C’est l’histoire d’une disposition réglementaire contestée qui ne veut pas mourir, en dépit des appels en faveur de sa disparition.

La Ville de Montréal a modifié fin août son règlement de zonage au centre-ville pour limiter la superficie de plancher des étages supérieurs des futurs bâtiments du secteur des Faubourgs, au sud-est du centre-ville près du pont Jacques-Cartier.

La Ville avait pourtant précédemment retiré cette disposition dans la version finale du Programme particulier d’urbanisme (PPU) des Faubourgs en juin dernier, suivant ainsi une recommandation de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM).

Un PPU sert à encadrer le développement urbain dans le sens souhaité par les autorités municipales dans un secteur donné. Dans le cas des Faubourgs, le quartier est stratégique, car il constitue l’entrée sud-est de la ville, et de vastes terrains (site de Radio-Canada, Molson et Porte Sainte-Marie) feront l’objet d’une remise en valeur dans les prochaines années.

En régulant les superficies de plancher des étages supérieurs des immeubles, la Ville de Montréal suit l’exemple de Vancouver. Au sud-est du centre-ville, Montréal exige désormais que les futures tours soient composées d’un podium d’environ 15 étages (45 mètres) de haut et d’une partie en surhauteur plus effilée, limitée à 750 mètres carrés par étage.

Le but de ces constructions avec basilaire et tour amincie est d’éviter la présence massive de hauts gratte-ciel collés à la rue qui cachent tout, une silhouette intimidante pour les piétons sur les trottoirs.

Mais une telle limite de superficie de plancher a potentiellement un impact à la hausse sur le coût des logements, a prévenu l’Office de consultation publique de Montréal dans son rapport sur le PPU des Faubourgs paru le 4 mars dernier.

« La commission est préoccupée par ces limites, craignant qu’elles constituent un obstacle majeur à l’intégration des unités de logement social ou abordable et puissent encourager, tant sur le plan de l’efficacité économique qu’énergétique, la construction d’unités dans la fourchette supérieure de prix », lit-on dans son rapport.

L’avis de l’Office est partagé par de nombreux architectes, urbanistes, promoteurs de logements sociaux et même un professionnel rompu aux particularités du marché vancouvérois.

Montréal n’est pas Vancouver

« Le marché montréalais n’a rien à voir avec celui de Vancouver », souligne Maxime-Alexis Frappier, président d’ACDF, dans un mémoire soumis à la Ville. Les architectes de la firme ACDF travaillent depuis plusieurs années à Vancouver.

« La pression financière qu’exerce une tour de 750 m2 finirait par [se répercuter sur] l’ensemble de la qualité architecturale du projet, dans un marché comme celui de Montréal. […] Une tour de faible superficie (750 m2) limite considérablement les options d’aménagements en plan. Sur un plancher de 750 m2 (8075 pi2), on peut y aménager environ 7 logements de 1 ou 2 chambres. Il est très difficile d’aménager des logements de 3 chambres sans utiliser 2 coins de la tour, ce qui entraîne une forte pression financière sur les logements de 3 chambres. […] Nous n’avons pas ce type de problématique à Vancouver alors que les condominiums que nous avons réalisés sont vendus entre 2750 $/pi2 et 3000 $/pi2 (environ 2 millions pour un appartement de deux chambres). »

Une disposition tenace

Des limites chiffrées de superficie de plancher sont d’abord apparues dans la première version du PPU des Faubourgs en mars 2020, version soumise à l’OCPM.

La Ville a ensuite retiré les limites chiffrées de superficie de plancher dans la version définitive du PPU de juin dernier à la suite de la recommandation des commissaires de l’Office.

La Ville a adhéré à la recommandation de l’OCPM sans toutefois partager son analyse sur l’abordabilité. « Le lien entre la restriction de superficie d’étage pour les volumes en surhauteur et l’abordabilité des logements n’est pas démontré, ni même son caractère non écologique. Les hauteurs permises, conjuguées aux restrictions d’étages, permettent d’atteindre la densité fixée pour les terrains. Il n’y a donc pas de surcoût engendré par cette restriction quant au potentiel de développement », lit-on dans le document de suivi au rapport de l’OCPM préparé par la Ville et qui a précédé la rédaction de la version définitive du PPU.

La disposition contestée est réapparue un mois plus tard dans le règlement de concordance présenté le 6 juillet dernier et qui a été adopté par la Ville le 26 août. Les citoyens concernés peuvent exiger la tenue d’un référendum sur le règlement de concordance. Ils ont jusqu’au 7 septembre pour le faire.

« Cet élément a été retiré du PPU afin d’être traité en dérogatoire au niveau du règlement d’urbanisme, dit la Ville en guise d’explication au va-et-vient. Il est possible de réaliser des projets sur de plus grandes surfaces par le dépôt d’un projet particulier. »

Ce qu’en disent les spécialistes ?


Extraits de mémoires soumis en août dernier à la Ville de Montréal au sujet du règlement d’urbanisme du secteur des Faubourgs

L’intention de vouloir limiter la superficie brute maximale à 750 m2 pour tous les étages situés au-dessus de la hauteur prescrite dans le règlement entraînera une réduction de l’efficacité du plan type de ces étages et, nécessairement, une hausse des coûts de construction par unité de logement.

Pierre-Olivier Bouchard, directeur du développement immobilier chez Interloge, OBNL dont la mission est de construire et de gérer des logements sociaux

Nous sommes d’avis que la réduction de la superficie de plancher des tours à 750 m2 est une intention louable, mais qui devrait être revue en faveur d’une superficie maximale plus réaliste et surtout écologiquement plus responsable.

Maxime-Alexis Frappier, président de la firme d’architectes ACDF

Malgré les recommandations de l’OCPM, la Ville de Montréal a décidé, par son règlement de concordance, de fixer à 750 m2 la superficie maximale de l’ensemble des bâtiments sur le site du Quartier des lumières dont les balcons. TOUS les bâtiments sont visés par cette mesure : logements sociaux, résidentiels locatifs, condos et tours de bureaux. Selon l’ensemble des parties prenantes, à l’exception de la Ville de Montréal, ce règlement aura un impact majeur sur l’abordabilité du projet, ce qui est en totale divergence avec les demandes imposées par la Ville de Montréal.

Evelyne Paris, associée, directrice de projets, architecture, directrice de marché, divertissement, chez Lemay

Le projet de règlement propose plusieurs modifications par rapport à la version initiale du règlement soumis à la consultation de l’OCPM, notamment une superficie maximale de plancher brute pour les niveaux en surhauteur, dont les balcons, de 750 m2. Une telle modification, si elle était adoptée, aura pour conséquence de diminuer la densité du PPU des Faubourgs, nuisant alors à l’intérêt pour des commerçants de proximité à vouloir s’y implanter.

Jacques Nantel, spécialiste du commerce de détail et professeur émérite à HEC Montréal