L’évolution des coûts et des échéances estimés des Espaces bleus, réseau de musées de la « fierté québécoise » annoncé en 2021 par la CAQ, n’est plus accessible au public, a statué la Société québécoise des infrastructures (SQI), responsable de l’exécution des travaux. De nouveaux dépassements budgétaires semblent toutefois inévitables.

La divulgation de ces informations « pourrait nuire aux intérêts économiques de la Société en raison des contrats devant être octroyés », invoque notamment le responsable de l’accès à l’information de l’organisme gouvernemental. Les données concernent des « avis faits depuis moins de dix ans par des membres de son personnel » ou des « processus décisionnels en cours », plaide-t-il également.

Or, ces informations ont été divulguées au Soleil en décembre 2022, sans qu’aucun de ces motifs ne soit alors invoqué. Le quotidien de Québec a alors pu révéler que d’importants dépassements de coûts étaient à prévoir pour ce projet d’infrastructures évalué à 262 millions au moment de son annonce. Comme la SQI refuse maintenant de diffuser ses estimations, impossible de savoir comment la situation a évolué près de six mois plus tard. La Presse a fait une demande d’accès à l’information pour obtenir des données mises à jour, mais dans les documents transmis, les chiffres d’intérêt ont été caviardés.

Projet-phare de la CAQ dévoilé en trombe il y a deux ans presque jour pour jour, le réseau des Espaces bleus doit comprendre à terme 18 « pôles culturels dédiés à l’identité québécoise » sis dans autant de bâtiments patrimoniaux partout au Québec.

Selon les estimations publiées en décembre 2022, les quatre Espaces bleus sur les rails accaparaient déjà 153 des 262 millions budgétés par le gouvernement Legault. La mise sur pied du « vaisseau amiral » du réseau, dans le pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec, était par exemple évaluée à 60 millions, alors que les contribuables devaient d’abord y investir 47,25 millions, révélait Le Soleil.

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Le tableau de bord de la SQI annonçait aussi des dépassements de coûts à Percé, en Gaspésie, à Amos, en Abitibi-Témiscamingue, et à Baie-Saint-Paul, dans Charlevoix. En théorie, il ne restait donc que 109 millions dans l’enveloppe réservée aux Espaces bleus par la CAQ pour l’acquisition, la mise à niveau et l’aménagement de 14 nouveaux bâtiments. Ces informations ont eu d’importants échos politiques, jusqu’à tout récemment pendant l’étude des crédits budgétaires en culture.

PHOTO ÉRICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe

« Pour poursuivre l’ensemble du déploiement dans toutes les régions du Québec, ça nous prendra plus que 262 millions », a admis le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, en réponse à une interrogation de sa vis-à-vis libérale Michelle Setlakwe.

« C’est vraiment contre la volonté du gouvernement », a-t-il précisé.

Il y a une explosion dans les coûts de construction partout au Québec, pas juste dans les projets gouvernementaux, mais aussi dans l’industrie privée. Donc, c’est sûr que ça va nous prendre plus que ça.

Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications

Pour la première fois publiquement, M. Lacombe n’a pas écarté l’abandon de chantiers d’Espaces bleus au besoin. « Tant que les coûts, pour un établissement, restent raisonnables, on garde le cap, a-t-il déclaré pendant l’étude des crédits. Si les coûts deviennent déraisonnables, évidemment, on prendra des décisions au cas par cas, mais, pour l’instant, on garde le cap. »

« Afin de respecter l’enveloppe financière accordée à ce grand projet et pallier la hausse de coûts, la cadence de déploiement du Réseau a été revue », explique en outre le ministère de la Culture et des Communications dans un courriel transmis à La Presse. « Le caractère exceptionnel de requalification des bâtiments patrimoniaux selon les plus hauts standards explique en partie l’ampleur des coûts reliés au projet », indique-t-il.

Le ministre Lacombe, qui doit faire une annonce en lien avec les Espaces bleus dans les prochaines semaines, n’était pas disponible pour une entrevue. Silence aussi du côté du Musée de la civilisation, maître d’œuvre du projet : « Pour le moment, nous n’accordons pas d’entrevue » sur les Espaces bleus, a fait savoir la porte-parole Agnès Dufour.

« Dans le néant »

« Il y a un énorme point d’interrogation pour la suite des choses », déplore Mme Setlakwe, députée libérale et porte-parole de l’opposition officielle en matière de culture, en entrevue avec La Presse. « Les 14 autres Espaces bleus, je suis dans le néant, dans le flou total, au point où je me dis : ça ne se fera pas. »

Il faut être transparent : ce sont des fonds publics substantiels qui sont annoncés dans ce projet-là.

Michelle Setlakwe, députée libérale et porte-parole de l’opposition officielle en matière de culture

Pourquoi les mises à jour de la SQI qui étaient naguère accessibles ne le sont plus aujourd’hui ?

Selon les explications du responsable de l’accès à l’information, l’avocat Simon Bégin, les coûts estimés des projets ont été fournis au Soleil parce qu’ils étaient déjà publics, par exemple par l’entremise du Tableau de bord des projets d’infrastructure du Trésor. Or, cet outil n’a jamais affiché – et n’affiche toujours pas au moment de publier – les chiffres révélés par le quotidien le 17 décembre 2022.

Budget réseau des Espaces bleus
  • Aperçu du tableau de suivi fourni par la SQI au Soleil le 5 décembre 2022

    IMAGE TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

    Aperçu du tableau de suivi fourni par la SQI au Soleil le 5 décembre 2022

  • Aperçu du tableau de suivi fourni par la SQI à La Presse le 17 mai 2023

    IMAGE TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN, LA PRESSE

    Aperçu du tableau de suivi fourni par la SQI à La Presse le 17 mai 2023

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La question des échéances demeure tout aussi floue. Le tableau de suivi obtenu par La Presse permet toutefois de noter que les dates de mise en chantier et d’ouverture de l’Espace bleu de Baie-Saint-Paul, prévues respectivement pour mai 2023 et juin 2025, ont été remplacées par « à venir ».

« C’est dommage et préoccupant », commente Michelle Setlakwe à l’égard du manque d’informations fraîches. Surtout, croit-elle, que les Espaces bleus risquent de mettre en péril la mission des musées régionaux existants qui souffrent déjà d’un manque de financement.

« La transparence et une reddition de comptes sont essentielles dans de telles circonstances, car la population doit être informée des nouveaux développements dans ce dossier, tant au niveau des coûts, de l’échéancier ou des démarches de consultations. »

S’il fallait se fier au calendrier initial, l’Espace bleu de la capitale accueillerait ses premiers visiteurs ce mois-ci. Or, il y a loin de la coupe aux lèvres : l’inauguration a été reportée une première fois au mois de juin 2024, puis au mois de mai 2025, selon la plus récente estimation du Conseil du trésor.