Les studios de jeu vidéo, c’est connu, sont cachottiers et rêvent de jeux permanents à la Fortnite qui assureraient des revenus constants. Ce n’est pas la tasse de thé de Patrick Klaus, le directeur général du studio montréalais EA Motive, qui croit aux vertus de la transparence et des bons vieux jeux bien scénarisés. La Presse l’a rencontré pour en parler.

Que s’est-il passé chez Motive depuis notre dernière rencontre, en décembre 2020 ?

Ça fait trois ans et demi que j’ai pris la direction générale du studio. Quand on s’est parlé la dernière fois, on venait tout juste de sortir Star Wars : Squadrons, on commençait la conception du remake de Dead Space. Là on est dans la phase de polissage et de débogage pour la sortie fin janvier. Un jeu iconique, 14 ans après l’original dont on est très fiers. En parallèle, on a saisi l’opportunité d’un partenariat avec Marvel, l’une des plus belles licences de superhéros selon moi — d’un point de vue totalement subjectif ! On a annoncé un jeu Iron Man il y a deux ou trois semaines, on a commencé à y travailler il y a un an.

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Le développement de Dead Space en est à ses dernières étapes chez Motive.

On l’a annoncé pour deux raisons. La première, c’est un souci de transparence. Au studio, c’est vraiment une de nos valeurs, avec nos employés et avec les joueurs. Cette transparence nous permet ensuite d’avoir un dialogue et de créer une relation de confiance avec les joueurs. Plutôt que d’avoir le vieux modèle où on ne dit rien pendant plusieurs années, puis boum ! Tempête, campagne marketing, surprise, etc., on décide de façon très intentionnelle de s’engager dans un partenariat avec les joueurs assez rapidement.

La culture du secret est célèbre dans le monde du jeu vidéo. Vous faites de cette transparence un engagement ?

Oui. Ça va nous permettre en temps et lieu de partager des choses et d’avoir du feedback. On n’a pas toutes les réponses. Ce serait arrogant de penser qu’une personne ou un groupe au studio a la vision unique, que si ça nous plaît, ça va plaire à 10 millions de personnes. Surtout qu’on vieillit… On n’est plus nécessairement le joueur type. Ça prend ce dialogue pour nous assurer que ce qu’on fait correspond à la demande.

Y a-t-il une relève chez les jeunes joueurs pour les bons AAA comme on les aime, avec un bon scénario et une écriture forte ? On a l’impression qu’ils sont très amateurs de jeux « multijoueurs » en ligne, de mondes persistants avec des « saisons », Fortnite étant un exemple très lucratif…

C’est une très bonne question. C’est marrant que vous disiez ça parce que dans les dernières semaines, on a reçu des rapports qui nous ont surpris. On a réussi à aller chercher des données sur le joueur type d’action-aventure. Nous, notre studio, c’est ce qu’on fait, on ne peut pas être les meilleurs partout, on va se concentrer là-dessus.

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EA et Motive ont annoncé le 20 septembre dernier la préparation d’un nouveau jeu basé sur l’univers de Marvel mettant en vedette Iron Man.

Figurez-vous qu’il y a une très grosse proportion de joueurs de la génération Z [nés entre 1997 et 2012] qui jouent à des jeux action-aventure solos. Avec une marque aussi mondialement connue qu’Iron Man, il va falloir qu’on soit très bons pour faire un jeu qui va être ultra-inclusif.

Y a-t-il un « ton » Motive, quelque chose de distinctif dans vos jeux ?

Le studio est encore jeune, sept ans. C’est très difficile de bâtir un nouveau studio, avec de nouveaux talents, des valeurs fortes établies, de grosses ambitions et avec une identité claire, tout ça en même temps. C’est un chemin. Aujourd’hui, on a vraiment identifié notre raison d’être, notre façon de faire les choses. On sait comment on travaille ensemble, qu’il y a zéro tolérance pour toute forme de toxicité. On fait partie d’une grosse multinationale américaine, EA, mais on est un studio montréalais, on en est très fiers, on a un haut niveau d’autonomie. C’est un peu le meilleur des deux mondes. Grosse boîte, solide financièrement, maturité sur la manière de travailler, mais également notre saveur, un peu plus indie.

Comment va globalement l’industrie du jeu vidéo ? Les grands studios sortent moins de jeux, on est dans une transition, certains cherchent leur voie.

Du point de vue des chiffres au niveau mondial, l’industrie continue de bien aller ; c’est 200 milliards US à peu près en 2021, les projections pour 2022 continuent de montrer une augmentation. Après, il faut être prudent. Derrière la créativité et l’innovation, ça reste une business, tu veux la pérennité. Si vous vous souvenez, il y a deux ans, et encore là c’est la transparence même si c’est un sujet tabou quand on arrête un jeu : on a abandonné notre projet au nom de code de Live Wire [une nouvelle franchise montréalaise alors en conception depuis six ans]. On a pris la décision difficile mais nécessaire d’arrêter. Je l’assume pleinement. Le niveau de risque pour en faire un succès commercial était trop élevé pour le studio.

Il y a déjà quatre ans que la fondatrice de Motive, Jade Raymond, a quitté le studio dans des circonstances controversées. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Je ne voudrais pas trop commenter sur Jade et son studio, mais quand je suis arrivé, c’est sûr que c’était une période de transition. Je suis arrivé dans un mode écoute, humble, pas de baguette magique, une étape à la fois. On va bâtir quelque chose ensemble.

Pour des raisons de concision et de clarté, les propos de cette entrevue ont été remaniés.

Patrick Klaus en bref

  • D’avril 2019 à aujourd’hui : vice-président et directeur général de Motive, studio appartenant à Electronic Arts (EA)
  • De 2012 à 2019 : directeur général, directeur du développement et directeur des opérations à Ubisoft Québec
  • De 2002 à 2012 : gestionnaire de l’assurance qualité, développement, opérations de studio et directeur mondial lancement de produits chez EA