À peine deux mois après la sortie du plus grand succès d’Ubisoft, Far Cry 6, le quart des 25 plus importants artisans a déjà quitté l’entreprise. Même ratio pour le jeu marquant de 2020 orchestré par Ubisoft Montréal, Assassin’s Creed Valhalla.

Ces départs illustrent ce que de nombreuses sources ont qualifié de « grand exode » au sein d’Ubisoft depuis 18 mois, dans un article-choc publié par le site américain d’information Axios. Se basant sur une douzaine d’entrevues avec des développeurs actuels ou anciens d’Ubisoft qui ont tenu à garder l’anonymat, le journaliste Stephen Totilo, spécialisé en jeu vidéo, qualifie cette vague de départs de « sans précédent ».

Le cœur du nouveau studio d’Amazon à Montréal, par exemple, a été constitué en mars dernier de quatre piliers d’Ubisoft qui se consacraient au jeu Rainbow Six Siege. Le tout nouveau studio fondé par Jade Raymond, Haven, a réussi à recruter quelques artisans de haut calibre d’Ubisoft, dont le directeur artistique Raphaël Lacoste et le directeur de jeu associé Daniel Drapeau.

Abondance à Montréal

Ces départs de directeurs et développeurs expérimentés ont notamment eu comme effet de ralentir, parfois même de stopper le développement de jeux, rapportent deux employés actuels d’Ubisoft à Axios. Le site identifie d’ailleurs l’abondance d’offres généreuses à Montréal comme une des raisons qui expliquent cet exode. Un programmeur explique ainsi avoir réussi à tripler son salaire en changeant d’employeur.

La structure de rémunération chez Ubisoft, qui offre des actions à certains de ses employés, pourrait également être en cause, a appris La Presse. Près de 4 % des actions de l’entreprise française sont détenues par ses salariés, qui les reçoivent généralement en prime après la conclusion d’un projet, avec condition de ne les encaisser que plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard. Or, ce mode de rémunération est devenu nettement moins attrayant avec la dégringolade de l’action d’Ubisoft, passée de 87,19 euros (126,90 $ CAN) en janvier dernier à 43,30 euros (63,16 $ CAN) ce mardi.

Axios évoque par ailleurs une multitude de raisons avancées par les ex-employés. Au premier chef, la gestion des allégations de harcèlement sexuel et de climat de travail toxique qui ont secoué Ubisoft en 2020. En juillet dernier, près d’un millier d’employés ont signé une lettre en appui à leurs collègues en grève d’Activision Blizzard qui indiquait que le problème était loin d’être réglé chez Ubisoft. « Nous n’avons rien vu d’autre que des paroles compatissantes, des promesses creuses et l’inaptitude ou la réticence à licencier des agresseurs connus. […] Nous n’avons plus confiance en votre engagement à résoudre ces problèmes à la racine », pouvait-on lire.

Hausses des salaires

Les sources d’Axios mentionnent d’autres sujets de mécontentement, notamment les directives peu motivantes du point de vue créatif du siège social à Paris et des salaires trop bas. Selon les données de LinkedIn citées par Axios, Ubisoft a un taux de roulement de 12 %, ce qui est inférieur à celui d’Activision Blizzard (16 %), mais supérieur à celui de ses concurrents EA (9 %) et Epic Games (7 %).

Du côté d’Ubisoft, le porte-parole à Montréal Antoine Leduc-Labelle rappelle que les employés canadiens ont récemment bénéficié de hausses salariales allant de 5 % à 7 %. « Notre rétention a augmenté de 50 %, a-t-il déclaré dans un courriel à La Presse. Notre taux de départ se situe dans les normes de l’industrie. »

Il précise qu’Ubisoft a procédé à plus de 2600 embauches dans le monde depuis avril dernier, « ce qui est un chiffre respectable ». Le studio montréalais d’Ubisoft, le plus important de l’entreprise avec ses quelque 4500 employés, a par ailleurs engagé 30 % de femmes en 2021, note le porte-parole, ce qui constitue « un record dans l’histoire d’Ubi Montréal, qui s’inscrit dans notre volonté de créer un milieu de travail plus diversifié ».