La décision de Bell de réduire le nombre de foyers admissibles à un programme d’expansion de l’internet en milieu rural inquiète la Fédération québécoise des municipalités (FQM), qui craint pour le développement économique de certains villages. Le regroupement a bien l’intention de talonner le gouvernement de François Legault pour qu’il respecte son engagement visant à permettre à tous les Québécois d’avoir accès à l’internet à la maison d’ici 2022.

Bell a en effet annoncé en début de semaine, dans un communiqué, son intention de restreindre de 20 % « le déploiement de son service internet résidentiel sans fil dans les petites villes ». L’entreprise a pris cette décision après que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a demandé la semaine dernière aux grandes entreprises comme Bell et Vidéotron de diminuer leurs tarifs de revente aux petits fournisseurs qui utilisent leur réseau. 

Bell, qui évalue les répercussions financières de cette décision à environ 100 millions de dollars, a donc réduit le nombre de résidences admissibles à son programme d’expansion, ce qui toucherait 200 000 foyers. L’entreprise a refusé de nous accorder une entrevue à ce sujet.

Pendant ce temps, plusieurs municipalités québécoises peinent toujours à avoir du signal. À Sainte-Catherine-de-Hatley, village situé entre Magog et Sherbrooke, l’une des premières questions que posent les futurs acheteurs aux agents immobiliers concerne la qualité de la connexion internet, souligne Jacques Demers, maire de la municipalité et président de la FQM.

Parlant de sa propre expérience, le maire raconte qu’il est souvent impossible, chez lui, que les cinq membres de la famille puissent utiliser l’internet en même temps, alors que ses enfants d’âge scolaire en ont besoin pour faire leurs devoirs. Il ajoute également que plusieurs de ses concitoyens qui souhaiteraient travailler de la maison ne peuvent le faire en raison des problèmes de connexion.

Jacques Demers estime que dans le village de 3500 habitants (incluant ceux qui possèdent une résidence secondaire), près du tiers n’est pas connecté à l’internet ou reçoit un très mauvais signal.

La réponse de Bell nous interpelle beaucoup, dit-il. Si un joueur aussi important que Bell réagit comme ça, il est important que le gouvernement [respecte son engagement].

Jacques Demers, maire de Sainte-Catherine-de-Hatley

Il ajoute qu’il s’agit d’un dossier prioritaire à la FQM. Une rencontre avec le premier ministre François Legault doit avoir lieu en septembre.

La décision prise par l’entreprise ne surprend guère Jacques Ladouceur, préfet de la MRC de Rouville, en Montérégie. À certains endroits sur son territoire, il est également difficile d’avoir accès à l’internet. « Je ne crois pas que Rouville était dans le collimateur de Bell, affirme-t-il sans détour. Ce n’est pas rentable de faire le déploiement d’internet dans les rangs. » Sur ce territoire, où les agriculteurs sont nombreux, l’utilisation de logiciels informatiques est essentielle. Le mauvais signal rend toutefois la tâche plus difficile.

Engagements des gouvernements

Le député Gilles Bélanger, responsable du dossier et adjoint parlementaire du ministre de l’Économie et de l’Innovation, affirme pour sa part que l’accès à l’internet est un « pilier pour le développement économique des régions ». « Je ne pense pas que la décision de Bell va avoir un impact au Québec, a-t-il souligné au cours d’un entretien téléphonique. Nous, on soutient [les municipalités]. On est là pour supporter. »

Dans son budget déposé en mars, le gouvernement Legault s’est engagé à assurer l’accès à une connexion haute vitesse dans toutes les régions du Québec. Une somme de 400 millions devrait être investie d’ici 2026.

Ottawa consacre également une enveloppe de 500 millions visant à aider les communautés rurales éloignées à se « brancher ». Dans une déclaration officielle envoyée par courriel à La Presse, le ministre canadien de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Singh Bains, s’est dit « déçu » par la décision de Bell. « Nous sommes profondément déçus que Bell envisage de reculer sur sa promesse envers les Canadiens des communautés rurales et éloignées. Aujourd’hui, l’accès à internet est plus critique que jamais. »

Faire confiance aux petits

Par ailleurs, dans toute cette course à la connexion, il appert que ce sont les petits acteurs qui s’en sortent le mieux. Selon une enquête menée par le magazine Protégez-vous, qui sera en kiosque vendredi, les petits opérateurs indépendants offrent un meilleur service et des tarifs plus abordables que les grandes entreprises. 

DERYTelecom, Ebox et TekSavvyf occupent respectivement les trois premières positions du palmarès, à la lumière d’un sondage effectué auprès de 4350 utilisateurs. Bell termine en queue de peloton sur un total de 17 entreprises évaluées. Vidéotron et Rogers arrivent dans l’ordre en 11e et en 12e position.