Dans son pavillon d’art canadien et québécois Claire et Marc Bourgie, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) a réorganisé la section consacrée à la Société d’art contemporain de Montréal (SACM), cette association d’artistes anglophones et francophones qui fit la promotion de l’art moderne de 1939 à 1948. L’espace rend compte de cette brève, mais relevée période de l’histoire de l’art montréalais.

Pourquoi s’intéresser à cette éphémère Société d’art contemporain fondée par le peintre John Lyman alors que le bruit des bottes nazies commençait à répandre fureur, violence et mort dans toute l’Europe ?

D’abord, parce que c’est une période à part entière de l’histoire de l’art de notre pays, comme l’ont été celles du Groupe des Sept (1920-1932) ou du Groupe de Beaver Hall (1920-1923).

De retour en 1931 d’un long séjour en Europe, John Lyman était convaincu que l’art moderne canadien devait prendre une avenue différente de la canadianité figurative typique du Groupe des Sept et tenir compte davantage de la forme plastique, et ce, dans une totale liberté d’expression. C’est dans cet esprit qu’il a fondé la Société d’art contemporain en 1939.

De l’audace

Jacques Des Rochers, conservateur de l’art québécois et canadien (avant 1945) au MBAM depuis 20 ans, a voulu tenir compte d’acquisitions du musée, récentes comme anciennes, pour réorganiser cette section de l’étage des Chemins de la modernité. « Dans notre collection, on a plus d’œuvres que je ne peux en montrer de cette époque, mais quand même, on a un beau corpus qui permet de parler de cette Société d’art contemporain », dit-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le conservateur Jacques Des Rochers

La section débute avec Arbres, une toile de Fritz Brandtner – dont on peut voir des œuvres actuellement au Musée d’art de Joliette grâce à la belle expo d’Esther Trépanier –, qui fut le secrétaire de la Société d’art contemporain. Puis, un très beau petit tableau de Lyman, Fenaison près du lac, qui représente la région de Saint-Jovite.

Un travail sur la couleur et la forme.

Jacques Des Rochers, conservateur de l’art québécois et canadien (avant 1945) au MBAM, à propos de Fenaison près du lac

La Société d’art contemporain avait réuni les artistes montréalais anglophones et francophones, des deux sexes, mais aussi de confessions catholique, anglicane et juive. Un geste éloquent d’ouverture à une époque où l’antisémitisme explosait en Europe et fleurissait aussi au Québec. Cette audace, alors bienvenue autant que nécessaire, est illustrée par un magnifique autoportrait de l’artiste et enseignant montréalais Moe Reinblatt.

PHOTO CHRISTINE GUEST, FOURNIE PAR LE MBAM

Autoportrait au chapeau vert, 1940, Moe Reinblatt (1917-1979), huile sur toile. Collection MBAM.

La section comprend deux œuvres sur papier de Pierre Gauvreau, une gouache de Jean-Paul Mousseau, une aquarelle de Riopelle de 1946, une belle huile, un plâtre et une terre cuite de Charles Daudelin, ainsi qu’une acquisition récente, Intérieur, de 1939, de Goodridge Roberts (1904-1974).

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Deux œuvres de Charles Daudelin (à gauche) et une terre cuite de Louis Archambault, à droite

Une partie de la section nous a particulièrement plu. On peut y comparer deux portraits de Gabrielle Borduas. L’un, inédit, a été réalisé par son époux en 1940, alors qu’il était vice-président de la Société, et l’autre, de Louise Gadbois, est une toile que Paul-Émile Borduas avait acquise. Deux styles de peinture bien différents chez Borduas et Gadbois, mais le portrait réalisé par Louise Gadbois est, avouons-le, notre préféré !

Voyage pictural

Deux natures mortes peintes à la même période illustrent aussi l’effet des voyages européens pour les artistes canadiens de l’époque. Alfred Pellan, de retour à Paris, peint en 1942 une nature morte magnifique, d’une modernité renouvelée quand on la compare à celle de Borduas. « Pellan marque alors toute la scène artistique d’ici », dit Jacques Des Rochers. Pourtant, quelques années plus tard, ce sont les Automatistes qui ont pris le haut de la scène avec Refus global, tandis que Prisme d’yeux, le manifeste des Jacques de Tonnancour, Albert Dumouchel et Pellan, trop mou sans doute, est plutôt resté dans les coulisses.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

À gauche, Nature morte (Fruits et feuilles), une huile de Borduas, et à droite, Nature morte à la nappe carrelée, une toile de Pellan

Ayant présenté une douzaine d’expos (dont cinq à l’Art Association of Montreal, l’ancêtre du MBAM), la Société d’art contemporain aura eu jusqu’à 62 membres. Des artistes, mais aussi des collectionneurs et des professionnels de l’art, comme l’historien et critique Maurice Gagnon. La Société est morte de sa belle mort en 1948. Elle aura tout de même réussi à énergiser le milieu de l’art montréalais pendant la Seconde Guerre mondiale, mettant un grand nombre de jeunes artistes à l’étrier, à un moment phare de notre histoire artistique. Une belle initiative, donc, que de réaménager cette section bien utile pour les amateurs d’art. Espérons qu’elle puisse s’agrandir significativement dans les années à venir.

Consultez le site du MBAM à propos du pavillon Claire et Marc Bourgie