Il y a le Musée d’art contemporain, dont le projet d’agrandissement de 57 millions n’a cessé d’être reporté – et coûtera finalement plus de 116 millions –, le musée McCord Stewart, reporté d’au moins cinq ans, et maintenant la reconstruction du Théâtre de la Vieille Forge de Petite-Vallée, paralysée. De plus en plus d'institutions culturelles sont aux prises avec une spirale inflationniste qui entraîne le report de certains projets. Et qui met de la pression sur les gouvernements.

La reconstruction du Théâtre de la Vieille Forge de Petite-Vallée, en Gaspésie, devait commencer cet été. Aujourd’hui, le projet est paralysé.

Depuis qu’un incendie a ravagé le théâtre en 2017, le directeur général et artistique du Village en chanson, Alan Côté, a suivi toutes les étapes nécessaires pour obtenir le financement des deux ordres de gouvernement, en plus de mener une campagne privée pour récolter des fonds.

Une fois le plan fonctionnel et technique complété, le projet a été évalué à 14 millions. Mais dès le mois de mai 2022, il y avait un dépassement de 2,9 millions de dollars, nous dit Alan Côté.

PHOTO ALEXANDRE COTTON, FOURNIE PAR LE FESTIVAL EN CHANSON DE PETITE VALLÉE

Le chapiteau temporaire de Petite-Vallée a été planté à l’endroit même où le Théâtre de la Vieille Forge se trouvait, au bord du fleuve.

Au cours de la dernière année, l’écart a continué de se creuser. La rareté de la main-d’œuvre spécialisée en région et le coût des matériaux en sont la cause principale, croit M. Côté, qui évoque aussi la hausse des taux d’intérêt. « Ils étaient de 3,7 % au début du projet, de 5 % au dépôt du concept et de 8,7 % au moment de l’appel d’offres », précise-t-il.

L’appel d’offres s’est terminé à la fin du mois de mai dernier. Le plus bas soumissionnaire dépassait les prévisions de 1 million et le deuxième, de 5 millions ! Aujourd’hui, la reconstruction du théâtre est évaluée à 19,6 millions, soit 5,6 millions de plus que le montant de départ.

« Ça va nous coûter 1,6 million d’intérêts sur deux ans le temps qu’on construise… Ça me fait capoter. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Le fondateur du Festival en chanson de Petite-Vallée, Alan Côté, attend de savoir si et quand les deux ordres de gouvernement vont intervenir pour qu’il puisse commencer les travaux de construction du nouveau Théâtre de la Vieille Forge.

On est fatigués. On ne peut rien faire tant que les deux ordres de gouvernement ne nous aident pas à combler cet écart. Depuis 2017 qu’on produit notre festival dans un chapiteau temporaire, mais il y a urgence, parce que même ces équipements-là vont bientôt devoir être remplacés…

Alan Côté, fondateur du Festival en chanson de Petite-Vallée

Le ministère de la Culture et des Communications, qui devait injecter près de 10 millions dans ce projet, a indiqué que « les analyses se poursuivaient entre l’organisme et le Ministère ». « Je suis en contact avec eux, nous dit le directeur général du festival. Personne n’est surpris, on se fait rassurant, mais on ne m’a rien proposé de concret… »

Du côté de Patrimoine canadien, pas d’engagement concret à ce stade-ci non plus. « On a été là pour soutenir nos artistes et on va continuer d’être là », a simplement réagi le ministre Pablo Rodriguez.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Chantier de construction du TNM

D’autres projets en dépassement

Le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) s’est lancé lui aussi dans d’importants travaux d’agrandissement en 2021. D’abord estimé à 20,2 millions, le coût a bondi au cours de la dernière année. Le ministère de la Culture et des Communications a annoncé une aide additionnelle de 6 millions de dollars (pour une contribution totale de 17,9 millions) l’été dernier – à la suite de l’incendie qui a retardé les travaux.

Le coût global du projet est maintenant évalué à 31,5 millions. L’inauguration des nouveaux espaces du TNM, qui était prévue cette année, est maintenant annoncée pour 2024.

« Au cours des dernières années, plusieurs projets ont subi les effets de la surchauffe du marché de la construction, l’augmentation des coûts des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre ont affecté tous les projets d’immobilisations, reconnaît le ministère de la Culture et des Communications dans une communication écrite à La Presse. Le TNM n’y a pas échappé. »

D’autres projets immobiliers ont été reportés, mais sont toujours actifs. Que ce soit Phi Contemporain, dont les travaux prévus à l’automne – évalués à 100 millions pour le moment – débuteront seulement le printemps prochain (vu la complexité du projet, nous dit-on), ou encore les fameux Espaces bleus. Quatre d’entre eux sont en cours (trois sont en dépassement), mais les quatorze autres ? Le Ministère nous a répondu que « la cadence du déploiement du réseau est revue en fonction du contexte économique actuel ».

Lisez l’article « Espaces bleus : les contribuables dans le noir »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancienne bibliothèque Saint-Sulpice deviendra la Maison de la chanson et de la musique.

L’heure des choix

Cette hausse des coûts de construction ajoute évidemment une pression aux deux ordres de gouvernement, qui ont prévu dans leur calendrier de nouveaux chantiers importants au cours des cinq prochaines années.

Parmi eux, mentionnons l’agrandissement du Musée d’art contemporain, la construction d’un nouveau musée de l’Holocauste, l’agrandissement du théâtre Les Gros Becs, la construction de l’aile Riopelle au Musée national des beaux-arts du Québec, l’aménagement de la Maison de la chanson et de la musique dans l’ancienne bibliothèque Saint-Sulpice, le déménagement de la Maison Théâtre… qui dit mieux ?

Comment le gouvernement compte-t-il financer tous ces chantiers immobiliers, dont les coûts risquent de dépasser ceux initialement prévus ?

À Patrimoine canadien, on se fait encourageant. « Le Ministère, à travers le Fonds du Canada pour les espaces culturels, va allouer du financement pour répondre à l’augmentation des coûts des projets et aux dépassements de coûts qui se produisent dans le cadre de projets d’infrastructure artistique et culturelle financés. Ce soutien aidera les organismes artistiques et patrimoniaux qui subissent des pressions inflationnistes importantes en plus des défis associés à la pandémie. »

Du côté de Québec, pas de promesse de fonds spéciaux, mais une volonté de continuer à soutenir le milieu culturel.

« Les coûts de construction ont explosé et ce partout dans le monde. Notre engagement auprès des partenaires ne diminuera pas pour autant, a soutenu le ministre Mathieu Lacombe dans une communication écrite envoyée à La Presse. Il est certain que nous allons continuer de regarder les projets qui se présenteront à nous. Je veux d’ailleurs saluer le travail de toutes les institutions qui travaillent fort pour reconsidérer leur projet, tenter de trouver des moyens de faire diminuer les coûts. »

Patrimoine canadien évoque également le travail qui se fait en collaboration avec le ministère de la Culture et des Communications du Québec. « Des rencontres ont lieu entre [Patrimoine canadien] et le ministère de la Culture et des Communications du Québec pour discuter des questions reliées aux arts et à la culture incluant les infrastructures culturelles et les dépassements de coûts qui se produisent dans le cadre de projets d’infrastructure artistique et culturelle financés. »

« La preuve que notre gouvernement reste à l’écoute, ajoute le ministre Lacombe, c’est que depuis huit mois, pour chacun des projets qui m’a été présenté, on a trouvé des solutions. Je pense au lieu de diffusion spécialisé en théâtre et en danse pour l’enfance et la jeunesse à Sherbrooke, le MAC qui est enfin débloqué, le projet d’agrandissement du TNM à Montréal, l’agrandissement du Théâtre du Bic dans la région de Rimouski, le musée maritime de Charlevoix, etc. »

Selon André Courchesne, professeur associé à la chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi Marcoux de HEC Montréal, des choix difficiles devront être faits, les deux ordres de gouvernement n’ayant pas les moyens de tout financer.

« Il y a aussi un principe à respecter, indique le professeur de HEC Montréal, c’est qu’on ne peut pas construire un édifice qui va créer la faillite de l’organisme à qui on vient en aide. Les gouvernements doivent tenir compte de cela et les organismes qui ont un très petit budget de fonctionnement doivent avoir la sagesse de se retirer de certains projets qui sont au-dessus de leur capacité de gestion, surtout dans un contexte inflationniste. »

PHOTO CHARLES LABERGE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

La Maison symphonique a coûté 266 millions au lieu des 100 millions prévus en 2011.

Pas nouveau

Indépendamment du contexte inflationniste et post-pandémique actuel, les dépassements de coûts dans la construction d’édifices culturels ne sont pas nouveaux, estime André Courchesne. « Il y a un facteur de rareté, nous dit-il. Le fait qu’ils soient tous spécifiques, que ce soit des modèles uniques, entraîne des coûts supplémentaires. »

Le spécialiste en gestion culturelle donne quelques exemples. La Maison symphonique a coûté 266 millions au lieu des 100 millions prévus en 2011. Le pavillon Lassonde du Musée national des beaux-arts du Québec a coûté 103 millions au lieu de 90 millions, le Diamant, 60 millions au lieu de 47… Et si on remonte à 1963, la Place des Arts a coûté 25 millions au lieu des 12 millions prévus, l’équivalent de 127 millions en dépassement, en tenant compte de l’inflation.

En y regardant de plus près, le professeur Courchesne a constaté que les dépassements les plus importants concernaient les édifices publics ou parapublics. « Lorsqu’un projet est géré par le conseil d’administration d’un organisme à but non lucratif, comme Le Diamant, à Québec, les administrateurs sont peut-être plus vigilants parce que c’est la survie même de l’organisme qui est en jeu. »

L’entretien des immeubles : un autre défi

Selon les Plans annuels de gestion des investissements publics en infrastructures 2023-2024, le déficit de maintien d’actifs (DMA) des infrastructures en culture est passé de 108,4 millions à 261,7 millions en un an ! On parle de musées, de bibliothèques, d’immeubles patrimoniaux (notamment ceux de la SODEC) ou de lieux de diffusion comme les salles de la Place des Arts et le Grand Théâtre de Québec. Une situation attribuable « à la dégradation naturelle observée sur certains immeubles », mais aussi « à la surchauffe du marché de la construction », qui a forcé le gouvernement à revoir les coûts à la hausse de travaux qui ont dû être reportés, peut-on lire dans le document publié par le Conseil du Trésor. Au Grand Théâtre de Québec, par exemple, on parle de la mise aux normes du système de ventilation, des gicleurs d’incendie et des ascenseurs. Par ailleurs, on note que 30 % des équipements spécialisés des lieux de diffusions sont en mauvais état (D), et 6 % en très mauvais état (E).

Des nouvelles de chantiers

La Maison de la chanson et de la musique

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancienne Bibliothèque Saint-Sulpice deviendra la Maison de la chanson et de la musique

La transformation de l’ancienne Bibliothèque Saint-Sulpice en Maison de la chanson et de la musique a été annoncée à l’été 2022. Le projet d’environ 50 millions, mis en branle par l’animatrice Monique Giroux et le parolier Luc Plamondon, est dirigé par la Société québécoise des Infrastructures (SQI). Selon Monique Giroux, le projet suit son cours. « On est à l’étape du plan fonctionnel et technique, donc ça avance bien. » L’appel d’offres sera fait à l’automne dans le but de commencer les travaux en 2024. Si tout va bien, la Maison de la chanson et de la musique ouvrira trois ans après, soit en 2027.

Phi Contemporain

PHOTO FOURNIE PAR PHI

Maquette pour la construction de Phi Contemporain. signée Kuehn Malvezzi+Pelletier de Fontenay

La construction d’un nouveau toit pour abriter la Fondation Phi à l’intersection des rues Saint-Paul et Bonsecours, dans le Vieux-Montréal, devait débuter cette année. La complexité du projet a forcé les concepteurs à repousser le début des travaux au printemps prochain. C’est le consortium berlino-québécois (Kuehn Malvezz+Pelletier de Fontenay) qui sera responsable de la conception architecturale de Phi Contemporain. Un projet estimé à 100 millions – pour le moment – qui devrait être bénéficier d’une aide de 26,6 millions des deux ordres de gouvernement (13,3 millions chacun), la balance étant assumée par la fondatrice de Phi, Pheobe Greenberg. Phi Contemporain devrait être inauguré en 2027.

La Maison Théâtre

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La Maison Théâtre, rue Ontario

L’unique diffuseur de théâtre jeunesse à Montréal est dans une impasse. Son bâtiment appartient au cégep du Vieux Montréal, qui voudrait le récupérer. Depuis des années, les deux partenaires caressent le projet de construire une deuxième salle qu’ils pourraient partager. Mais ce projet n’a jamais abouti. Dans ce contexte, la directrice générale de la Maison Théâtre, Isabelle Boisclair, nous a confirmé avoir identifié un nouveau lieu dans le Quartier latin, qui pourrait abriter le théâtre. De son côté, le Ministère s’est engagé à « accompagner la Maison Théâtre dans son projet de relocalisation ». Mais aucun calendrier ni aucun budget n’a encore été annoncé.

En savoir plus
  • 31,5 millions
    Nouvelle estimation du coût des travaux en cours au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) à Montréal. Le coût estimé en 2021 était de 20,2 millions.
    Source : ministère de la Culture et des Communications
    19,6 millions
    Nouvelle estimation du coût de reconstruction du Théâtre de la Vieille Forge de Petite-Vallée, en Gaspésie. Le coût estimé en 2017 était de 14 millions.
    Source : Alan Côté, président et fondateur du Festival en chanson de Petite Vallée
  • Plus de 200 millions
    Nouvelle estimation du coût de reconstruction du Musée McCord Stewart. Le coût estimé en 2019 était de 180 millions.
    Source : Musée McCord Stewart