Jusqu’au 12 mai, l’exposition Générations. La famille Sobey et l’art canadien se déploie au Musée national des beaux-arts de Québec (MNBAQ) et permet de voir près de 150 œuvres faisant partie de la collection de la famille Sobey. De Tom Thomson et Alex Coville à Jean Paul Lemieux et Kent Monkman en passant par Paul-Émile Borduas et James Wilson Morrice, l’évènement présente des jalons majeurs de l’histoire de l’art canadien.

L’exposition souligne d’emblée l’importance de cette famille philanthropique particulièrement engagée dans la valorisation de l’art. Elle donne accès aux goûts artistiques de trois générations de collectionneurs. La réalisation du projet, mis en circulation grâce à la Collection McMichael, coïncidait d’ailleurs avec le 20anniversaire du Prix Sobey pour les arts, une reconnaissance et une grande visibilité pour les artistes contemporains créée par la dynastie Sobey.

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Générations. La famille Sobey et l’art canadien est une exposition présentée ​au Musée national des beaux-arts du Québec jusqu’à la mi-mai.

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Générations. La famille Sobey et l’art canadien se déroule au sein du musée le plus important en ce qui concerne la mémoire des artistes québécois avec près de 42 000 œuvres dans sa collection. « C’est un défi de faire une exposition d’art canadien dans un musée d’art québécois », souligne son directeur général, Jean-Luc Murray. L’évènement fait non seulement entrer dans les espaces du MNBAQ des productions souvent moins vues étant donné leur acquisition par une collection privée, mais l’exposition propose aussi des corpus complémentaires à ceux des collections du MNBAQ.

Les historiens de l’art ont souvent pensé l’art québécois en vase clos. C’est intéressant de présenter tout l’écosystème.

Jean-Luc Murray, directeur général du MNBAQ

L’évènement souligne en effet que la frontière est plus poreuse qu’on ne le croit. Les œuvres associées au régionalisme rencontrent celles des Automatistes et du Groupe des Sept. Par exemple, les représentations de villages de Tom Thomson font écho à celles de Clarence Gagnon, de Maurice Cullen et de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté. Des peintures abstraites de Paul-Émile Borduas renvoient aux tableaux de paysages de J. E. H. MacDonald ou de Lawren S. Harris. L’une des salles montre le jeu d’influence entre Emily Carr et Arthur Lismer.

  • Peinture de Paul-Émile Borduas

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    Peinture de Paul-Émile Borduas

  • Deux œuvres de Tom Thomson

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    Deux œuvres de Tom Thomson

  • Peinture de Lawren S. Harris

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    Peinture de Lawren S. Harris

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La scénographie favorise ces dialogues et permet de repenser la filiation d’une époque, d’un artiste, d’un mouvement ou encore d’un thème à un autre, et ce, de manière transversale. Si l’exposition offre une telle mise en espace qui s’affranchit des présentations chronologiques classiques, elle concorde déjà avec les stratégies du MNBAQ dont l’accrochage des collections est innovant. En effet, la réputation du musée n’est plus à faire depuis l’exposition 350 ans de pratiques artistiques au Québec menée par la conservatrice de l’art moderne, Anne-Marie Bouchard, qui consistait à redéployer près de 600 œuvres dans le pavillon Gérard-Morisset.

La famille Sobey au service de l’histoire de l’art

Générations. La famille Sobey et l’art canadien est entre autres l’occasion de montrer une perspective inédite de raconter l’histoire de l’art. C’est le cas des nombreuses scènes de genre, des paysages d’automne et d’hiver de l’artiste du XIXsiècle Cornelius Krieghoff qui côtoient dans les salles des tableaux de l’artiste actuel Kent Monkman, reconnu pour déconstruire les codes de la peinture d’histoire.

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Tableau de Cornelius Krieghoff

Pour saisir les enjeux, l’exposition s’est assurée que la mise en espace soit toujours guidée par des explications claires qui fournissent des clés de lecture et rendent l’expérience accessible au public. Les cartels accompagnant les œuvres critiquent la vision romancée de la vie du XIXsiècle, et parfois erronée, des tableaux du peintre d’origine hollandaise Krieghoff. Cette vision est mise en perspective avec les productions de Monkman inspirées par la peinture européenne et qui dénoncent l’héritage colonial. Deux époques se font ainsi face au profit d’un discours actuel.

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Les œuvres d’Annie Pootoogook

Des œuvres hors des sentiers battus

Parmi ces grands noms d’artistes qui ont tracé leur chemin au sein des corpus d’histoire de l’art depuis longtemps, le public pourra découvrir les œuvres sur papier de l’artiste inuite de troisième génération de Kinngait à Cape Dorset Annie Pootoogook, qui pose un regard actuel sur sa communauté. Des créations de l’artiste crie Brenda Daney et de l’artiste de la nation Kaska Dena vivant à Montréal Joseph Tisiga présentent quant à elles des scènes qui font correspondre les cultures coloniales et autochtones.

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Deux œuvres de Joseph Tisiga

La famille Sobey possède également dans sa collection des œuvres d’artistes en marge, moins connus, mais bien appréciés des membres, dont le travail de William Kurelek, qui occupe une place de choix dans la collection de Donald Sobey. Issu d’une famille orthodoxe ukrainienne, l’artiste fait valoir l’importance de la communauté dans les petits villages ukrainiens des Prairies. Les Sobey comptent de plus, parmi leurs acquisitions, des œuvres sur l’histoire de la déportation acadienne au XVIIIsiècle de l’artiste du Nouveau-Brunswick Mario Doucette.

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Les œuvres de Mario Doucette

L’une des créations qui méritent le détour est l’installation Grand hall muséologique (2014) d’Ursula Johnson. L’artiste qui a reçu le Prix Sobey pour les arts en 2017 rend hommage aux femmes micmaques qui fabriquent des paniers depuis des générations.

En somme, l’exposition souhaite offrir une expérience de l’ordre de l’intuition et de l’émotion autour des œuvres – plutôt qu’une intellectualisation de celles-ci. Elle est surtout une occasion de témoigner des rencontres possibles entre le marché de l’art et le musée, entre la collection privée et l’institution publique, pour participer à une réécriture de l’histoire de l’art.

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