Je suis revenu sur « l’élan » qui l’a poussée à écrire ce livre. Pensive, Nathalie Petrowski a dit : « Au fond, c’est une façon de ne pas la laisser partir. »

En librairie le 7 septembre

La vie de ma mère

La vie de ma mère

Les éditions La Presse

136 pages