N’en jetez plus ! La cour est pleine ! Entre les nouveaux projets d’infrastructures culturelles dont les factures explosent et le soin à procurer aux bâtiments vieillissants, le gouvernement du Québec ne sait plus où donner de la tête.

Des choix cruels devront être faits. Le milieu culturel doit s’y préparer.

Le dossier que nous publions aujourd’hui braque les projecteurs sur une situation qui aura d’énormes répercussions sur la viabilité et le développement de notre réseau culturel. Comme le diable est dans les détails, démêlons tout ça !

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Le gouvernement du Québec n’est pas une poche sans fond. Il ne pourra pas allonger indéfiniment des dizaines de millions pour chaque projet d’envergure qui se heurte à des dépassements de coûts comme il vient d’accepter de le faire pour le Musée d’art contemporain, une société d’État.

Pour mieux comprendre la mécanique, il faut savoir qu’il existe des différences marquées dans la nature des projets soumis au ministère de la Culture et des Communications (MCC), comme le souligne à juste titre André Courchesne, directeur de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux de HEC Montréal.

Ceux qui touchent les sociétés d’État (Place des Arts, Grand Théâtre, Musée national des beaux-arts du Québec, etc.) bénéficient d’une attention plus grande de la part du Ministère. Normal, le Ministère en est responsable.

La chose est différente pour les institutions culturelles qui sont des OBNL. Les membres de leur direction et leur conseil d’administration vont devoir faire preuve d’une vigilance accrue s’ils lancent un projet. Dans le cas d’un dépassement de coûts, il sera plus difficile pour eux d’aller frapper de nouveau à la porte du Ministère. La pression sera énorme.

Si j’étais président du C.A. d’un théâtre qui mène un projet de rénovation, je me serrerais les fesses. Ces institutions devront trouver des moyens pour régler leurs problèmes de gonflement de coûts. La philanthropie joue un rôle de plus en plus important au Québec, mais elle a ses limites.

Le gouvernement devra faire des choix cruels, dis-je ! On a beau multiplier les pointes de la tarte, la tarte demeure à peu près la même. Nous sommes au Québec.

Un exemple éloquent de cette réalité est le formidable projet du Cube, qui aurait réuni un centre international de recherche, la Maison Théâtre et les compagnies de théâtre Le Carrousel et Le Clou autour d’un pôle artistique consacré à l’enfance et à la jeunesse.

Les coûts totaux avoisinaient les 80 millions. Des documents ont été déposés à Québec en novembre dernier. Après des mois de silence, les responsables du projet en sont venus à la conclusion qu’ils devaient passer à autre chose.

Et puis, il y a le projet du musée McCord, qui s’est fait répondre par le Ministère de retourner à sa table à dessin et à sa calculatrice.

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Il y a les projets de nouvelle construction ou d’agrandissement, mais il y a aussi le maintien des lieux culturels. Beaucoup d’immeubles à vocation culturelle arrivent à une étape critique de leur vie, car une majorité a vu le jour au tournant des années 1970.

Certains ont besoin d’amour. De beaucoup d’amour.

Ces coûts de maintien sont liés à la régionalisation de notre culture qui est sans doute la plus belle réussite des dernières décennies. Aujourd’hui, la plupart des villes de grandeur moyenne possèdent un lieu consacré à la culture, que ce soit pour les arts de la scène ou les arts visuels.

C’est formidable ! C’est extraordinaire ! Mais cela a un prix. Les demandes viennent de partout et se multiplient.

Le danger qui nous guette est que les projets de grande envergure dont les coûts ne cessent de croître écrasent les autres. Ou les mettent éternellement dans une salle d’attente.

Je ne suis pas en train de dire que le gouvernement doit répondre à toutes les demandes et à toutes les urgences. Nous serions les premiers à dénoncer une gestion désinvolte des deniers publics.

Mais une question s’impose : avons-nous les moyens de mener de front autant de nouveaux projets tout en veillant à la survie des infrastructures existantes ?

Le secteur de la culture devra jouer du coude avec ceux de la santé et de l’éducation pour faire passer ses demandes. Entre ces deux pôles, la culture fait difficilement le poids.

Vous vous demandez sûrement ce que peuvent faire Ottawa et les municipalités de leur côté. Le fédéral a des enveloppes (souvent conditionnelles à la décision de Québec) qui servent surtout à l’achat ou au renouvellement d’équipements. Quant aux villes, elles peuvent céder des terrains ou des bâtiments qu’il faut souvent ensuite rénover.

Pour les institutions culturelles, le gouvernement du Québec demeure donc la principale cible à atteindre ! Ou à séduire.

Le gouvernement, le ministère de la Culture et des Communications particulièrement, se trouve dans une situation peu enviable où, peu importe ce qu’il fera, il sera perdant.

S’il préfère un projet à un autre, il sera critiqué sur la place publique. S’il met trop longtemps des projets sur la glace, on lui reprochera de négliger la culture.

Une profonde réflexion sur la responsabilité de nos institutions culturelles doit se faire. La solution passe peut-être par un fonds consacré à la réfection et à la construction de lieux culturels comme on le fait pour le patrimoine. Cela serait une forme d’assurance pour ceux et celles qui dirigent les théâtres et les lieux de diffusion au Québec.

Dans un tel contexte, il faut s’arrêter un instant sur le mégaprojet des Espaces bleus qui ne pouvait pas plus mal arriver. Peut-on s’offrir le luxe d’aller plus loin avec ce concept dont les quatre premiers volets ont avalé goulûment des dizaines de millions ? Il est difficile de connaître les intentions du gouvernement, car ce projet est devenu une sorte de Voldemort à Québec.

L’histoire de notre culture est bâtie sur des choix, des sacrifices, des luttes et beaucoup d’acharnement. Vous savez quoi ? Plus que jamais elle se poursuit ainsi.