Il y a plusieurs années, l’investisseur et auteur américain Tren Griffin s’est réveillé durant la nuit avec une forte douleur aux deux biceps.

« J’ai tout de suite pensé : “Je suis en train d’avoir une crise cardiaque, il faut que je me rende aux urgences” », a-t-il raconté sur son blogue1.

Dans la voiture conduite par sa femme, en route vers l’hôpital, les sensations douloureuses ont diminué.

« J’ai commencé à me dire que ce n’était pas une crise cardiaque, écrit-il. Inconsciemment, je suis sûr que je me disais : “J’ai une semaine chargée, ce n’est pas le moment. Cette douleur n’est probablement rien... Je me suis sans doute blessé en allant au gym.” »

Il a suggéré à sa femme de faire demi-tour. Mais elle a insisté pour continuer vers l’hôpital.

Griffin aurait pu argumenter. Mais il s’est souvenu de l’approche du risque employée par les investisseurs Charlie Munger et Warren Buffett.

L’approche va comme suit : on prend la probabilité d’une perte et on la multiplie par le montant potentiel de la perte. On compare ensuite le résultat avec la probabilité d’un gain, multipliée par le montant potentiel du gain.

Même en émettant l’hypothèse que sa douleur n’était pas grave, M. Griffin a tout de suite vu que les risques de pertes étaient inacceptables – ils signifiaient littéralement la fin de sa vie.

« Dans ce cas, la rationalité (et ma femme) a pris le dessus sur le déni psychologique qui nuit à la prise de décision. »

À l’hôpital, après avoir fait des tests, les médecins ont statué qu’il avait eu une petite crise cardiaque.

« Trois jours plus tard, écrit-il, j’étais en salle d’opération pour un triple pontage. »

Cette histoire m’est revenue en tête quand Jacques Bourdeau, un lecteur, m’a écrit pour me faire part d’une approche similaire qui le guide dans sa prise de décision, et qu’il appelle le principe de la moindre erreur.

Devant plusieurs questions financières, chacun aimerait prendre la décision parfaite et gagner le maximum.

Hélas, ces situations sont composées de tant d’inconnues qu’il est impossible de s’assurer que la décision prise est la bonne. Donc, plutôt que d’essayer de trouver la bonne réponse, il suffit de penser à ce qui arriverait si on choisissait la mauvaise.

Jacques Bourdeau, un lecteur

Par exemple, M. Bourdeau a renouvelé son hypothèque en 2009, 2014 et 2019. Chaque fois, les taux d’intérêt étaient très bas. Chaque fois, le taux variable était encore plus bas que le taux fixe, et l’était depuis très longtemps.

Alors, taux fixe ou taux variable ?

« Si je choisis le taux fixe et que je me trompe, j’aurai perdu l’effet de 0,25 % ou 0,5 % d’intérêt, car les taux ne pouvaient plus baisser beaucoup. En revanche, si je choisis le taux variable et que les taux remontent, ils avaient de la place pour remonter de 2 %, 3 % voire plus, comme c’est le cas depuis l’an dernier. »

Donc, M. Bourdeau préférait risquer de se tromper avec son taux fixe et perdre 0,5 % que de risquer de se tromper avec un taux variable et de perdre 3 % ou plus.

On peut appliquer ce principe à la prise de décision dans plusieurs dilemmes.

Par exemple, est-ce nécessaire d’épargner si notre emploi est stable et que nous contribuons à un régime de retraite ?

Si on n’épargne pas et qu’une récession, un accident ou un imprévu ruineux devait survenir, notre bien-être et celui de notre famille pourraient être à risque.

Mais si on épargne et qu’un évènement malheureux n’arrive pas, on aura seulement diminué un peu notre train de vie, sans risquer notre bien-être et celui de nos proches. Ici, épargner est manifestement la moindre erreur.

On peut aussi l’employer dans une foule d’autres circonstances, notamment dans notre carrière.

J’ai appliqué sans le savoir cette formule dans mes débuts à La Presse quand je travaillais comme journaliste surnuméraire. J’étais allé voir Philippe Cantin, mon patron à l’époque, pour lui proposer de rédiger des dossiers de fond pour le journal en plus du travail que je faisais durant mes heures normales.

Je travaillais sur mes textes la fin de semaine. Je me souviens en particulier d’un séjour dans un chalet au mont Tremblant. Pendant que mes amis se baignaient, je travaillais à mon ordinateur pour écrire mon dossier et être certain de remettre un texte impeccable le lendemain.

La perte ? Quelques journées de fin de semaine passées à travailler. Le gain ? Un poste permanent qui m’a permis d’élever une famille, d’investir, et qui a payé pour beaucoup de séjours autour de beaucoup de lacs depuis cette journée.

Il n’y a rien comme un peu de perspective pour aider notre prise de décision.

Le cœur en question

Parlant de problèmes cardiaques, je viens de terminer la lecture d’un livre qui n’a rien à voir avec l’argent, mais beaucoup avec le bonheur. Il s’agit du nouveau livre Cœurs, du Dr Alain Vadeboncoeur. J’ai été frappé d’apprendre à quel point les traitements pour les maladies du cœur sont récents : le premier pontage cardiaque n’a eu lieu que dans les années 1960, et tout ce qui précède les années 1950 en cardiologie est pratiquement médiéval. L’investisseur et polymathe américain Charlie Munger a déjà dit que les liens de confiance qui unissent les professionnels de la santé dans une salle d’opération représentaient la forme de civilisation la plus achevée. Ce livre l’illustre à merveille.

La question de la semaine

Quelles règles utilisez-vous pour vous aider à prendre des décisions ?

Écrivez à Nicolas Bérubé
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