Avez-vous déjà fait l’exercice d’aller consulter la liste des fêtes nationales dans le monde ? Les trois quarts marquent l’obtention d’une indépendance. Quand arrive la date de la fête, personne ne se pose de questions : les fêtards savent pourquoi ils boivent un coup !

Finie l’emprise du Royaume-Uni, de la Belgique ou de la France ! On célèbre notre liberté !

Au Québec, c’est pas mal plus compliqué que ça. La Saint-Jean est d’abord l’anniversaire d’un cousin éloigné de Jésus devenu célèbre dans le monde entier pour ses jupettes en peau de mouton et pour s’être fait décapiter.

La Saint-Jean sert aussi à marquer le solstice et le début des récoltes. Puis, à partir de 1834 (merci, Ludger Duvernay !), elle devient chez nous la fête des Canadiens français. L’Église catholique lui mettra inévitablement le grappin dessus. Finalement, après la Révolution tranquille, ça sera au tour de la politique de s’en emparer.

Cette fête a fait l’objet d’un grand nombre d’appropriations. Le pauvre saint Jean se fait continuellement voler sa fête. De là-haut, il doit se dire : branchez-vous, baptême ! (Excusez-la !)

Patriotique, revendicatrice, identitaire, politique, houleuse, folklorique, majestueuse et monumentale, broche à foin à l’occasion, parfois sans saveur, résolument consensuelle et inclusive aujourd’hui, la Saint-Jean fut tout cela.

Cette fête a eu mille visages. Dieu sait qu’on en a essayé, des affaires !

Awaille les défilés ! Finis les défilés ! Allez, on ramène les défilés. Awaille le folklore ! Fini le folklore ! Allez, on ramène les veillées du bon vieux temps. Awaille le p’tit bouclé avec la peau de mouton ! Dehors le p’tit bouclé !

À ce sujet, saviez-vous que le petit saint Jean-Baptiste était tellement populaire au début du XXe siècle que certains défilés en comportaient jusqu’à trois ? Devant ce grave problème, la Société Saint-Jean-Baptiste a dû adopter un règlement interdisant la « présence de plus d’un saint Jean-Baptiste à l’intérieur d’un même défilé ».

Si vous saviez comme ces détails de notre histoire font mon bonheur !

Je suis assez vieux pour avoir vécu quelques dizaines de fêtes de la Saint-Jean. Et assez vieux pour comprendre que celles qui ont été les plus grandioses ont été réalisées… sous le gouvernement libéral de Robert Bourassa. Je parle de 1975 (l’année d’Un peu plus haut, un peu plus loin par Ginette Reno et de la création de Gens du pays) et 1976 (l’année d’Une fois cinq) où pendant des jours des centaines de milliers de personnes affluaient sur le mont Royal.

Je fais un peu de provoc en évoquant Bourassa, mais reste que ce dernier ne craignait pas d’être généreux avec les présidents du comité des fêtes (Lise Payette en 1975 et Jacques Normand en 1976) afin qu’ils produisent des spectacles de grande envergure.

Pauvre Bourassa… Savait-il qu’il se tirait dans le pied ? Était-il conscient que les artistes qui montaient sur scène allaient contribuer à sa défaite et à la victoire du PQ le 15 novembre 1976 ?

Curieusement, la première Saint-Jean sous le règne du PQ fut l’un des plus gros flops de l’histoire des fêtes nationales. Elle a eu lieu au Stade olympique les 23 et 24 juin. On a voulu faire big. L’idée était que le même spectacle était présenté deux soirs d’affilée pour les besoins d’une émission de télévision. Et on le sait, un spectacle qui est conçu pour la télévision est souvent un mauvais moment pour les spectateurs sur place.

Mon ancienne collègue Nathalie Petrowski a écrit dans Le Devoir que les prestations de Félix Leclerc, Monique Leyrac, Colette Boky et des Disciples de Massenet, dans un stade clairsemé, avaient suscité quelques huées de la part du jeune public. Les organisateurs avaient oublié que ces jeunes étaient venus assister au mythique spectacle OK nous v’là le 26 juin 1976.

Et que ces mêmes jeunes avaient porté le nouveau gouvernement au pouvoir. Méchante erreur de casting !

Les fêtes nationales des années 1970 ont été puissantes parce que le peuple québécois se sentait en danger. Cinquante ans plus tard, le danger est toujours là. Mais les voix qui tentent de l’exprimer ont du mal à se faire entendre dans le tintamarre ambiant.

Avant, les nationalistes étaient tous du même bord et marchaient tous dans la même direction. Aujourd’hui, ils sont scindés par des idéologies différentes, créant ainsi des frictions entre les partis politiques voués pourtant aux mêmes objectifs. Avons-nous besoin d’un Bilodeaugate à cinq jours de la fête nationale ?

Je suis également assez vieux pour avoir connu les fêtes de la Saint-Jean des années 1980, qui, éteintes par un référendum déchirant, ont donné aux grands rassemblements des airs de fête triste. J’avoue, comme beaucoup d’autres personnes de ma génération, que c’est là que j’ai commencé à être infidèle à Paul Piché et à Corbeau pour m’en remettre aux groupes new wave.

Comme Gainsbourg, j’ai retourné ma veste au nom des synthétiseurs, de la langue de Shakespeare et du gel coiffant tenue extrême.

La Saint-Jean ne cesse d’évoluer et de renouveler son image. Certains experts en image de marque diraient qu’elle a un problème de branding.

Que célèbre-t-on au juste en 2023 ? À défaut d’indépendance, il faut s’en tenir à notre survivance. Ce qui demeure une maudite bonne raison de festoyer.

Quand je vois une jeune femme comme Léane Labrèche-Dor, dont le grand-père fut un grand nationaliste, devenir la porte-parole de cette 189e fête nationale, quand j’entends des artistes des Premières Nations chanter Un musicien parmi tant d’autres en 11 langues autochtones, quand j’écoute Pierre-Yves Lord à la radio décrire les frissons qu’il a eus en écoutant pour la première fois le disque 1 fois 5, ça me donne envie de fêter, une autre fois.

Au fond, il y a dans cette volonté de trouver de nouveaux sens à notre fête nationale, quelque chose qui nous distingue. Et nous garde vivants.

Bonne fête nationale, tout le monde ! Je vous souhaite de trouver votre Saint-Jean !