Dans certains des splendides immeubles Art déco qui dominent le quartier d’affaires de Chicago, le taux d’occupation est de 17 %.

À Denver, un complexe de tours rutilantes valait 176 millions US (237 millions CAN) alors que s’y s’entassaient de nombreux locataires, en 2013. Il est presque vide aujourd’hui. Son évaluation est tombée à 82 millions US (111 millions CAN), selon la firme d’analyse immobilière Trepp. Même de célèbres immeubles de Los Angeles ont perdu la moitié de leur valeur depuis le début de la pandémie.

De San Francisco à Washington, les tours de bureaux sont happées par une spirale infernale. Bien des employés mis en télétravail durant la pandémie ne sont pas revenus et les taux d’intérêt ont bondi. Résultat : la dévalorisation d’une importante classe d’actifs immobiliers commerciaux. Selon la société d’analyse immobilière Green Street, la valeur des immeubles de bureaux, même de grande qualité, a chuté de 35 % par rapport au sommet atteint au début de 2022.

Cela met sur la sellette les banques qui détiennent une grande partie de la dette immobilière commerciale américaine. Ça va saigner, estiment les analystes et les autorités, qui se demandent seulement s’il s’agira d’une hémorragie lente ou d’une hécatombe déclenchant une panique.

PHOTO HARUKA SAKAGUCHI, THE NEW YORK TIMES

Bureaux vacants à New York. Selon une étude récente, 14 % des prêts immobiliers commerciaux et 44 % des prêts liés aux immeubles de bureaux sont dans le rouge : la valeur des bâtiments est tombée sous la dette contractée.

La semaine dernière a donné un avant-goût de ce qui s’en vient quand la New York Community Bank a révélé des pertes inattendues sur des prêts immobiliers liés à des immeubles de bureaux et d’habitation : l’action a planté.

Jusqu’à présent, « les nouvelles devancent l’impact réel », dit Lonnie Hendry, cadre chez Trepp. « Les banques ont un tas de pertes non réalisées devant elles, qui coulent goutte à goutte, mais qui pourraient déferler d’un coup. »

Un problème attendu

Ce sujet inquiétait en 2023, mais cette fois, on y est. Plusieurs banques ont fait faillite au printemps dernier, en partie parce que la hausse des taux d’intérêt avait réduit la valeur de leurs actifs. On craignait alors que l’immobilier commercial n’ait un effet domino sur d’autres secteurs.

Selon Trepp, les banques détiennent 1400 des 2600 milliards US de prêts immobiliers commerciaux qui arriveront à échéance d’ici cinq ans. Les petites banques régionales sont particulièrement exposées.

En 2023, les économistes et les autorités craignaient que cela n’effraie les déposants, surtout ceux dont l’épargne dépasse le plafond de 250 000 $ US fixé par l’assurance gouvernementale, et ne les incite à retirer leur argent. Mais les pouvoirs publics ont réagi avec vigueur. Ils ont aidé à vendre les banques en détresse et la Réserve fédérale a mis sur pied du financement bancaire peu cher. La confiance envers les banques a été rétablie et le marché est passé à autre chose.

Les problèmes de la New York Community Bank ont remis le sujet sur le tapis. Selon certains analystes, c’est un cas isolé. Cette banque new-yorkaise avait absorbé la Signature Bank le 20 mars 2023, ce qui l’avait affaiblie. Jusqu’à présent, peu de déposants ont retiré leur argent des banques.

Mais la situation critique de cette banque ramène au premier plan les maux du secteur, même s’il n’y a pas de panique générale. Cela rappelle que le coup de main consenti par Fed l’an dernier doit expirer le mois prochain. Or, les problèmes de l’immobilier commercial demeurent.

Ça va faire mal

L’immobilier commercial englobe le commerce de détail, les logements locatifs et les usines et d’autres actifs. Ce secteur a connu quelques années tumultueuses, les immeubles de bureaux en particulier.

Selon une étude récente du National Bureau of Economic Research, 14 % des prêts immobiliers commerciaux et 44 % des prêts liés aux immeubles de bureaux sont dans le rouge : la valeur des bâtiments est tombée sous la dette contractée.

Les grands prêteurs comme JPMorgan Chase et la Bank of America mettent de l’argent de côté pour couvrir les pertes attendues, mais de nombreuses petites et moyennes banques minimisent l’impact, préviennent des analystes.

Certains bureaux sont encore officiellement loués grâce à des baux pluriannuels, mais en réalité, ils sont quasi vides. M. Hendry les appelle les « bureaux zombies » : ils semblent viables, mais ne le sont pas.

Des centaines de banques menacées

Or, le redressement de ce secteur de l’immobilier semble une chimère. Le retour au bureau a cessé de progresser. La Fed dit certes qu’elle n’entend pas hausser les taux au-delà des 5,25 % à 5,5 % actuels, mais elle a clairement indiqué qu’elle n’était pas pressée de les réduire.

Selon M. Hendry, le nombre des défauts de paiement pourrait presque doubler par rapport à aujourd’hui et atteindre 10 % ou 12 % d’ici à la fin de l’année.

L’étude du National Bureau of Economic Research constate que les actifs des banques ont été dévalorisés par la hausse des taux d’intérêt : les pertes croissantes liées à l’immobilier commercial mettent à risque des centaines de petites et moyennes banques.

Si les déposants non assurés paniquent et se ruent pour retirer leur argent – ce qui a fait tomber des banques en mars dernier –, il pourrait y avoir de nombreuses faillites.

Les autorités à l’affût

La Fed et le département du Trésor affirment surveiller de près le secteur bancaire et l’immobilier commercial.

« Nous savons depuis longtemps que l’immobilier commercial pourrait mettre à risque la stabilité financière ou entraîner des pertes dans le système bancaire ; cela nécessite une surveillance attentive », a déclaré Janet Yellen, secrétaire d’État au Trésor, lors d’une audition devant le Congrès cette semaine.

Interviewé dimanche au réseau CBS, le président de la Fed, Jerome Powell, a reconnu qu’« il y aura des pertes ». Pour les grandes banques, a-t-il dit, le risque était gérable. Au sujet des banques régionales, la Fed travaille avec elles pour faire face aux retombées attendues et certaines devront fermer ou fusionner, a assuré M. Powell.

« Ça s’annonce comme un problème qu’on gérera pendant des années », convient M. Powell. C’est un enjeu « considérable », dit-il, mais qui « ne semble pas se dessiner comme certaines crises antérieures, par exemple la crise financière mondiale » de 2008.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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