Un des studios montréalais les plus réputés il y a quelques années, Square Enix Montréal, ferme ses portes, a appris La Presse. Le studio fondé en 2011, et qui a été renommé Onoma par son nouveau propriétaire Embracer il y a à peine trois semaines, comptait quelque 200 employés.

L’annonce a été faite officiellement mardi au siège social londonien de CDE Entertainment, la filiale créée par le groupe suédois Embracer après l’achat en mai dernier de trois studios de production de Square Enix. Un deuxième petit studio montréalais, spécialisé en contrôle de qualité, sera également fermé. Les deux autres, Eidos-Montréal et Crystal Dynamics de San Francisco, ne sont pas touchés.

« Nous avons de grandes ambitions pour Crystal Dynamics et Eidos-Montréal, a déclaré par communiqué Phil Rogers, directeur de CDE Entertainment et ex-PDG de Square Enix Europe et Amériques. Nous voyons des opportunités de croissance axées sur des franchises de qualité et des jeux AAA. »

Selon ce qu’a appris La Presse, CDE Entertainment ne voyait pas de possibilités de rentabilité intéressantes pour le jeu mobile, domaine dans lequel s’est spécialisé Square Enix Montréal. Le communiqué laconique précise que les 200 employés concernés « seront pleinement appuyés à travers leur transition ».

« L’entreprise va pairer les employés touchés où cela est possible dans des postes ouverts dans des projets PC et console, chez Crystal Dynamics et Eidos-Montréal, mais reconnaît que plusieurs collègues touchés aujourd’hui pourraient trouver leur prochaine opportunité à l’extérieur du groupe », déclare-t-on.

Six ans sans revenus

Selon l’agence Bloomberg, ces fermetures font partie d’un programme plus large de réduction des dépenses. Citant une source proche du dossier, l’agence révèle qu’Eidos-Montréal a déjà réduit les ambitions d’un projet qui n’a pas été rendu public, et se prépare à en annuler un autre. CDE Entertainment s’apprêterait en outre à s’associer à Microsoft pour concevoir de nouveaux jeux, notamment tirés de la franchise Fable développée par le studio britannique Playground Games.

Stéphane D’Astous, directeur général d’Eidos-Montréal entre 2007 et 2013 et qui a piloté la fondation de Square Enix Montréal, s’est dit « très attristé » par la nouvelle de la fermeture. « Je suis un peu le parrain de ce studio, c’est moi qui ai eu le mandat en 2010 de commencer à chercher, qui ai fait l’annonce en conférence de presse et choisi Patrick Naud comme directeur de studio. »

Il estime que « beaucoup de gens voyaient ça venir depuis quelques années ». Square Enix Montréal, rappelle-t-il, n’a pas sorti un seul jeu entre 2016 et 2022. « Le jeu vidéo, tout le monde pense que c’est ludique, ha ha ha ! Mais les coûts sont assez importants. Tu ne peux pas rester six ans sans source de revenus. »

Le sort des 200 employés, surtout ceux directement impliqués dans la production de jeux, ne l’inquiète pas. « Le malheur des uns fait le bonheur des autres. C’était des employés de haut niveau, je suis sûr que les autres studios sont déjà en train d’appeler. »

Pari raté

Square Enix Montréal a connu ses heures de gloire entre 2014 et 2016 avec la sortie de Lara Croft GO, Hitman GO, Hitman Sniper et Deus Ex Go. Rien n’est sorti par la suite jusqu’au lancement en mars 2022 de Hitman Sniper : The Shadows.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Naud, en entrevue avec La Presse alors qu’il était directeur du studio Square Enix Montréal.

En entrevue avec La Presse en mars 2021, le directeur du studio, Patrick Naud, avait expliqué préparer pendant tout ce temps le virage vers des jeux mobiles gratuits au téléchargement, avec achats intégrés, le modèle appelé « freemium ». L’ancienne façon de faire dans le jeu mobile, appelée « premium » et qui consiste à vendre des jeux complets en un seul coup, était perçue en décroissance depuis plusieurs années.

« On a converti tout le studio, passant de développeur de jeux mobiles AAA premiums à faire des jeux de services freemiums, expliquait M. Naud. C’est toute la structure du jeu, et toute l’infrastructure que ça prend pour opérer un jeu qui va être en continu et qui va durer cinq ou dix ans. On a augmenté la taille du studio de 300 %, 41 personnes ont été embauchées dans la dernière année. »

Lisez notre entrevue avec Patrick Naud

Pour Stéphane D’Astous, il est douteux qu’on ait fermé Square Enix Montréal à peine trois semaines après avoir rebaptisé le studio. « J’ai quitté Eidos à cause du manque de leadership, de courage et de communication du bureau-chef. Depuis que je suis parti, il y a dix ans, ce sont exactement les mêmes gens qui sont là. »

Il a été impossible de parler à M. Naud, ni à aucun responsable de Square Enix Montréal ou de CDE Entertainment. Tous ont reçu la consigne de ne faire aucun commentaire.