Le contexte économique des dernières années a mis de la pression sur le budget pour beaucoup d’entre nous. Malgré cela, on peine parfois à réduire certaines dépenses. C’est que notre rapport à l’argent est souvent (très souvent !) plus complexe qu’il n’y paraît. Explications.

Une symbolique particulière

Déjà, il faut se rappeler que nous ne sommes pas tous égaux devant la dépense. Et que cela n’a rien à voir avec nos revenus.

Sinon, dès que nos revenus augmentent, nous pourrions économiser davantage.

Or, c’est souvent le contraire qui se produit, rappelle Myriam Ertz, du département de marketing de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

« C’est la manière dont les gens se sont habitués à quelque chose qui va déterminer le comportement de dépense », dit-elle.

Explications : on commence généralement avec des revenus plus modestes dans notre vie adulte, précise la professeure. Et puis, toujours selon un scénario habituel, les revenus augmentent après les études.

« On commence à avoir plus et, donc, on pourrait économiser plus. Mais en fait, plus les entrées d’argent augmentent, plus les structures de dépenses augmentent. Parce qu’on veut monter dans la strate sociale. On ne va donc pas forcément économiser plus : on dépense juste plus. »

Et la rétrogradation n’est pas un mouvement naturel.

« Ça serait d’avoir un niveau de consommation et d’aller un cran en dessous, plutôt qu’un cran au-dessus. Or, notre nature et la société nous poussent à aller un cran au-dessus, à toujours vouloir aller plus loin. »

Un exemple concret : de nombreuses personnes seront tentées d’opter pour une voiture plus luxueuse si elles atteignent des revenus supérieurs.

« Le rythme de vie change, précise Myriam Ertz. À quel point est-il possible d’amener les gens dans une idéologie de rétrogradage plutôt que d’accroissement et d’accumulation ? Je ne sais pas. »

Dépenser, mais pour quoi ?

Myriam Ertz est responsable du Laboratoire sur les nouvelles formes de consommation de l’Université du Québec à Chicoutimi, une unité de recherche qui s’intéresse à la fois aux consommateurs, aux organisations et au bien-être social.

Selon elle, il faut distinguer deux types de comportements face à l’argent qu’il nous reste, lorsque l’on a des surplus – et déjà, ça montre deux tendances de dépenses.

Il y a ceux et celles qui vont combler les besoins de base (manger, se vêtir, se loger) et ensuite dépenser davantage dans les mêmes catégories. Pour aller dans des restos plus chics et s’offrir des vêtements avec des logos qui valent leur pesant d’or. On comblerait donc les mêmes besoins, différemment, explique la professeure Myriam Ertz.

Et puis, il y a les consommateurs qui vont acheter d’autres choses, des services et des biens, qu’ils ne se seraient jamais procurés avant d’avoir de meilleurs revenus. « On dépense pour des choses qui, entre guillemets, ne servent à rien », précise Myriam Ertz.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À CHICOUTIMI

Myriam Ertz, professeure au département des sciences économiques et administratives de l’UQAC

On peut tous gaspiller son argent. Ça dépend de la situation financière, mais aussi des priorités, des valeurs et des habitudes de vie.

Myriam Ertz, professeure au département des sciences économiques et administratives de l’UQAC

Les temps changent

Autre point à considérer : nos vies changent et on peut difficilement revenir à un niveau de dépenses qui ne correspond plus à nos réalités. Seul, on a moins d’obligations que si on est parent ; si on devient propriétaire d’une voiture et d’une maison, ça implique inévitablement des coûts.

Avant de se reprocher ses dépenses excessives, il faut aussi mettre les choses en perspective. « En 2024, on n’est plus dans le même contexte qu’en 2020 : on a eu un choc majeur dans l’économie, rappelle Myriam Ertz. Tout est plus cher. »

Pour une importante partie de la population, les salaires n’ont pas suivi cette courbe vers le haut, indique-t-elle. Déjà, l’effet inflationniste a changé la donne : on dépense plus pour la même chose et pour les besoins de base comme la nourriture.

Et puis, il y a les dépenses de plaisir. Les restos, le cinéma…

Ces dépenses hédoniques sont-elles essentielles ?

« Oui et non, répond Myriam Ertz. On pourrait tous avoir un mode de vie plus spartiate, mais il y a cet aspect plaisir qu’il faut prendre en compte parce qu’il fait du bien au moral des gens. »

L’argent comme vecteur social

Il faudrait au départ se demander quel rôle joue, vraiment, l’argent dans notre vie, amène Tayssa Waldron, autrice du livre Le déclic du fric.

« Aujourd’hui, l’argent est un outil de socialisation », dit-elle tout de go.

Cela permet à la fois de faciliter nos échanges les uns avec les autres, mais aussi de participer au « grand jeu économique ».

Si on devait le définir, dépenser fait partie de notre tâche de citoyen du monde.

Tayssa Waldron, autrice du livre Le déclic du fric

« C’est contre nature aujourd’hui de dire qu’on ne va pas dépenser, dit-elle, dans une société où tout le monde dépense et où tout est fait pour que l’on dépense. »

Réduire ses dépenses est-il une mission impossible ? Pas du tout, répond l’autrice qui prévient néanmoins que réduire son niveau de vie, c’est aller à contre-courant.

« On dépense pour appartenir à une classe sociale, précise Tayssa Waldron. Dis-moi sur quoi tu dépenses et je te dirai à quelle classe sociale tu appartiens. »

La fin de la culpabilité

Il faudrait aussi en finir avec la culpabilité de la dépense, estime Tayssa Waldron qui s’intéresse particulièrement aux finances des femmes. « C’est culpabilisant de dépenser. Mais aujourd’hui, il y a plein de systèmes en place qui enlèvent la douleur du paiement. » Le crédit ou les paiements différés, notamment.

Selon elle, chacun doit dépenser en connaissance de cause, prendre la décision de dépenser et bien vivre avec celle-ci. Cela permettra plus aisément de réduire les dépenses.

« C’est important de le faire, poursuit Tayssa Waldron, mais il faut faire attention à ce qu’on réduit. »

Si on réduit le budget restaurant alors que tous nos amis vont au restaurant, on risque une exclusion qui ne sera peut-être pas bénéfique finalement, calcule l’autrice qui prévient que la réévaluation des dépenses doit aller au-delà de la facilité, au-delà de la résiliation à un abonnement qui a une certaine importance dans notre bien-être.

La fameuse société de consommation…

N’en déplaise aux idéalistes, nous vivons encore dans une société de consommation.

« On est dans une société qui est essentiellement matérialiste, plaide la professeure Myriam Ertz. On ne veut pas nécessairement le dire ou se l’avouer, mais on évalue toujours les gens selon leurs avoirs plutôt que leur être. Cela amène une cascade de comportements, en conséquence. »

Selon elle, la société continue d’évaluer la réussite avec des critères matérialistes. « La référence matérialiste reste la référence ultime », dit Myriam Ertz, qui précise que c’est parfois une réalité que l’on n’aime pas voir.

Nous ne sommes plus dans des sociétés qui sont axées sur des idéologies. Nous sommes dans des sociétés axées sur des avoirs, sur des possessions. Et ça passe par la dépense, par la consommation.

Myriam Ertz, professeure au département des sciences économiques et administratives de l’UQAC

Ralentir, ensemble

Selon la professeure Myriam Ertz, il faudra une structure pour favoriser une décroissance globale.

Les petits gestes font la différence. Cela peut être aussi simple que d’adopter la consommation en vrac, dit Myriam Ertz, car ça nous amène déjà à réfléchir – si ce n’est qu’en pensant à apporter ses contenants.

« Des petites choses comme ça, par-ci, par-là, émergent. Bout à bout, après un certain temps, elles vont nous mener vers une société plus sobre. »

« Le proverbe dit : les petits ruisseaux font les grandes rivières », rappelle Myriam Ertz, qui maintient que ralentir la consommation est un mouvement qui demandera des changements systémiques.

La professeure rappelle aussi que la sobriété est au cœur du discours de Québec Circulaire qui incite à une réduction de notre consommation pour protéger les ressources. « Mais on sent quand même qu’il y a une résistance quand on parle aux gens de sobriété dans la consommation », admet Myriam Ertz.

Une minorité est séduite par un mode de vie plus sobre. « La majorité, précise-t-elle, va être poussée dans une dynamique où on met davantage plutôt que moins. »