La grande Ginette Reno aura 77 ans le 28 avril et pour son anniversaire, elle s’offre non seulement un 42album, C’est tout moi, mais lance aussi sa première autobiographie, simplement intitulée Ginette.

J’avais très hâte de la rencontrer, mais une sale grippe, ma première en trois ans, a fait que nous avons plutôt discuté au téléphone. Ginette Reno sort à peine de deux opérations, l’une au cœur et l’autre à la vésicule biliaire, et doit être en forme pour sa promotion et sa prestation à l’émission La voix ce dimanche. « J’aurais bien aimé vous voir la face, mais je ne mériterais pas ça », me dit-elle en me remerciant de lui éviter le virus. « J’ai des journées extraordinaires et d’autres, je chancelle. Il ne faut pas oublier que je ne suis plus sur la garantie, moi là ! »

C’est bien parce que le temps file et que personne n’est éternel qu’on n’a pas cessé de lui réclamer une biographie, elle qui est considérée comme la plus grande voix du Québec (oui, oui, avant Céline). En plus d’être l’une des personnalités les plus inextricablement liées à l’ADN du Québec, assez pour devenir le porte-bonheur du Canadien de Montréal quand elle chante l’hymne national pendant les séries. Sans oublier son franc-parler et son humour qui font qu’on attend depuis longtemps qu’elle nous raconte sa vie et les coulisses du showbiz des 60 dernières années. Il y a bien eu quelques biographies non autorisées dans le passé, mais on attendait LA bio.

Je ne vous cacherai pas que j’espérais lire un million de potins croustillants et connaître toutes les émotions de Ginette au fil de son parcours artistique légendaire, mais cette autobiographie sans photos (écrite en collaboration avec l’artiste Lambert) est plutôt un ovni au ton très personnel, voire « croissance personnelle ». Un collage de souvenirs disparates, de réflexions intimes, d’extraits de chansons et de prières, traversés par de grandes souffrances. Il était important pour elle de raconter qu’elle n’est pas « qu’une chanson », selon le titre de l’un de ses plus grands succès.

J’avais envie de parler des vraies affaires. Le monde sait comment je chante et ce que j’ai fait, et je me suis dit que, peut-être, le monde préférerait savoir ce que Ginette fait dans sa vie. Comment je prie, comment j’apprends à me sortir de telle ou telle affaire. J’ai pensé qu’écrire là-dessus serait bien plus le fun.

Ginette Reno

Aussi bien crever l’abcès tout de suite, car cela a fait couler beaucoup d’encre : pourquoi cette autobiographie ne sera-t-elle en vente que dans les pharmacies Jean Coutu et sur son site web, se privant ainsi du réseau des librairies et des bibliothèques ? « S’ils veulent mes livres, ils m’en demanderont, règle-t-elle ça en une réponse. J’ai été très échaudée dans ma vie par les retours autorisés. Ça coûte très cher, c’est difficile. Ça ne me tente plus. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Céline Dion et Ginette Reno sur les plaines d’Abraham en 2008

Bon, OK. De toute façon, Ginette peut chanter pour les Hells Angels ou contourner la chaîne du livre au grand complet, les gens vont continuer de l’aimer. Je m’inclus là-dedans, après avoir braillé dans mon salon en l’écoutant chanter Un peu plus haut, sur les plaines d’Abraham avec Céline, puisque j’étais trop petite pour l’avoir entendue sur le mont Royal en 1975.

Les blessures d’une famille

Ginette Reno ne cache pas qu’elle a vécu dans les excès, et qu’elle a passé des années à vouloir se guérir de maux très profonds. C’est une abonnée de longue date aux thérapies. « J’ai fait des psychologues, des psychanalystes, des sexologues, des psychiatres, cinq ans dans un monastère, énumère-t-elle. J’ai toujours voulu comprendre, c’est mon leitmotiv, mais j’ai compris maintenant qu’il y a beaucoup de choses que je ne comprendrai jamais. »

Ce que raconte Ginette Reno, au fond, c’est qu’elle a toujours tenté de combler ses manques qui trouvent leur source dans sa famille pauvre et dysfonctionnelle, où il y avait beaucoup de violence. Mère bipolaire et destructrice, père alcoolique, frères et sœurs aussi poqués qu’elle. Ginette tentait de compenser par la bouffe et les relations amoureuses toxiques où elle retrouvait les mêmes patterns, mais aussi par le travail acharné et, bien sûr, l’amour du public, qui a été la chose la plus solide de son existence. De toutes ses dépendances, laquelle était la plus importante, selon elle ? « Les humains. La bouffe aussi. Je me suis détruite par la bouffe. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Ginette Reno

Ceux qui ont lu les magazines à potins dans le temps se souviendront qu’on parlait souvent des régimes de Ginette Reno, même si son poids n’a absolument rien changé dans l’affection du public. « C’est plus moi qui me traitais de tous les noms », se souvient celle qui ne faisait que poursuivre les insultes que lui lançait sa propre mère.

Lui pardonner et ne pas répéter les erreurs de ses parents a été la tâche d’une vie. « C’est la femme que j’ai aimée le plus au monde. J’espère qu’elle m’a pardonné aussi. Je n’étais pas ce qu’elle voulait. J’ai réalisé que j’avais beaucoup de choses comme ma mère, et il faut travailler fort là-dessus. Car ce qu’on pratique, on le devient. Quelqu’un qui fait de la guitare quatre heures par jour a des chances d’en jouer. Ma mère était bipolaire de type 1, moi, je suis bipolaire de type 2. Au moins, j’ai le deuxième ! »

Bien avant qu’on parle de grossophobie, la chanteuse a tout essayé, même s’intoxiquer aux amphétamines, pour maigrir. Elle en parle beaucoup dans son livre. « Aujourd’hui, on est plus conscient. On réalise que si on donne de mauvaises entrées dans notre ordinateur, il va nous donner de mauvaises sorties. C’est la même chose avec ton corps. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Ginette Reno

La nourriture est une dépendance aussi sérieuse que la drogue et l’alcool. J’ai connu ça, tellement manger que tu ne peux plus rien faire, parce que tu es remplie. Même manger à en vomir. Ça, c’est malade. Mais c’est une maladie.

Ginette Reno

Disons que de l’aide, elle n’a jamais eu peur d’aller en chercher, mais peut-être ne trouve-t-elle pas de plus grand soutien que dans sa foi inébranlable en Dieu – n’oublions pas qu’elle fabrique des chapelets – davantage que dans la grande famille des artistes, qu’elle estime dysfonctionnelle, elle aussi. Encore aujourd’hui, elle fait partie des OA (Outremangeurs anonymes), des DAA (Dépendants affectifs anonymes), des EADA (Enfants-adultes de familles dysfonctionnelles anonymes), etc.

« J’ai écrit ça ? Je suis supposée être anonyme ! me lance-t-elle. Est-ce que j’ai écrit que j’ai sorti avec Pierre Elliott Trudeau ?

— Non, madame Reno. Malheureusement...

— Je vais devoir écrire un deuxième livre...

— Mais vous racontez que votre premier chum était Pierre Labelle du groupe Les Baronets.

— Oui ! C’est à lui que j’ai donné ma virginité. Au Marine club de Sorel !

— Mais vous ne dites presque rien sur René Angélil, qui a déjà été votre imprésario.

— Non. Mais je ne vois pas pourquoi j’aurais commencé à dire des affaires... Il avait le feu sacré, un amoureux fou du showbiz. »

Ce n’est jamais plate, interviewer Ginette Reno. Mais, même si elle confie des choses bouleversantes dans son autobiographie, je crois malgré tout qu’elle mériterait un biographe professionnel, qui fouillerait les archives, sortirait les photos, recueillerait les témoignages. En particulier pour les gens plus jeunes comme moi qui ne l’ont pas suivie depuis ses débuts, parce qu’en ce qui me concerne, j’ai encore dix mille questions à lui poser. C’est un peu ce qui manque dans ce livre, qui a été difficile à écrire, alors que la réalisation de son nouvel album en parallèle n’a été que du bonheur selon elle. « Je ne voulais faire de mal à personne. Ce livre m’a beaucoup aidée à faire mes deuils. Beaucoup de choses ne sont pas dedans, mais je peux en écrire un autre ou deux, si Dieu me prête vie. »

Je dirais même trois ou quatre, si vous voulez mon avis.

L’album C’est tout moi est en vente.

Consultez le site de Ginette Reno

Ginette Reno accordera un grand entretien à Paul Arcand le dimanche 16 avril à 19 h 30 à TVA.

Ginette

Ginette

Cantaloupe Éditions

319 pages