Entretien avec le Torontois Daniel Caesar, qui revient à l’avant-scène après une pause de trois ans avec une nouvelle maturité, et un appétit insatiable d’en vouloir toujours davantage

À 27 ans, l’auteur-compositeur-interprète torontois Daniel Caesar voit le temps passer, lui échapper, mais surtout gagner en valeur. Le R & B et la soul, sur son nouvel album Never Enough, s’articulent autour de ces constats, dans une direction artistique empreinte d’une nouvelle maturité et d’une désarmante honnêteté.

« À la base, je voulais faire un genre d’album country folk. » Daniel Caesar (Ashton Simmonds, de son vrai nom) est le plus sérieux du monde lorsqu’il nous explique la vision qu’il avait au départ pour son nouvel album. C’était il y a environ trois ans. La pandémie a frappé alors que sa tournée pour l’album Case Study 01 (2019) touchait à sa fin. « J’ai des moments où je n’ai aucune inspiration, mais cette fois, dès que la tournée s’est terminée, je suis allé chez mes parents [dans une ferme en Ontario éloignée de tout] et j’ai commencé l’album suivant. Ça n’a jamais arrêté. »

Nous rencontrons Daniel Caesar en visioconférence, un soir de fin d’hiver. Il revient de destinations ensoleillées, du Brésil et de la Jamaïque (dont sa famille est originaire), où il a pris le temps de se détendre avant le lancement de son disque et tout ce qui vient avec, dont les campagnes de promotion. Si ce n’est pas la partie qu’il préfère de son métier, il se réconforte en sachant qu’il présente aux médias et au public un album dont il est particulièrement fier et qui a le potentiel de montrer à quel point il a évolué ces dernières années, nous dit-il.

Le chanteur est d’abord quelque peu avare de mots lorsqu’on lui parle de son nouveau disque, mais quelques blagues suffisent à le rendre plus volubile. Il se détend et parle avec ouverture et honnêteté de ce qui l’a mené à créer Never Enough. L’honnêteté, d’ailleurs, est centrale à l’œuvre qu’il a pondue ces derniers mois et qui fait suite à ses deux précédents disques, les acclamés Freudian et Case Study 01.

L’une des choses qu’il reconnaît, c’est sa tendance à ne jamais en avoir assez (never enough). Dans la vie, son appétit est insatiable. Dans son travail, il semble également en vouloir toujours plus, vouloir explorer et dépasser ses limites.

Ainsi, lorsqu’il s’est mis à travailler sur Never Enough, il s’imaginait prendre une tangente différente, passant du R & B qui l’a fait connaître à un tout autre genre. « Je pensais que je savais ce que je voulais, mais, finalement, ça a beaucoup évolué », admet l’auteur-compositeur-interprète. À l’époque, il écoutait les albums Abbey Road des Beatles et Dreams de Fleetwood Mac. Il lisait L’alchimiste et jouait aux échecs, tout en travaillant sur sa prochaine œuvre.

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Finalement, l’aspiration d’un album inspiré du country folk s’est surtout dissipée lorsqu’il a choisi de travailler avec de tout nouveaux collaborateurs.

« Le monde s’est arrêté avec la COVID et j’avais l’impression que j’avais absolument besoin de continuer à bouger, je sentais que je n’avançais plus comme je le souhaitais. Je travaillais avec les deux mêmes personnes depuis le début [de ma carrière], ce sont mes mentors, mais j’ai su qu’il fallait que j’aille découvrir les choses par moi-même. »

Il a coécrit avec le Torontois Mustafa the Poet et s’est associé à Dylan Wiggins pour la réalisation. Ty Dolla$ign, Omar Apollo, Chronixx et serpentwithfeet ont également collaboré au disque.

« Le son a continué d’évoluer, il a beaucoup changé. J’aime faire preuve de polyvalence. À chaque séance d’enregistrement, je pouvais essayer d’amener ma touche à ce qu’on me proposait », raconte Daniel Caesar, qui souhaite présenter avec Never Enough un nouveau chapitre de sa carrière, qui puisse atteindre un large public tout en restant fidèle à sa vision créative.

Le temps qui passe

Daniel Caesar, c’est bien sûr l’une des voix de la pièce Peaches de Justin Bieber, un mégasuccès de plus de 2 milliards d’écoutes. C’est également un artiste parmi les dix Canadiens les plus écoutés sur Spotify, récompensé aux prix Grammy pour sa chanson Best Part (avec H.E.R.) et nommé sur la liste définitive du prix Polaris en 2018. Les dernières années de sa vie ont été un tourbillon.

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J’ai commencé à remarquer à quel point le temps passe vite. Quand j’étais jeune, j’avais l’impression que les jours ne pouvaient pas passer plus lentement, mais maintenant, chaque heure de ma vie semble n’être que cinq minutes.

Daniel Caesar

« J’imagine que c’est parce que le temps passe vite quand on s’amuse ! »

Il explore cette idée du temps qui passe parfois trop vite, dont il n’aura jamais assez, sur plusieurs pièces de son nouveau disque. « Pendant que j’écrivais, mon esprit retournait souvent à ça, explique Daniel Caesar. Ce n’est pas du tout ce que je planifiais, que ça devienne un thème. Ça s’est fait tout seul. D’une façon ou d’une autre, chaque fois que j’écrivais une chanson, ça me revenait. »

Pour enrober ces thématiques, Daniel Caesar a été plus impliqué que jamais dans le côté instrumental. « J’ai probablement joué 80 % des instruments qu’on entend sur l’album, dit-il. D’habitude, j’écris et je compose et ensuite, des musiciens viennent jouer. Je joue, mais je suis loin d’être exceptionnel. »

Cette fois, son coréalisateur Dylan Wiggins l’a convaincu de jouer lui-même ses mélodies. « On peut remarquer que l’instrumentation n’est plus aussi parfaite. Mais ma personnalité transparaît bien plus. C’est volontaire. C’est moins propre, mais c’est moi qu’on entend directement. »

Plus honnête, plus personnel, plus abouti, ce troisième album de Daniel Caesar regorge de promesses. Comment se sent-il, quelque temps avant que le monde ne découvre ce « nouveau chapitre » ? « Je me sens victorieux, dit-il. J’ai l’impression d’avoir traversé beaucoup de choses. Et il faudra attendre la fin de ma carrière pour vraiment savoir si celui-ci est une de mes plus grandes réussites. Mais, en ce moment en tout cas, cet album est un triomphe pour moi. »

Never Enough

R&B Soul

Never Enough

Daniel Caesar

Republic Records