« Un quartier à échelle humaine, ça ne veut pas dire : ne pas faire des tours. Ça veut dire : bien faire les tours », a lancé Laurence Vincent au début de son allocution au forum stratégique de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) sur les grands projets qui s’est tenu vendredi matin.

Mme Vincent préside la société immobilière Prével, responsable de la construction de nombreux ensembles d’habitation dans les quartiers centraux de Montréal. Elle travaille actuellement à réaliser Esplanade Cartier, lotissement d’un potentiel de 2000 logements au pied du pont Jacques-Cartier.

Avec cette réplique, elle répondait à Luc Rabouin, maire du Plateau-Mont-Royal et responsable du développement économique au comité exécutif, qui l’avait précédée à la tribune en vantant les mérites d’une « densité à échelle humaine ».

« Mon arrondissement a l’une des densités les plus fortes, et il n’y a pas de tours », a-t-il répondu à une question de Michel Leblanc, président et chef de la direction de la CCMM, sur la vision de la Ville pour le secteur Bridge-Bonaventure au sud-ouest du centre-ville.

La Ville et des promoteurs immobiliers, dont Devimco, sont à couteaux tirés quant à l’avenir du secteur. L’administration de Valérie Plante propose qu’il s’y bâtisse 4000 logements sur un territoire de 2,3 kilomètres carrés. Les promoteurs y voient de la place pour trois fois plus.

En pleine crise du logement, le fossé entre les deux visions retient l’attention.

Lisez l’éditorial « Densifier Bridge-Bonaventure »

« Machines à contraintes »

Mme Vincent était à la tribune de la Chambre de commerce non pas pour parler de Bridge-Bonaventure, mais pour exposer les difficultés qu’elle rencontre avec l’administration municipale pour son projet Esplanade Cartier, à l’est du centre-ville.

« Les pouvoirs publics sont devenus des machines à contraintes », a-t-elle résumé.

Pour ceux qui ne la connaissent pas, Mme Vincent est l’antithèse de l’image traditionnelle du promoteur, mâle alpha, qui « bulldoze » tout sur son passage pour arriver à ses fins sans se soucier des conséquences.

« Le projet Esplanade Cartier de Prével est exemplaire », au dire de Michel Leblanc : multiples consultations en amont, agriculture urbaine avec jardins maraîchers sur les toitures, placette publique, logements sociaux avec le Y des femmes de Montréal, préservation des vues sur le pont Jacques-Cartier, rues partagées favorisant le transport actif et commerces de proximité pour revitaliser la rue Sainte-Catherine.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR PRÉVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Illustration d’une partie du projet Esplanade Cartier

Esplanade Cartier remplace, a assuré Mme Vincent, un terrain vacant, un îlot de chaleur, qui défigurait l’entrée sud-est de la ville.

« Quand je prends connaissance des caractéristiques de votre projet et quand j’entends le discours de la Ville sur ce que devrait être le développement urbain, je me dis que la Ville doit tout faire pour favoriser sa réalisation », a fait remarquer M. Leblanc, lors de la discussion avec Mme Vincent qui a suivi son allocution.

La vérité serait tout autre, comprend-on des propos de Mme Vincent.

« [Bien] qu’on consulte depuis près de trois ans et que l’Office de consultation publique se soit prononcé en faveur des hauteurs et du projet présenté, le programme particulier d’urbanisme adopté par la Ville ne va même pas dans ce sens-là : on a coupé les hauteurs, on a réduit les superficies de plancher, qu’on limite à 750 mètres carrés », a-t-elle rappelé à l’auditoire.

Cette limitation des superficies de plancher dans le secteur des Faubourgs est une saga en soi, dont La Presse a déjà fait état.

Lisez l’article « Un nouveau règlement fait craindre une hausse de prix »

Les trois premières phases d’Esplanade Cartier ont été lancées en respectant les balises du règlement de zonage. L’inflation des coûts de construction vient maintenant compromettre la rentabilité du projet, ce qui amène Prével à demander des dérogations au zonage pour les trois dernières phases.

Processus fastidieux

La situation oblige donc Prével à retourner devant la Ville pour faire approuver les dérogations au zonage des dernières phases de son projet Esplanade Cartier, processus pouvant entraîner la tenue d’un référendum à la demande des citoyens.

Risque référendaire mis à part, le processus des projets particuliers de construction, de modification ou d’occupation d’un immeuble est fastidieux.

« On nous envoie à l’urbanisme, qui nous envoie à l’ingénierie, qui nous renvoie au service de l’eau, qui nous réfère au service incendie, qui nous demande de valider avec les permis, qui attend après le go du contentieux pour… nous renvoyer à l’urbanisme, pour finalement… ne pas savoir qui va prendre la décision », a-t-elle énuméré dans une tirade qui a suscité des applaudissements chez les 300 personnes présentes.

Laurence Vincent ne s’est pas contentée de critiquer ; elle a avancé des solutions. Elle suggère que la Ville nomme un chargé de projet avec pouvoir décisionnel qui aurait pour tâche de faire cheminer le projet du promoteur à travers l’appareil municipal en incitant les services à traiter le dossier avec diligence et efficacité.

En réponse à la crise du logement, elle propose que les arrondissements se dotent d’objectifs annuels de mises en chantier de logements, ce qui les inciterait à se montrer proactifs. « Actuellement, le seul acteur qui a le fardeau de construire de nouveaux logements, c’est le promoteur », a-t-elle dit.