C’est peut-être l’avenir de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) qui est en train de se jouer ces temps-ci, sur qui repose une avancée des conditions socioéconomiques des écrivains. Qu’on soit d’accord ou pas avec les façons de faire et les objectifs de son conseil d’administration actuel, qui a convoqué une assemblée générale extraordinaire (AGE) mercredi, où les membres voteront sur deux résolutions importantes : les cotisations syndicales et la vente de la Maison des écrivains.

N’étant pas membre de l’UNEQ, je ne prends pas position, mais j’ai parlé pendant des heures à des gens bouleversés dans tous les camps. Depuis quelques mois, il y a une crise et ça s’engueule ferme sur les réseaux sociaux ou par lettres ouvertes dans les journaux. Il y a des écrivains qui reprochent à l’UNEQ un manque de transparence, une gourmandise et une précipitation, et d’autres qui appuient ses ambitions, tout en se posant beaucoup de questions.

Depuis des années, l’UNEQ travaillait à ce que la Loi sur le statut de l’artiste soit modifiée pour y inclure les écrivains, ce qui fut chose faite le 3 juin dernier. La nouvelle loi S-32.1 permet notamment de renforcer le mandat de l’UNEQ, qui peut maintenant obliger « les producteurs et les diffuseurs » à « négocier des conditions minimales obligatoires de travail, et ce de bonne foi et avec diligence ».

Je m’attendais à des cotillons, puisque ça fait longtemps qu’on parle de clauses abusives dans les contrats d’édition et d’harmoniser le tout pour que n’importe quel écrivain débutant ne se fasse pas avoir en signant son premier contrat. Il existait bien un contrat type qui circulait dans le milieu, mais personne n’était tenu de le respecter.

Ce que j’ai cru comprendre, c’est que maintenant, l’UNEQ a les coudées franches pour devenir un syndicat qui aura de vrais pouvoirs, mais que ce ne sont pas tous les écrivains qui ont envie de se retrouver syndiqués sans avoir leur mot à dire, ou du moins selon les paramètres proposés par le conseil d’administration. Or, pour mener à bien sa nouvelle mission, l’UNEQ estime avoir besoin des cotisations et de vendre la Maison des écrivains, qui coûterait trop cher à entretenir, selon elle, ce que des écrivains considèrent comme une erreur, vu le caractère symbolique du lieu et l’importance de la promotion de la littérature québécoise dans son mandat.

Là où ça a dérapé, c’est lorsqu’on a appris que l’UNEQ voulait aller chercher 2,5 % sur les revenus de ses membres, et 5 % chez les non-membres, en plus des frais d’adhésion annuels.

Ce n’est pas seulement ce projet qui a fait sursauter, c’est la manière. Deux semaines après l’adoption de la loi, cela s’est décidé dans une assemblée générale où seulement une quarantaine de personnes ont entériné les cotisations, alors que dans le courriel d’invitation, il n’était fait nulle mention que ce serait à l’ordre du jour. Elles ont décidé ainsi pour les membres de l’UNEQ et l’ensemble des écrivains de la province.

L’UNEQ a reconnu une erreur de communication et sa présidente, Suzanne Aubry, a offert des excuses dans un communiqué, en disant que les membres du conseil d’administration ont « travaillé d’arrache-pied pour que cette nouvelle Loi voie le jour, et nous avons sans doute vécu dans une bulle pendant cette longue période ».

Ce qui nous mène à l’AGE du 29 mars. Cette nouvelle assemblée a été proposée devant la grogne qui grandissait. Le moins que l’on puisse dire est que cela n’a rien calmé, car depuis, de plus en plus d’écrivains ont mille questions à poser, malgré la publication d’un guide d’information de 38 pages par l’UNEQ.

Est-ce qu’il ne devrait pas y avoir un plancher et un plafond aux cotisations ? Est-ce juste qu’elles soient prélevées sur des contrats qui ont été négociés sans l’UNEQ ? Est-ce une bonne idée de calquer ce qui se fait à la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) ou à l’Union des artistes (UDA), alors que le milieu littéraire a ses propres spécificités et des moyens financiers différents ? Est-ce que les cotisations toucheront les ayants droit de l’œuvre d’un auteur décédé ?

Les questions pleuvent, je vous jure. On se demande si l’UNEQ ne s’engage pas dans des négociations interminables avec tous les acteurs du milieu, et dans un gouffre financier. Pour que des écrivains disent : « L’UNEQ veut me défendre, mais qui me défendra contre l’UNEQ ? », on peut dire qu’il y a des inquiétudes.

Du fait que les membres devront voter sur un budget qui ne sera présenté qu’à l’AGE du 29 mars, une pétition signée par environ 200 écrivains, et pas des moindres, a circulé pour que cette AGE en soit une d’information, en mode hybride plutôt que seulement virtuel, et qu’on laisse aux membres quelques jours pour voter les résolutions par référendum. Cette demande a été refusée par l’UNEQ, qui dit que cela contrevient à ses règlements. Toujours est-il qu’environ 600 membres – sur plus de 1600 se sont inscrits, un record de participation dans l’histoire de l’organisation.

Pour certains, l’UNEQ veut aller trop loin, trop vite. « Le point qui m’énerve le plus est cette précipitation, dit Yvon Rivard, membre fondateur de l’UNEQ en 1977. Prenons le temps de bien faire les choses. Moi, je ne veux pas que l’UNEQ implose. S’il n’y a pas d’amendements qui puissent nuancer toutes les propositions, j’ai peur qu’il y ait une démission massive de plusieurs écrivains, et des gros noms. Or, le capital politique de l’UNEQ repose sur ces membres-là. »

« La solidarité, ça ne s’impose pas, ça se construit », rappelle l’écrivaine Mylène Gilbert-Dumas, qui a passé des heures à souligner les failles des plans de l’UNEQ. « On nous demande un chèque en blanc. Nous demandons le budget qu’on va voter le 29, et la réponse est qu’on ne sait pas comment ce sera dépensé parce que ça va dépendre de comment ça va arriver, souligne-t-elle. Mais la cotisation n’est pas une fin en soi, c’est un moyen. Pour arriver là, il faut présenter aux membres qu’est-ce qu’ils ont à gagner là-dedans. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de l’UNEQ, Suzanne Aubry

Ce que beaucoup se demandent aussi est pourquoi l’UNEQ est-elle si pressée ? Est-ce qu’il y a le feu ? Non, mais il y a le tic-tac d’une horloge, selon Suzanne Aubry. N’oublions pas que l’UNEQ a déjà convoqué des négociations avec deux groupes, l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) et Sogides. « La loi nous donne trois ans pour négocier des ententes collectives, pour prouver qu’on est bien représentatif des écrivains et des écrivaines, explique-t-elle. Oui, le temps file, il reste peut-être deux ans et demi pour faire nos preuves. Il y a un chrono qui est parti avec la loi. La représentativité est tout, parce que si on n’arrive pas à négocier d’ententes collectives, on pourrait la perdre. C’est important qu’on puisse y mettre toutes nos énergies. On parle d’une première entente collective qui est toujours plus difficile à négocier. »

Bien malin qui pourrait deviner si le record de participation à l’AGE se traduira par un appui ou non aux résolutions. « Tout ce que je peux vous dire, c’est : on verra, dit Suzanne Aubry. Si le conseil d’administration en est arrivé à ces deux résolutions-là, c’est qu’on était convaincu que notre mission syndicale ne pouvait pas se faire sans ça. Il n’y a pas de syndicat qui fonctionne sans cotisations, qu’il soit un syndicat d’artistes ou non. L’avenir de l’UNEQ se décidera en AGE, pas sur les réseaux sociaux. Et le 29 mars, on va accepter le résultat, quel qu’il soit. »

Une seule chose est certaine : cette AGE ne sera pas plate. Mais elle risque de finir très tard.