Il faut du temps aux artisans de la télé pour trouver leur rythme dans une nouvelle émission, mais aussi aux spectateurs pour s’y habituer. Par exemple, Le monde à l’envers, animé par Stéphan Bureau, a trouvé son ton et son style sans devenir un franc concurrent de Tout le monde en parle comme on pensait que cela allait arriver. Cependant, les deux émissions ont en commun d’être diffusées en direct, ce que je trouve toujours plus intéressant pour ce genre de show de chaises : on ne sait jamais qui va en échapper une, les malaises ne sont pas gommés, la spontanéité non plus.

Pour cette raison, d’habitude, je laisse passer trois bonnes semaines avant de juger une nouveauté, mais dans le cas de Je viens vers toi, le nouveau talk-show de Marc Labrèche, ce ne sera pas nécessaire. On voit déjà le potentiel de l’émission, malgré son étrange format de deux soirs par semaine. Ni quotidienne ni hebdomadaire, c’est une courtepointe de tout ce que Marc Labrèche a réussi à créer depuis La fin du monde est à 7 heures, à laquelle j’ai voué un culte à la fin des années 1990. Même le segment météo, qui était l’un de mes préférés – impossible d’oublier les performances de Normand L’Amour et de Pol Pelletier — est de retour et Dieu sait ce que ça donnera selon les invités.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Marc Labrèche

S’il y a un animateur qui a besoin de temps pour créer le style d’une émission, c’est bien Marc Labrèche, qui veut toujours insuffler un peu de théâtre expérimental dans le genre. Il a fallu des semaines pour que La fin du monde est à 7 heures à la jeune chaîne TQS commence à ressembler à quelque chose, mais c’est dans cette confusion que sont nées les meilleures idées que Labrèche utilise encore aujourd’hui, maintenant à Noovo.

Marc Labrèche est un phénomène unique de la télé québécoise, à la fois comédien et animateur — entertainer, aime-t-il dire — qui s’est fait un nom en étant le Prof Bof au Club des 100 watts, Rénald dans La petite vie ou Brett-Brad-Brenda-Clifford dans Le cœur a ses raisons, en plus d’avoir animé La fin du monde est à 7 heures, Le grand blond avec un show sournois et 3600 secondes d’extase.

Son CV est impressionnant, et contient aussi des rôles au cinéma et au théâtre, notamment de Robert Lepage.

J’ai trouvé intéressant qu’il parle de la fin difficile du Grand blond qu’il animait alors que sa conjointe combattait un cancer. Il a évoqué le sentiment d’un dialogue interrompu avec « sa public », malgré plusieurs émissions ensuite, dont la plus récente était Cette année-là à Télé-Québec. Elle n’avait pas les plus hautes cotes d’écoute, mais de là s’échappaient sur les réseaux sociaux ses capsules humoristiques, peut-être plus vues que l’émission elle-même.

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Marc Labrèche avec les musiciens de l’émission

Il sera toujours coincé avec ça, car personne ne se lasse de ses imitations qui atteignent un tel niveau d’absurdité qu’elles surpassent parfois la persona des vedettes imitées. Cette fois, c’est sa propre famille qu’il caricature dans Les Labrèshian, avec sa mère, sa fille et son gendre dans une sorte de version des pauvres des Kardashian — il n’y a pas encore assez d’épisodes pour savoir où ça s’en va, mais on croise les doigts.

En ce qui concerne le plateau, la chanson-thème de Je viens vers toi est un ver d’oreille, et il faut en remercier l’excellent orchestre maison, particulièrement bon et bien mis en valeur. On n’a pas encore vu tous les collaborateurs, mais on comprend assez rapidement la chimie que Labrèche veut créer, qui est faite de légèreté et d’absurde, ce qui est bienvenu dans une programmation printanière, et aussi parce qu’il y a beaucoup d’émissions de parle-parle jase-jase qui couvrent l’actualité dans notre télé. Bien avant Jean-Philippe Wauthier, Marc Labrèche a imposé l’atmosphère des entrevues et des discussions décousues. Parfois, c’est du n’importe quoi, et d’autres fois, ça crée un délire irrésistible.

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Marc Labrèche

J’ai tout de suite aimé les interruptions de l’animateur qui va déranger les gens du public pour rien, quand il boit le vin d’un monsieur ou d’une madame ne l’ayant pas vu venir, pour se donner une pause et réfléchir à voix haute, en insérant des silences auxquels ce type d’émission est d’habitude allergique. Je me rends compte alors que ce que j’ai toujours préféré dans ses talk-shows, ce sont ces niaiseries imprévisibles, mais savamment prévues par « l’entertainer ».

Bon, ça commence à paraître que je fais partie de « sa public » depuis longtemps, trop contente qu’il revienne vers nous et curieuse pour la suite. Disons qu’il tombe à point, car je serai bientôt en sevrage sévère de STAT et d’Indéfendable.