La modernisation de la Loi sur l’expropriation ouvre la porte à des expropriations au rabais et de possibles abus de pouvoir, dénoncent ses critiques.

Présenté par la ministre des Transports Geneviève Guilbault, le projet de loi 22 change les règles fixant l’indemnité à verser au propriétaire exproprié. Il a pour objectif de diminuer les coûts de projets publics comme un mode de transport structurant. En résumé, le propriétaire exproprié recevra moins que ce qu’il était en droit de recevoir jusqu’à maintenant. De son côté, la partie expropriante pourra arriver à ses fins plus rapidement et à moindre coût.

Au moment où les parlementaires entendent la société civile en commission parlementaire, trois groupes mettent en garde le législateur contre le risque de dérives si le projet de loi 22 sur l’expropriation est adopté tel qu’il est libellé.

« À sa lecture, on le sent, jamais la partie expropriée n’a été consultée pour élaborer le projet de loi, dit au téléphone Isabelle Melançon, patronne de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU), le lobby des promoteurs immobiliers. Seuls les représentants de la partie expropriante ont été consultés. On retire des droits aux expropriés. À partir du moment où il y a un déséquilibre, il y a un danger. »

« Le fait que ça coûte cher de procéder à une expropriation, c’est un rempart qui vient protéger les droits des citoyens, soutient pour sa part Daniel Dufort, PDG de l’Institut de développement économique de Montréal (IEDM), groupe de pression en faveur de la loi du marché. Du moment où l’on met la barre plus bas, ça ouvre la porte à des dérives. Le droit de propriété est le droit fondamental dans une économie libre. »

L’IEDM soutient que le recul du droit de propriété aura un impact négatif sur le climat des affaires et sur les décisions d’investissement au Québec.

Appauvrissement des expropriés en vue

L’Ordre des évaluateurs agréés du Québec (OEAQ) ne mâche pas ses mots dans son mémoire de 87 pages. « Il y a un potentiel d’appauvrissement des expropriés et une pondération favorable à l’abus des droits dont disposent les corps expropriants. »

Les milliers de petits expropriés partout au Québec sont clairement mal protégés par le libellé de la loi actuellement. Quand on exclut la valeur au propriétaire, on exclut tellement de facteurs potentiels d’indemnisation pour ce qui est des dommages causés par les expropriants. Les petits expropriés vont s’appauvrir automatiquement. Ça ne peut pas exister, ça, quand on se fait exproprier. On n’a pas demandé d’être exproprié, on s’entend.

Pierre Goudreau, président de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec

Sur les 244 articles que contient le projet de loi, l’OEAQ demande le retrait ou des modifications à pas moins de 130 articles. L’organisme déplore notamment que les définitions de valeur marchande et d’usage le meilleur et le plus profitable s’éloignent de celles reconnues au niveau international « et dénaturent la pratique de l’évaluation à des fins d’expropriation selon les principes généralement reconnus ».

Expropriation déguisée

Pas moins critique, l’IDU s’oppose aux articles 73 à 133 du projet de loi dans son mémoire de 52 pages présenté mercredi.

Parmi les reproches formulés par l’IDU, il y a l’omission à l’article 87 d’écarter le planning blight ou l’expropriation déguisée quand vient le temps de déterminer la valeur marchande d’un immeuble faisant l’objet d’une démarche d’expropriation, comme l’ont pourtant établi les tribunaux depuis longtemps.

Le planning blight représente « les lois et les règlements et les gestes et omissions de l’autorité expropriante ou à son initiative en vue de l’expropriation ».

Prenons l’exemple d’une ville qui change le zonage résidentiel d’un terrain vacant en zonage parc pour ensuite procéder à l’expropriation. Les règles actuelles disent qu’on doit écarter ce changement de zonage en parc quand vient le temps d’évaluer la valeur de la propriété expropriée. Le projet de loi 22 retire cette disposition, selon l’IDU.

« Ces nouvelles règles ne se retrouvent pas dans les lois d’expropriation des autres juridictions canadiennes, fait valoir l’IDU. […] Ces nouvelles règles risquent de nuire à l’attractivité économique du Québec, au moment où [la société est appelée] à se mobiliser pour résorber la crise du logement. »

L’Ordre des évaluateurs agréés du Québec (OEAQ) renchérit : « Le PL22 pourrait ouvrir la porte à des cas d’expropriations déguisées ou du planning blight. »

Le bien commun

Pour le pouvoir municipal, qui a réclamé la réforme, le projet de loi 22 a pour objectif de permettre de réaliser rapidement des projets vertueux comme des parcs en se contentant de payer l’équivalent d’une indemnité juste au propriétaire qui se fait exproprier de son terrain.

Selon le point de vue de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), le projet de loi 22, en délaissant la valeur au propriétaire et en se rapprochant de la valeur marchande, modernise enfin la loi dans le sens de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. Une affirmation que conteste l’IDU.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Philippe Meloche voit le projet de loi 22 d’un bon œil. Le professeur de l’Université de Montréal donne en exemple les terrains de golf où il y a souvent de la surenchère sur l’expropriation. « Des jugements rendus sur certaines expropriations étaient ridicules parce qu’il n’y avait aucun lien avec la valeur marchande du bien étant donné son usage. »

Pour leur part, les professeurs Jean-Philippe Meloche, de l’Université de Montréal, et Danièle Pilette, de l’UQAM, voient d’un œil favorable le projet de loi 22 et ne s’inquiètent guère de possibles dérives.

« Il y a de bonnes raisons de penser que le projet de loi est une bonne idée au départ, dit au téléphone M. Meloche. L’idée est de se rapprocher d’une valeur marchande quand on fait une expropriation plutôt que d’une valeur punitive. » Selon lui, l’application de ce principe fera baisser les coûts des projets au Québec.

Il donne en exemple les terrains de golf où il y a souvent de la surenchère sur l’expropriation. « Des jugements rendus sur certaines expropriations étaient ridicules parce qu’il n’y avait aucun lien avec la valeur marchande du bien étant donné son usage », souligne-t-il. Il serait par ailleurs surpris si la loi décourageait l’investissement immobilier.

La présente version de la loi 22 ne prévoit rien pour obliger les villes à réaliser ultimement le projet à la source de l’expropriation.

« Si on fait des expropriations, ça prend de l’argent. La contrainte, c’est la disponibilité de l’argent pour le municipal », rétorque la professeure Danièle Pilette qui ne croit pas que le recours aux expropriations prendra de l’ampleur à cause des changements proposés.

En savoir plus
  • 1000
    Nombre habituel de dossiers d’expropriation traités au Québec annuellement
    Source : Gouvernement du Québec