Alors qu’il est largement question des dérèglements climatiques au Canada, l’Arsenal présente à Montréal le travail d’un photographe qui s’intéresse depuis quatre décennies aux effets dévastateurs de certaines activités industrielles sur l’environnement. Discussion politique au milieu de tableaux dont la beauté cache le drame.

« Nous voulions appeler cette expo Nous sommes tellement baisés », lance le producteur de musique Bob Ezrin.

En utilisant l’expression fucked dans sa langue natale, il sait que c’était pousser un peu trop loin l’audace pour une exposition qui se veut « grand public ».

Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

« Peut-être la prochaine fois », répond Ezrin, qui semble tout d’un coup trouver que le titre de la rétro, Le paysage abstrait, est finalement un choix bien « conservateur », lui qui ne l’est pas du tout.

Les amateurs de rock connaissent très bien Bob Ezrin. C’est un musicien et un producteur canadien qui a travaillé avec les grands de ce monde. Alice Cooper, Peter Gabriel, Kiss, Pink Floyd – il fait partie des auteurs de la chanson Learning to Fly.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Au départ, Bob Ezrin (à droite) devait s’occuper de la trame sonore de cette imposante exposition de son ami Ed Burtynsky. Il a fini par en signer la production.

Et c’est un ami d’Ed Burtynsky. Tous les deux étaient réunis à Montréal cette semaine pour l’ouverture de la rétrospective du photographe, à l’Arsenal.

Trop beau pour être dur

Le travail d’Ed Burtynsky est un coup de poing au ralenti. Comme si on le voyait venir, mais que tout allait plus lentement, presque dans un esprit poétique. On sait que ça va faire mal, mais le moment suspendu est beau.

Une trentaine de photographies et œuvres murales sont accrochées aux murs du centre d’art montréalais qui a fait courir les foules, ces dernières années, pour ses expositions immersives de toiles de grands maîtres.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

L’exposition compte notamment deux vidéos, dont un film de 22 minutes qui montre chronologiquement les photos de Burtynsky, y compris son travail récent fait durant la pandémie.

On est évidemment très loin des tournesols de Van Gogh chez Burtynsky. Bien que plusieurs des énormes photos présentent des paysages si inusités que l’on croirait des toiles peintes. Les textures des paysages industriels jouent parfois les trompe-l’œil.

C’est la perspective qui change tout, explique le photographe d’origine ukrainienne.

C’est l’échelle qui est problématique. La vitesse à laquelle nous bousculons la planète en fait un problème. Une mine ici et là, ça n’est pas un problème. La planète pourrait facilement l’absorber.

Ed Burtynsky

Derrière les sites d’irrigation en Arabie saoudite, les champs turcs et les marais salants espagnols, il y a ce drame écologique qui se joue depuis trop longtemps.

De prime abord, les images sont pourtant d’une beauté plastique.

Cette dualité entre la beauté et le drame a toujours été présente en art, selon Ed Burtynsky.

« Shakespeare avait une prose magnifique », rappelle l’artiste, précisant qu’il était souvent question de trahison. « Je crois que l’esthétisme et le drame sont souvent réunis », dit-il.

« Et tant mieux si c’est la beauté qui attire en premier », renchérit son ami.

« Ensuite, vous allez lire les explications et vous allez être horrifié », prédit Bob Ezrin.

Depuis 40 ans qu’il documente nos actions sur l’environnement, Burtynsky avoue qu’il est agacé. « Malheureusement, nous sommes ici », lance-t-il, déplorant la politisation du débat écologique qui fait en sorte qu’une partie de la population réagit en opposition à l’autre, sans égard au propos.

Dure année pour le Canada

« Il y a eu 10 fois plus d’incendies cette année que l’année dernière au Canada », lance le musicien, rencontré au début de septembre, alors que la température ressentie à l’extérieure dépassait 40.

Les deux Ontariens croient que le phénomène sera exponentiel. Qui dit qu’il n’y en aura pas 10 fois plus l’année prochaine ? demandent-ils.

C’est une croissance exponentielle de désastres.

Bob Ezrin

Les artistes ne sont d’ailleurs pas tendres envers les politiques environnementales de l’Ontario, les pires au pays, selon eux. Quand c’est rendu que même l’Alberta fait mieux, disent-ils, ça ne va pas bien.

« Et on ne voit pas de changement prochain », dit Burtynsky.

Heureusement, il y a l’art. « L’art peut éveiller les consciences, lance Ed Burtynsky. Et cet éveil est la première étape menant à un changement. »

« Je ne crois pas que les artistes peuvent changer les choses, poursuit Bob Ezrin. Les artistes doivent changer les choses. Ils doivent raconter ces histoires. Éveiller les consciences. Tout part de là. »

Alors, ce Paysage abstrait est-elle une exposition grand public ? Absolument ! Et pour tous. Mais on vous recommande néanmoins d’y mettre le temps. Pour apprécier à la fois la beauté et pour absorber le coup de poing, qui finit par arriver.

« J’espère que les gens qui vont venir ici seront motivés et se joindront au mouvement pour protéger notre environnement. Et commencer la révolution au Québec. C’est peut-être ici que ça va commencer, parce que ça ne se passe pas ailleurs au Canada », termine Bob Ezrin.

Ed Burtynsky – Le paysage abstrait, jusqu’au 1er octobre 2023 à l’Arsenal Art contemporain

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