Les prix des propriétés sur le bord de l’eau avaient commencé leur ascension bien avant 2020. Ils ont été accentués avec la pandémie. Qui aujourd’hui, au Québec, a le luxe de s’acheter une maison qui donne sur l’eau ?

Au début de ce millénaire, donc il n’y a pas si longtemps, vous pouviez mettre la main sur une propriété qui a accès à l’eau pour moins de 100 000 $ dans les Laurentides. C’est pratiquement impossible aujourd’hui : le prix moyen enregistré cette année (au premier trimestre) est de 418 000 $ pour une résidence avec accès à un plan d’eau dans la région. Bien sûr, les moyennes cachent d’énormes différences de prix selon l’emplacement et l’état de la propriété, mais la hausse globale est un indicateur incontestable : 331 % en 20 ans pour les résidences au bord de l’eau ou ayant accès à l’eau au Québec.

Qui achète ?

Ça reste beaucoup les quinquagénaires, dit tout de go Véronique Boucher, courtière immobilière en résidentiel en Estrie chez Royal LePage Au Sommet.

Souvent, ils voient la retraite approcher et achètent une maison sur le bord de l’eau qu’ils habiteront à temps partiel d’abord, durant les week-ends et les vacances, détaille-t-elle. Pour ensuite s’y installer à temps plein, une fois la retraite bien entamée.

La migration urbaine se poursuit, dit Véronique Boucher, et l’attrait de la résidence secondaire se maintient, malgré les prix élevés.

Au lac des Piles, en Mauricie, les habitants cèdent leur place à des « gens de l’extérieur » – de Trois-Rivières, voire de plus loin, explique Christian Carrier, président de l’Association des résidants du lac des Piles. L’endroit est magnifique, calme et à moins d’une heure de route de plusieurs villes – ce qui est une norme non écrite pour un chalet, dit-il. « Le classique pour un chalet, poursuit Christian Carrier, est 60 minutes. Pour que tu puisses y retourner un soir de semaine si tu as oublié quelque chose. Ou si tu veux voir le coucher du soleil. »

Qui n’achète pas ?

Les jeunes achètent moins, évidemment.

À moins de mettre la main sur une résidence de 400 000 $, dit Cathleen Hill, courtière immobilière chez RE/MAX Bonjour dans les Laurentides. Et pour payer ce prix-là, il faut avoir envie de se lancer dans un projet de rénovation.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Avec des prix de plus en plus prohibitifs, les jeunes pouvant acquérir une résidence au bord de l’eau sont moins nombreux.

Des jeunes qui veulent s’installer pour vivre sur le bord de l’eau vont le faire, dit-elle.

« Mais les gens qui s’achètent une résidence secondaire ne veulent pas rénover les week-ends », précise Cathleen Hill.

La hausse des prix de ce type de résidence nous laisse devant cette dure réalité, note l’agente immobilière : « Les enfants n’ont plus les moyens de racheter les propriétés de leurs parents. Ils ne peuvent pas payer le prix du marché. »

Au-delà de l’évaluation

« On croit que la filiation va se faire naturellement, mais ça n’est pas toujours le cas », explique Christian Carrier, président de l’Association des résidants du lac des Piles. Selon lui, des enfants qui ont grandi les pieds dans l’eau ne souhaitent pas garder la propriété familiale s’ils héritent de la résidence de leurs parents. Ce qui mène à ce phénomène : des familles qui possédaient trois ou même quatre chalets voisins sur le bord d’un lac n’en ont plus qu’un. Ou aucun.

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Il faut dire que la vente est tentante. Au lac des Piles, la valeur des maisons a commencé à grimper il y a une dizaine d’années, explique Christian Carrier. À ce moment-là, une propriété était vendue autour de 20 % au-delà de l’évaluation municipale, alors que l’actuelle norme est plutôt autour de 35 %, dit-il.

Un marché hors norme

Comme un lac n’est pas élastique, chacune des maisons qui le bordent gagne en valeur, explique Jean-Pierre Cadrin, évaluateur municipal qui travaille dans les Cantons-de-l’Est depuis une trentaine d’années.

« Ça devient une simple question de pouvoir d’achat », dit-il.

Certains lacs très prisés se transforment ainsi tranquillement en « clubs privés ».

« Si on retourne dans les années 1950, les bords de lacs québécois n’étaient pas prisés, poursuit Jean-Pierre Cadrin. Les Canadiens français n’avaient pas les moyens d’avoir deux propriétés. »

Les temps ont changé et le prolongement des autoroutes a rendu des lacs plus éloignés attirants pour les riches urbains qui s’y sont installés.

La mort du shack

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les petits chalets au bord de l’eau, plus modestes, semblent voués à disparaître.

Dans ce contexte, quel est l’avenir du shack, ce chalet modeste qui se trouve au bord de l’eau et qui a gardé sa belle rusticité originelle ?

« La démolition », répond Jean-Pierre Cadrin sans hésiter.

D’abord, il faut comprendre qu’il est question ici de bâtiments d’une valeur de 50 000 $ ou au maximum 100 000 $ sans valeur patrimoniale.

Quelqu’un qui achète le terrain (et le chalet !) pour 700 000 $ va inclure le prix de la démolition dans le budget pour bâtir la nouvelle résidence, donne en exemple Jean-Pierre Cadrin.

Dans ce contexte, l’accès à une résidence sur le bord de l’eau devient impossible pour de nouveaux acheteurs.

Ceux qui sont propriétaires depuis 20 ou 30 ans sont chanceux. La valeur des propriétés croît plus vite que les taux d’intérêt. Ou que la Bourse.

Pierre Cadrin, évaluateur municipal des Cantons-de-l’Est

Des vendeurs déçus

Malgré la hausse, certains courtiers doivent gérer la déception de leurs clients qui souhaitent afficher leur propriété au prix qu’elle se serait vendue il y a 24 mois ou même 12 mois, durant le plus fort de la pandémie.

« Les gens sont restés accrochés aux prix affichés pendant la pandémie, avoue Véronique Boucher, de Royal LePage, même si en général, les gens s’ajustent à la valeur marchande actuelle. »

Selon Véronique Boucher, ceux qui vendent leur propriété au bord de l’eau sans en racheter une regrettent de ne pas avoir affiché la maison plus tôt.

Une demande constante

« En début d’année, on avait prévu des baisses importantes, mais en fait, il n’y en a pas vraiment, dit Véronique Boucher. Quand les maisons sont affichées au bon prix, ça part bien. »

La croissance est moins accélérée, mais la demande, toujours forte, dit-elle. Les délais de vente, toutefois, peuvent être un peu plus longs.

Sa collègue des Laurentides Cathleen Hill le confirme : il n’y a pas de baisse d’intérêt pour les maisons sur le bord de l’eau.

Dans les Laurentides, l’attrait de la nature et d’une vie active continue de convaincre bien des urbains de quitter la ville.

« Les Laurentides vont toujours être très prisés des acheteurs », dit celle qui a son bureau à Saint-Sauveur. Les lacs, mais aussi les centres de ski et les sentiers de randonnée, convainquent apparemment les futurs propriétaires de tous les âges de payer un peu plus cher pour la maison de leurs rêves.

Et quand ce sont des retraités qui achètent, de savoir qu’en plus, il y a des hôpitaux importants dans la région peut faire la différence, souligne Cathleen Hill.

L’effet des taux d’intérêt

Il y a deux types d’acheteurs pour les résidences au bord de l’eau, explique Véronique Boucher. D’abord, ceux pour qui le financement n’est pas un enjeu. Ceux-là ne sont pas ennuyés par la hausse des taux d’intérêt. Par contre, ceux et celles qui avaient planifié depuis un bout de temps cet achat et bâti un plan d’économies pour y parvenir doivent attendre un peu.

« Pour les propriétés au bord de l’eau, c’est une petite partie des acheteurs qui étaient rendus là, de nouveaux acheteurs, que les taux d’intérêt ont ralentis. »

Les offres multiples et surenchères

« Présentement, les prix sont légèrement négociés alors qu’avant, on allait en surenchère, dit Véronique Boucher. Si on affiche à 1,2 million, la maison devrait se vendre plus ou moins 1,2 million ou 1,1 million alors qu’avant, on montait à 1,35 million. »

Il reste qu’une rareté va toujours partir rapidement, dit Eva Gagnon, courtière immobilière au Lac-Saint-Jean, membre du groupe RE/MAX.

« Le produit que tout le monde veut part vite », dit celle qui travaille dans le domaine depuis une quinzaine d’années et qui n’avait jamais connu de surenchères avant la pandémie.

S’installer pour de bon

Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, les courtiers ont vu des urbains s’installer sur le bord de l’eau durant la pandémie. Des gens venus de Québec et même de Montréal qui adoptaient une nouvelle vie avec le télétravail. Cela a fait que plusieurs chalets sont devenus des résidences principales, explique Eva Gagnon. Dans une municipalité comme Saint-Gédéon, par exemple, où les prix ont atteint des sommets. « Une maison à 1 000 0000 $ à Saint-Gédéon, je n’avais jamais vu ça ! »

Entre 2021 et 2022, le prix des maisons situées au bord de l’eau pour l’ensemble du Québec a augmenté de 26 %.