Les auteurs du Québec suivent avec attention le combat des scénaristes hollywoodiens, qui pourraient bientôt déclencher une grève et torpiller la production de quantité de films et séries attendus. Car malgré des réalités différentes, ils partagent de nombreuses préoccupations.

La semaine dernière, les membres du syndicat des scénaristes américains de cinéma et télévision, la Writers Guild of America (WGA), ont voté massivement (98 %) en faveur d’un arrêt de travail. Le taux de participation au scrutin affichait 79 %. Un record.

La convention qui unit l’association à l’Alliance des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP), qui représente les grands studios (Disney, Sony, Paramount, Universal, Warner Bros.), les services de vidéo sur demande (Netflix, Apple TV+, Prime Video) et l’ensemble des chaînes généralistes (ABC, CBS, FOX, NBC) aux États-Unis, arrive à échéance le 1er mai. Après cette date, une grève pourrait éclater n’importe quand.

Chez nous, les négociations par rapport aux conditions de travail des scénaristes américains retiennent l’attention du syndicat canadien des scénaristes de langue française, la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC). Les discussions entourant la réduction des délais d’écriture aux États-Unis interpellent la directrice générale de l’organisme, Pauline Halpern, probablement parce qu’elle sait qu’ils doivent être encore plus serrés au Québec.

« Aujourd’hui plus qu’hier, on demande aux auteurs d’écrire extrêmement rapidement, dans des délais extrêmement courts », résume-t-elle.

C’est un problème qui affecte nos auteurs et qui s’est beaucoup posé en pandémie. Chaque fois qu’il y avait des règles sanitaires qui changeaient, une réécriture était nécessaire, pour faire en sorte que tel comédien garde une distance de deux mètres avec tel autre comédien, etc. C’est un problème qu’on connaît bien.

Pauline Halpern, directrice générale de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma

La rapidité d’exécution exigée en production jeunesse au Québec inquiète particulièrement Pauline Halpern. « La santé mentale des auteurs, c’est vraiment très, très important. Le risque de burn-out est réel », insiste-t-elle.

Redevances sous la loupe

D’autres revendications américaines résonnent ailleurs qu’aux États-Unis. Parmi elles, les redevances pour l’exploitation des œuvres occupent une place spéciale, surtout avec l’éclosion récente des plateformes de visionnement en ligne. Au Canada, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), chargée de négocier, percevoir et répartir les redevances des scénaristes, suit étroitement ce dossier chaud.

« Actuellement, nous avons des ententes avec ICI Tou.tv et Club illico, et c’est tout, souligne Élisabeth Schlittler, déléguée générale au Canada du regroupement. Les plateformes américaines sont réfractaires. Selon elles, les droits pour l’exploitation des œuvres, c’est complètement accessoire. Elles refusent d’offrir une rétribution. C’est pour ça qu’on se bat. »

Aux États-Unis, la WGA estime qu’elle n’a pas profité de l’explosion des séries télé des dernières années. Les plateformes poussent de partout, le nombre de feuilletons grimpe en flèche, mais rien n’aurait changé du côté des auteurs, qui créent pourtant la matière première.

« Le système des Américains ne reflète pas l’extraordinaire développement du secteur des services de vidéo sur demande », explique Pauline Halpern.

Comment doit-on faire pour calculer les redevances ? Est-ce qu’on fixe le montant en fonction du service de vidéo sur demande ? Selon la durée ? Le nombre de clics ? C’est un sujet sur lequel on travaille.

Pauline Halpern, directrice générale de la SARTEC

L’intelligence artificielle et l’augmentation du salaire minimum font également partie des points qui accaparent les discussions entre scénaristes et producteurs. Encore une fois, la SARTEC comprend leur pertinence.

« L’inflation est internationale, observe Pauline Halpern. Elle touche les États-Unis, et elle est très, très présente ici. On parle de 7 % à 8 % en moyenne. Et quand on regarde les produits de consommation courante ou encore les loyers, elle est encore plus grande. On doit augmenter les tarifs minimums. »

PHOTO BRYAN DERBALLA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Jimmy Fallon anime The Tonight Show.

Séries menacées

S’ils exercent l’option d’une grève, les scénaristes américains paralyseront Hollywood. Lors du dernier arrêt de travail, en 2007, les saisons de nombreuses séries à succès comme Lost, The Office et Big Bang Theory avaient été écourtées. Pour pallier ce manque, les diffuseurs avaient commandé nombre de téléréalités, un genre qui n’exige aucun scénario. De plus, l’ensemble des talk-shows de fin de soirée étaient entrés en mode rediffusion, faute d’auteurs disponibles pour écrire des blagues sur l’actualité. La même chose arrivera au Tonight Show de Jimmy Fallon et autres Saturday Night Live, a averti la WGA dans une note publiée vendredi.

Est-ce qu’une grève des auteurs pourrait éventuellement survenir au Québec ? Oui, nous répond la SARTEC. En effet, la Loi sur le statut professionnel des artistes permet aux associations d’artistes de faire des « actions concertées » dans le cadre des négociations d’une entente collective, mais dans certaines circonstances seulement.

Par ailleurs, la SARTEC affiche sa solidarité avec la WGA. Elle invite ses membres à s’abstenir d’accepter un contrat d’écriture qui tomberait sous la juridiction du syndicat américain pour toute la durée d’une éventuelle grève.

« Parmi nos membres, plusieurs sont bilingues et pourraient être sollicités, explique Pauline Halpern. On les encourage à ne pas poser de gestes qui pourraient nuire à leurs efforts. »