Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Il paraît que la Lune mesure 3474 kilomètres de diamètre. Mais je n’en suis pas si certain.

Je n’en suis pas certain, car chaque fois que je la regarde, la Lune semble être plus petite que ma main. Et ma main ne fait certainement pas 3474 kilomètres de diamètre.

OK, c’est une observation absurde. On comprend tous pourquoi elle ne tient pas la route.

Le problème, c’est qu’on se promène tous avec des notions tout aussi ridicules confortablement nichées dans notre cerveau.

Par exemple, un sujet souvent d’actualité : l’utilisation du plastique dans l’emballage des aliments.

Le plastique est fait à partir du pétrole, et est rarement recyclé. Le plastique permet aussi de garder les aliments frais plus longtemps, et d’améliorer leur durée de vie dans le transport. Sans plastique, il faudrait produire plus d’aliments, défricher davantage, utiliser plus d’eau, plus de pesticides, plus d’engrais, émettre davantage de CO2, augmenter les prix...

Ah oui, et l’emballage compte pour 4 % des émissions de CO2 de l’industrie alimentaire.

Donc ce qu’on emballe est bien plus important pour l’avenir de la planète que comment on l’emballe.

Je fais pleuvoir ce genre de statistiques sur mes amis et ma famille (emballés) ces derniers temps. C’est que je viens de terminer la lecture de Not the End of the World, le nouveau livre de l’auteure Hannah Ritchie, un livre que Bill Gates a qualifié « d’antidote essentiel au catastrophisme environnemental ».

Je veux être clair ici : Hannah Ritchie n’est pas l’une de ces illuminés qui nient la réalité des changements climatiques. Elle ne nie pas non plus l’urgence de réduire les émissions de CO2. Bien au contraire.

Scientifique écossaise spécialisée dans les données à l’Université d’Oxford, Hannah Ritchie est rédactrice en chef adjointe du site de données Our World in Data. Elle nous parle des principaux problèmes et défis de notre ère, mais sans nous dire que nous n’avons pas d’avenir. Et elle réussit à faire diminuer l’anxiété ambiante, et à faire grimper notre appréciation pour notre époque, et donc notre niveau de bonheur.

Dans son livre, l’auteure commence par hacher menu l’idée souvent véhiculée voulant que les humains du passé (lire avant l’ère industrielle) vivaient dans un monde durable. Selon l’ONU, un monde durable « répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ».

Avant l’an 1800, près de la moitié des enfants mouraient avant d’atteindre l’âge de 5 ans, en raison de la malnutrition et des maladies infectieuses, notamment. Un monde où les parents enterrent un enfant sur deux ne « répond pas aux besoins du présent », et ne peut donc pas être qualifié de durable.

Depuis, l’innovation et l’industrialisation ont fait chuter la mortalité infantile et nous ont permis de faire d’importantes avancées pour répondre à la première moitié de la définition de l’ONU. Tout le monde sait que nous devons urgemment travailler à régler la seconde.

La planète fait face à sept grands problèmes environnementaux, écrit Mme Ritchie : la pollution de l’air, les changements climatiques, la déforestation, l’alimentation, la perte de biodiversité, le plastique dans les océans et la surpêche.

Bien que des résultats se fassent encore attendre dans plusieurs de ces domaines, écrit-elle, les récentes tendances dans chacun d’entre eux sont encourageantes.

L’un des thèmes récurrents dans Not the End of the World est que le moment où la trajectoire d’un problème environnemental atteint son apogée est souvent derrière nous. Et que les choses évoluent – parfois trop lentement –, dans une direction plus durable.

Par exemple, qui sait que la Chine a réduit de moitié son niveau de pollution de l’air en sept ans ? Que la déforestation mondiale a atteint un sommet dans les années 1980 et a diminué depuis, résultat d’une multiplication par cinq de la productivité agricole, qui permet de produire davantage de nourriture sur une même surface cultivée ? Ou que le nombre d’humains tués lors de désastres naturels a chuté de 90 % depuis un siècle ?

La diminution radicale du prix des énergies renouvelables, comme l’énergie solaire et éolienne depuis 10 ans, fait aussi en sorte qu’une électricité décarbonée est de plus en plus attrayante, tant pour les pays riches que pour les pays en développement. La chute du prix des batteries (le coût du stockage d’un kilowattheure d’électricité dans une batterie au lithium a diminué de plus de 98 % depuis 1991) permet d’entrevoir le moment où les batteries vont aider à décarboner la production d’électricité.

La notion voulant que nous devrions être frugaux pour vivre une vie à faibles émissions de carbone est tout simplement fausse. Au Royaume-Uni, chaque citoyen émet aujourd’hui autant de CO2 qu’un citoyen de 1850. J’ai le même niveau d’émissions que mes arrière-arrière-arrière-grands-parents. Et j’ai un niveau de vie beaucoup plus élevé.

Hannah Ritchie, auteure et scientifique spécialisée dans les données à l’Université d’Oxford

Cela lui fait dire qu’avec beaucoup de travail et un sentiment d’urgence qui ne fléchit pas, sa génération (l’auteure a 31 ans) pourrait être « la première génération durable de l’histoire ».

Hannah Ritchie y va aussi de ses recommandations. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils font pour aider la planète, les résidants des pays riches nomment le recyclage en tête de liste. Mais le recyclage ne nous aidera pas à décarboner l’économie. Pire : il peut nous donner la fausse impression qu’on en fait beaucoup pour l’environnement.

L’un des meilleurs gestes que l’on peut faire est de manger moins de viande rouge, notamment moins de bœuf, qui produit près de 10 fois le niveau d’émission de CO2 du poulet, la viande la plus compatible avec une économie décarbonée. Le bœuf produit 100 fois les émissions d’une quantité équivalente de protéines d’aliments à base de plantes, comme les noix ou le tofu.

L’auteure nous explique aussi que manger « localement » ne fait souvent rien pour sauver la planète, et peut même polluer davantage. C’est que le transport des aliments compte pour moins de 5 % de leur empreinte carbone. Donc une tomate qui a poussé en Espagne ou au Mexique peut nécessiter une fraction de l’énergie d’une tomate qui a poussé dans une serre locale qu’il a fallu chauffer.

Mme Ritchie préconise aussi l’adoption massive de la marche, du vélo et des transports collectifs comme façons durables de se déplacer. Quand l’utilisation d’un véhicule motorisé est nécessaire, choisir un véhicule électrique réduira de beaucoup les émissions carbone (c’est vrai même lorsqu’un véhicule électrique utilise de l’électricité qui proviendrait d’une centrale au gaz ou au charbon). Les ventes mondiales de véhicules neufs fonctionnant aux combustibles fossiles ont d’ailleurs atteint un sommet en 2017, et diminuent depuis.

Finalement, l’auteure montre comment la « décroissance », soit l’idée voulant qu’une croissance économique négative soit la solution à nos problèmes environnementaux, n’est pas souhaitable.

« Dans les pays riches, les émissions de CO2, l’utilisation de l’énergie, la déforestation, l’utilisation d’engrais chimiques, la surpêche, la pollution de plastique, la pollution de l’air et la pollution de l’eau sont toutes en déclin alors que ces pays continuent à s’enrichir, écrit-elle. L’idée voulant que ces pays étaient plus durables lorsqu’ils étaient plus pauvres est tout simplement fausse. »

Une notion de moins à trimballer avec nous.

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