Après avoir payé leur loyer et répondu à leurs besoins essentiels, que reste-t-il aux locataires chaque mois ? Selon des données fournies par Centraide, le nombre de ménages qui se retrouvent dans le rouge après s’être acquittés de ces dépenses de base a connu une hausse entre 2022 et 2023 à Montréal.

« Je pense que les trois prochaines années vont être encore plus difficiles. J’ai un peu peur », affirme sans retenue le président et directeur général de Centraide du Grand Montréal, Claude Pinard.

Un ménage devait gagner 31 000 $ pour être capable de payer ses dépenses de base et qu’il lui reste de l’argent après, selon les résultats 2023 de l’indicateur de solde résiduel.

Les données compilées par Centraide et la firme McKinsey & Company se basent sur les plus récentes données de Statistique Canada et de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

Toujours en 2023, environ 310 000 ménages du Grand Montréal ne gagnaient pas cette somme, donc avaient un solde résiduel négatif.

Selon les estimations de l’organisme, ce sont 18 000 ménages de plus qu’en 2022 qui manquent d’argent à la fin du mois pour payer leurs besoins essentiels.

À moins de se priver une fois le loyer payé.

C’est le cas de Sophie Laramée, mère de famille monoparentale. « En réalité, je vis sur des sous empruntés », partage-t-elle. Elle et ses deux filles, âgées de 16 ans et de 8 ans, habitent un logement du Sud-Ouest de Montréal depuis 2019.

Elle gagne environ 2200 $ par mois, allocations familiales comprises. Le coût de son logement de six pièces et demie, lui, s’élève à 1850 $ chaque mois. Il lui reste donc 350 $ pour les autres dépenses. Sur quoi se prive-t-elle le plus ? La nourriture, sans l’ombre d’un doute.

« J’y vais au compte-gouttes, témoigne-t-elle. Je ne pensais pas dire ça aujourd’hui, à 45 ans. Je me sens comme la première fois où j’ai fait une épicerie, à 20 ans, et que je suis obligée de calculer. »

Des dommages collatéraux

Alimentation, itinérance, santé mentale, réussite éducative : Centraide, qui soutient 375 organismes et projets communautaires, a observé une hausse considérable de la demande dans tous les secteurs, explique Claude Pinard.

Il souligne que les demandes dans les banques alimentaires ne surviennent plus qu’à la fin du mois, mais font maintenant partie prenante du quotidien de certaines familles et commencent dès le septième ou le huitième jour du mois.

Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), n’est pas surprise des résultats de l’analyse. « Pour nous, le cœur du problème réside dans l’abordabilité, pas seulement dans le nombre de logements disponibles », dit-elle.

« Je suis obligée de couper dans les activités parascolaires des enfants, elles le ressentent », révèle Mme Laramée, fréquemment prise de moments d’angoisse. « Je ne sais pas où tout ça s’en va. »

Selon les résultats de l’analyse de Centraide, si Mme Laramée gagne 26 400 $ annuellement, il lui manque en moyenne 460 $ par mois pour pouvoir assumer ses dépenses de base.

« Au final, ce sont [mes filles] qui paient pour ça », ajoute Sophie Laramée.

Déménager ?

Si Mme Laramée dispose d’environ 350 $ par mois pour subvenir aux besoins essentiels de sa famille, une fois le loyer payé, elle pourrait voir ce montant être encore plus réduit. Son propriétaire lui a récemment fait parvenir un avis d’augmentation… de 100 $ par mois. Ce qu’elle a refusé.

En attendant son audience au Tribunal administratif du logement (TAL), la Montréalaise a envisagé de se trouver un nouveau logement qui pourrait accueillir sa famille. Mais elle s’est vite sentie dépourvue de choix.

« Je me rends compte que j’ai beau chercher, mais ça va être dans les mêmes prix. Même pour un quatre et demie, c’est le même prix », confie-t-elle.

Elle a peur des répercussions de ses démarches devant le TAL sur sa relation avec son propriétaire, mais aussi sur ses finances, puisqu’elle devra s’absenter du travail, sans garantie du résultat escompté. Sa fille de 8 ans nécessitant un suivi avec divers spécialistes une ou deux fois par semaine, Mme Laramée ne peut réaliser autant d’heures de travail qu’avant puisqu’elle doit l’accompagner.

« J’espère que je serai entendue, dit-elle. Je ne veux pas m’en aller. »

Selon les plus récentes données de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le revenu disponible d’une personne seule et travaillant à temps plein au salaire minimum (en date du 1er mai 2023) est de 25 290 $.

Les résultats 2023 de l’indicateur de solde résiduel ont été compilés en collaboration avec la firme McKinsey & Company. La mesure du revenu après impôt, du coût de la vie et des frais de logement pour la RMR de Montréal y est basée sur les plus récentes données de Statistique Canada et de la SCHL.