Est-ce qu’être riche rend inconscient ? Il est permis de se poser la question en suivant les nouvelles au sujet de la disparition de ce petit groupe de cinq personnes prêtes à payer des centaines de milliers de dollars pour aller visiter l’épave du Titanic dans les profondeurs de l’océan à bord d’un sous-marin tout ce qu’il y a de plus expérimental. Car plus nous en apprenons sur cette histoire, qui s’accompagne d’un sinistre suspense à mesure que les réserves d’oxygène diminuent dans l’habitacle, moins nous comprenons pourquoi des gens à qui tout sourit sont prêts à prendre de tels risques.

Ce petit sous-marin patenté est piloté par une manette de jeu vidéo ! En 2018, la société privée OceanGate, qui exploite l’engin, a licencié son responsable de la sécurité parce qu’il avait souligné des problèmes importants avec cet appareil.

Quand on sait que la science connaît mieux les fins fonds de l’univers que les bas-fonds de notre propre planète, on se dit qu’aller dans l’espace est peut-être moins dangereux, si on est vraiment obligé de se dépayser. Mais avez-vous remarqué que les riches ont les façons les plus spectaculaires de mourir, dans des écrasements de jet privé ou au sommet de l’Everest, par exemple ? Question de probabilité sans doute, quand le commun des mortels meurt généralement à l’hôpital. N’empêche, chaque fois, il faut déployer des ressources extraordinaires et collectives pour les sortir du pétrin et, au pire, trouver leurs dépouilles.

Pour que les bulletins de nouvelles s’ouvrent sur cette affaire, il faut forcément que ça nous passionne.

Des centaines de migrants se noient dans la Méditerranée chaque semaine, mais quelques riches en quête de sensations fortes coincés dans un tacot aquatique, voilà quelque chose ! Sauf que les migrants prennent des risques pour une question de survie, eux, tandis que les riches le font pour vivre leur best life.

Qui sait, peut-être ont-ils été attaqués par des orques. Depuis quelque temps, ces cétacés s’amusent à couler des bateaux en gang, un phénomène qui prendrait de l’ampleur et qui fascine les scientifiques, car ils transmettraient ce jeu à leurs descendants. Je prends plus pour les orques que pour les humains, qui se mettent dans le trouble volontairement, pour absolument rien. Les orques ont sûrement une bonne raison, comme les vaches de Saint-Sévère.

Non seulement je ne payerais pas un sou pour aller visiter le Titanic dans une boîte à savon, mais on m’offrirait un million de dollars pour le faire que je refuserais. Arthur Loibl, un aventurier allemand qui a déjà fait ce voyage en 2021, a raconté que, rétrospectivement, il s’agissait d’une « mission suicide ». « Il faut avoir les nerfs solides, ne pas être claustrophobe et être capable de rester assis les jambes croisées pendant dix heures », explique-t-il. « Ce doit être l’enfer là-dessous. Il n’y a que 2,5 m d’espace, il fait quatre degrés, il n’y a pas de chaise, pas de toilettes. »

Je n’ose même pas imaginer le cauchemar, à suffoquer dans le noir absolu des eaux glaciales avec d’autres touristes.

J’espère vraiment qu’ils seront retrouvés à temps, on a besoin de bonnes nouvelles et on prendra tout ce qui passe. Mais on parle du Titanic. Ce paquebot-là porte la poisse, il est devenu le symbole de la modernité arrogante qui se croit invincible et qui frappe son iceberg, en sauvant d’abord les clients de la première classe tout en laissant crever les plus pauvres. De plus, OceanGate a eu l’audace de baptiser son submersible du nom de Titan. C’est vouloir taquiner le mauvais œil, car ils n’ont probablement jamais lu The Wreck of the Titan (V.F. : Le naufrage du Titan), un court roman de Morgan Robertson, publié en 1898, 14 ans avant le naufrage du Titanic, dans lequel un paquebot appelé le Titan sombre dans l’Atlantique après avoir heurté un iceberg. L’essayiste Pierre Bayard a écrit un livre entier sur le caractère prophétique de cette œuvre (et d’autres), intitulé Le Titanic fera naufrage, que je vous recommande.

Savez-vous quel était le titre original du livre de Robertson ? Futilité.