C’est probablement du jamais-vu dans un grand studio de jeux vidéo à Montréal : neuf mois après sa fondation, l’antenne montréalaise de Phoenix Labs a atteint la parité hommes-femmes dans deux groupes cruciaux, l’équipe créative et la direction.

« On n’est plus dans le “syndrome de la chambre de hockey », on n’est pas juste des hommes blancs de 40 ans, se réjouit André Roy, directeur général de Phoenix Labs Montréal. Elles ont un parcours différent, un vécu différent, ça amène des approches différentes. »

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André Roy, directeur général de Phoenix Labs Montréal

Plus précisément, on compte quatre femmes sur huit au sein de l’équipe de création, et trois femmes sur six au sein de la direction. Pour l’ensemble du studio, qui compte actuellement 36 personnes, mais vise le chiffre de 250 à terme, 13 sont des femmes. Là où la parité est la plus difficile à atteindre, c’est du côté des programmeurs, précise Marie-Andrée Lavoie, directrice talent et culture. « Dans ce domaine, c’est une autre paire de manches. Un moment donné, tu ne peux pas en créer, des candidates féminines. »

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Marie-Andrée Lavoie, directrice talent et culture

On estime que dans les domaines technologiques au Québec, les femmes représentent à peine 20 % des effectifs. Dans les métiers plus axés sur la production, ce taux chute à 12 %, précise Mme Lavoie.

« Effet levier »

Dès l’annonce en décembre dernier de la venue à Montréal du studio Phoenix Labs, établi à Vancouver, derrière le succès planétaire Dauntless, le directeur général André Roy avait fait de la place des femmes un engagement formel. Ses deux premières embauches ont donné le ton : il a choisi aux ressources humaines Marie-Andrée Lavoie et la vétérane Anne Gibeault comme directrice créative.

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Anne Gibeault, directrice créative

La Presse a rencontré ce mardi 11 des 13 femmes de Phoenix Labs au parc de Dieppe, en bordure du fleuve Saint-Laurent. Du groupe, six ont spontanément levé la main pour confirmer que la présence d’Anne Gibeault avait fortement pesé dans la balance quand elles ont accepté l’offre de Phoenix Labs. Plus globalement, elles notent qu’il est moins intimidant pour une femme de se retrouver dans un milieu où la présence féminine est déjà bien établie.

« Il y a un effet levier », affirme André Roy, formule qui sera reprise par bien des membres de l’équipe pendant l’entretien.

« Dans mes jobs précédentes, souvent, les filles de mon équipe ne parlaient pas, elles n’osaient pas émettre une opinion, explique Anne Gibeault. Moi, j’insistais pour leur donner la parole. Finalement, même les filles les plus timides finissaient par constater que leurs idées passaient. »

Selon Susan Patrick, scénariste, ce n’est pas nécessairement d’embaucher des femmes qui est difficile. « Le défi, c’est la rétention. Souvent, les femmes se retrouvent dans des endroits où elles ne sont pas bien. »

Bienveillance et sororité

Impossible de ne pas évoquer avec ces professionnelles les controverses concernant des comportements toxiques qui ont ébranlé de grands studios depuis quelques années, d’Ubisoft à Quantic Dream en passant par Naughty Dog et Rockstar. Le sujet, on le sent rapidement, est délicat.

« Je me suis rendu compte que les leaders femmes font plus attention à leur équipe, à leur bien-être, affirme Charlotte Delannoy, animatrice technique. Il y a une forme de bienveillance. » Catherine Cao, recruteuse senior, évoque quant à elle « un côté maternel, de sororité » qu’une plus grande présence féminine suscite. « Ça nous aide à rester. »

Est-ce que la présence des femmes se fait ressentir, en fin de compte, dans les jeux vidéo produits ? Précisons d’abord que Phoenix Labs Montréal planche sur deux jeux non dévoilés qui ne sortiront vraisemblablement pas avant des années, ce qui est la norme pour des productions AAA. Là encore, les réponses sont nuancées.

« Ce que j’ai vu ici, c’est une équipe très véloce, d’une grande ouverture d’esprit, avec une envie d’en connaître plus sur les autres », explique Andréanne Milette, animatrice. « Dans une équipe plus diversifiée, on va être plus sensibles à ne pas mettre des personnages trop clichés, ajoute Marie-Andrée Lavoie. Notre intention de départ, c’est de faire du ‟design positif », des jeux multijoueurs qui rassemblent les gens, où les interactions sont positives. »

« Mais ça ne veut pas dire qu’on va faire des jeux avec des fleurs et plein de câlins ! », précise en riant Andréanne Milette.