La rumeur circulait sur les réseaux sociaux (et les rues résidentielles) : malgré le ralentissement du marché immobilier, le segment des maisons abordables ferait encore l’objet d’une surenchère. Mais qu’en est-il sur le terrain, gazonné ou non ?

Abordables, vous dites ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Les acheteurs les moins capables de payer cher sont-ils encore ceux qui sont forcés de surenchérir ?

Une récente rumeur qui courait les rues voulait que le segment des maisons abordables soit encore soumis à la surenchère ce printemps, malgré le ralentissement du marché immobilier.

Est-ce le cas ?

Premier constat, bien qu’on les qualifie de maisons abordables, elles sont toujours aussi difficiles à aborder. Le 5 avril, une recherche sur la plateforme immobilière Centris faisait apparaître 97 maisons unifamiliales en vente dans l’île de Montréal dans la fourchette de 300 000 $ à 450 000 $.

Celle de 450 000 $ à 600 000 $ comptait 324 inscriptions.

Plusieurs de ces 97 propriétés moins coûteuses étaient situées dans l’est de l’île, dans les secteurs de Rivière-des-Prairies et Pointe-aux-Trembles.

Voyons ce qui s’y passe.

Maisons unifamiliales en vente dans l’île de Montréal

De 300 000 $ à 450 000 $ : 97 inscriptions

De 450 000 $ à 600 000 $ : 324 inscriptions

De 600 000 $ à 750 000 $ : 334 inscriptions

De 750 000 $ à 900 000 $ : 349 inscriptions

Source : plateforme Centris (5 avril 2023)

Sur le terrain (encore boueux)

« Oui, ce qu’on voit sur le terrain, c’est encore de l’offre multiple dans la propriété qui est dite abordable », constate Mélissa Lampron, directrice générale de l’agence RE/MAX D’ICI, qui couvre notamment la pointe est de l’île de Montréal et les villes de Terrebonne et de Repentigny.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Mélissa Lampron, directrice générale de l’agence RE/MAX D’ICI

Et la propriété dite abordable en 2023 n’est pas celle qui était abordable en 2019. Il y a quand même eu une hausse importante, depuis lors. Le premier acheteur qui a un budget autour de 450 000 $ sera effectivement encore aux prises avec de la surenchère, ou devra s’éloigner.

Mélissa Lampron, directrice générale de l’agence RE/MAX D’ICI

Surenchère ?

Il y a peut-être surenchère linguistique. Marché actif est-il synonyme de surenchère ?

« En fait, le terme approprié serait offres simultanées ou présentation d’offres multiples, décrit Mélissa Lampron. Ça ne veut pas automatiquement dire de la surenchère. Ça ne veut pas dire qu’on va avoir des prix offerts au-dessus du prix demandé, mais très souvent, c’est l’équation qui se fait. »

Une baisse dans le haut

Une baisse de prix a bel et bien été observée, mais elle s’est surtout manifestée dans les propriétés de milieu à haut de gamme.

« Pour ce qui est de la pointe est de l’île, pour une propriété unifamiliale, on parle d’un prix médian à 465 000 $, mais d’un prix moyen à 515 000 $ », informe la directrice.

« Oui, il y a une petite correction des prix. Dans les secteurs dont vous me parlez, on est à peu près dans du 2 à 4 % de perte de valeur dans les prix médians. Mais ce n’est rien de majeur, et ce n’est pas du tout ce qui avait été annoncé. »

Pour une propriété qui est en bon état, à un prix de 400 000 $ ou 450 000 $, que ce soit dans l’est de l’île ou encore à Terrebonne, Mascouche, Repentigny, on est encore dans les offres multiples, si la propriété se présente bien et qu’il n’y a pas de rénovations majeures à effectuer. J’ai des courtiers qui dans les derniers jours ont eu de 5 à 20 offres pour une propriété.

Mélissa Lampron, directrice générale de l’agence RE/MAX D’ICI

Un exemple, le 4 avril

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Bungalow classique, sur la 15e Avenue, à Pointe-aux-Trembles

Un bungalow classique, sur la 15Avenue, à Pointe-aux-Trembles

Construction : 1962

Terrain de 5408 pi⁠2

10 pièces, y compris le sous-sol

Une vue sur Street View, filmée durant la belle saison, montre une rue de banlieue typique, bordée d’arbres matures.

Le prix demandé s’insère de justesse dans notre fourchette abordable de 300 000 $ à 450 000 $ : 449 900 $.

Consultez la fiche de la propriété

Cap au sud

Vérifions au sud de l’île, cette fois dans la région de Saint-Jean-sur-Richelieu.

« Vous avez visé juste. Pour tout ce qui est en bas de 500 000 $ et qui est mis au bon prix, on est quasiment toujours encore en situation d’offres multiples », assène Alexandre Desrochers, président de Royal LePage Excellence, une agence située à Saint-Jean-sur-Richelieu et comptant 42 courtiers.

Autour de cette municipalité, 60 % des propriétés mises en vente font l’objet d’offres multiples, estime-t-il.

Ce qui est en bas de 500 000 $, ce qu’on appelle encore les maisons abordables, si c’est une belle propriété, bien listée, c’est certain que ça ne fait pas long feu sur le terrain.

Alexandre Desrochers, président de Royal LePage Excellence

Rien à voir avec la frénésie de la période pandémique, toutefois.

« Ce n’est plus des 10, 12, 15 offres. On peut parler d’une à cinq offres pour la plupart des situations de surenchère qui restent », expose Alexandre Desrochers, lui-même courtier.

En situation de surenchère, toutefois, la bonification est nettement plus mince qu’il y a un an ou deux ans. « Avant, on allait jusqu’à du 50 000 $ ou 100 000 $ en haut du prix, mais on n’est plus là du tout. On est dans les 1000 à 10 000 $ au-dessus du prix, ces temps-ci. »

Maisons unifamiliales en vente à Saint-Jean-sur-Richelieu

De 300 000 $ à 450 000 $ : 53 inscriptions

De 450 000 $ à 600 000 $ : 73 inscriptions

De 600 000 $ à 750 000 $ : 56 inscriptions

De 750 000 $ à 900 000 $ : 38 inscriptions

Source : plateforme Centris (5 avril 2023)

Moins de bulles dans le champagne

Le nombre d’inscriptions dans la région de Saint-Jean-sur-Richelieu a doublé depuis un an. « Durant le confinement, on était à 125 inscriptions, présentement, on est à peu près à 300 », indique Alexandre Desrochers.

« Par contre, ça ne change strictement rien, ajoute-t-il. À 500 inscriptions et plus, on verrait plus d’équilibre, mais on n’est pas arrivé là encore. »

Le marché demeurera favorable aux vendeurs pour encore au moins un an, prévoit le président de Royal LePage Excellence, malgré la légère correction des prix qu’il observe lui aussi sur son marché.

« Prenons par exemple une propriété qu’on listait à 425 000 $. On savait qu’elle allait se vendre 500 000 $. Aujourd’hui, cette propriété-là va peut-être se vendre 435 000 $. Il y a une baisse, mais seulement par rapport au plus fort du confinement. Les gens sont encore satisfaits du prix auquel on évalue les propriétés. Moi, j’appelle ça les bulles dans le champagne : le champagne est moins effervescent. »

Mais on ne parle pas encore de bulle immobilière.

Cette chère surenchère

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Oui, il y a encore surenchère, enchérit un analyste.

« La proportion de surenchère est quand même beaucoup réduite dans l’ensemble du marché par rapport à ce que c’était l’année dernière, mais il y a quand même encore de la surenchère, il faut en être conscient », confirme Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ).

« Les surenchères vraiment significatives, c’est-à-dire quand les ventes sont conclues 10 % et plus au-dessus du prix affiché, représentent peut-être 5 à 10 % des transactions, selon les marchés », constate-t-il.

Ces offres multiples et simultanées se concentrent davantage dans les propriétés qui se négocient aux alentours du prix médian du marché concerné.

« Et forcément, ça touche les propriétés qui sont peut-être plus abordables, qui sont surtout des propriétés qui sont mises en vente à un juste prix, et non pas à un prix exorbitant ou qui se réfère à des comparables d’il y a six mois », explique M. Brant.

Ce sont des maisons clés en main, c’est-à-dire sur lesquelles il n’y a pas de travail à faire ou qui sont vraiment désirables. Il y a là des possibilités de surenchère, c’est certain, parce que c’est un produit rare et recherché.

Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ)

Dans la région de Montréal, les négociations de prix touchent de 15 à 20 % des transactions, estime l’analyste. « Il y a quand même relativement peu de négociations dans un marché qui est en fort ralentissement », relève-t-il.

L’essentiel, donc plus de 50 %, se négocie au prix affiché. Mais il y a quand même au moins 15 % qui se négocient en surenchère et 20 % qui se négocient en bas du prix affiché.

Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ)

Un prix qui a tout de même diminué depuis un an.

Le prix

« Le prix des propriétés unifamiliales a culminé à Montréal en avril 2022 », rappelle Charles Brant.

Le prix médian des unifamiliales dans la région montréalaise a baissé de 5 % en mars par rapport à la même période l’an passé, selon les plus récentes données que l’APCIQ a dévoilées cette semaine.

Une baisse qui, en comparaison des prévisions cataclysmiques, « n’est pas si terrible que ça », juge Charles Brant.

Le prix de vente médian pour une unifamiliale s’est fixé à 535 000 $ dans la région de Montréal en mars 2023. Durant la même période, le prix des condos montréalais a chuté de 5 %, tandis que celui des plex se repliait de 8 %.

En dépit de la hausse des taux d’intérêt, « il n’y a pas eu un tsunami de nouvelles inscriptions qui sont arrivées sur le marché par des gens qui n’étaient plus capables de payer leurs mensualités, souligne l’analyste. Ce n’est pas du tout ça qui est arrivé ».

Le marché s’est plutôt encombré de propriétés moins intéressantes qui ne trouvaient pas preneur.

« Les autres ont pu se négocier au prix affiché, c’est-à-dire sans trop de négociations à la baisse. C’est pourquoi on se rend compte maintenant que les prix de mars 2023 pour les unifamiliales ne sont pas beaucoup plus bas que ceux qu’on connaissait l’année dernière à la même époque. »

Des projections

Selon le tout récent rapport des services économiques de la Banque TD, publié le 4 avril, le nombre de transactions sur le marché québécois, après une chute de 20,4 % en 2022, devrait encore diminuer de 20,5 % en 2023, avant de connaître une reprise de 6,7 % en 2024.

En comparaison, le marché immobilier ontarien, qui s’est effondré de 32,3 % en 2022, devrait encore fléchir de 8,1 % en 2023, puis se redresser de 18 % en 2024.

TD prévoit encore que le prix moyen des maisons québécoises, qui avait augmenté de 9 % en 2022, devrait céder 4,2 % en 2023, puis regagner 1,8 % en 2024.

En Ontario, le prix moyen devrait baisser de 8,1 % en 2023 avant de reprendre 18 % en 2024.