Pour ceux qui engraissent leur REER et prévoient se payer un petit luxe avec le remboursement d’impôt, la paperasse est vite déposée chez le comptable. Pour les plus pauvres et les analphabètes, c’est une autre histoire. Et Québec devrait en modifier quelques chapitres.

Il faudrait tous passer une journée dans un organisme communautaire qui vient en aide aux personnes à faible revenu pour comprendre le stress provoqué par les déclarations de revenus. Camille Bonenfant, du Comité des personnes assistées sociales, parle carrément d’« angoisse ».

D’abord, pour des raisons financières. Quand on reçoit un chèque d’aide sociale de 708 $ par mois, on n’a pas les moyens de se payer les services de H&R Block. L’épicerie passe bien avant, c’est normal. Certaines personnes n’ont pas d’ordinateur ni d’accès à l’internet. Alors les logiciels ne leur sont d’aucun secours.

Une déficience intellectuelle ou une incapacité physique peuvent aussi rendre la saison des impôts anxiogène.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

« Le drame, c’est que ces personnes qui ont vraiment besoin de chaque dollar d’aide gouvernementale laissent de l’argent sur la table en ne faisant pas leur déclaration de revenus », écrit notre chroniqueuse.

C’est sans compter l’analphabétisme. On l’oublie, mais près d’un Québécois sur deux n’a pas les compétences nécessaires pour utiliser l’information lui permettant de fonctionner pleinement au sein de la société et de l’économie, selon la Fondation pour l’alphabétisation.

Concrètement, ça signifie que la gestion des documents est compliquée. Comment savoir lesquels conserver quand on n’arrive pas à les déchiffrer ? Le vocabulaire fiscal est incompris, la distinction entre les ordres de gouvernement n’est pas évidente pour tout le monde, les noms des feuillets « ne veulent rien dire », énumère Danielle Arcand, animatrice en alphabétisation populaire au Comité d’éducation aux adultes de la Petite-Bourgogne et Saint-Henri.

Il est grand temps de simplifier les choses pour toutes ces personnes démunies.

Une cinquantaine d’organismes communautaires aux quatre coins de la province font d’ailleurs front commun pour convaincre Québec de l’urgence d’agir.

Leur demande est loin d’être saugrenue. Du côté d’Ottawa, il est possible de faire son devoir fiscal au téléphone et « ça prend littéralement trois minutes », précise Camille Bonenfant.

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Le drame, c’est que ces personnes qui ont vraiment besoin de chaque dollar d’aide gouvernementale laissent de l’argent sur la table en ne faisant pas leur déclaration de revenus.

De fait, il faut produire une déclaration de revenus pour avoir droit aux crédits d’impôt remboursables (garde d’enfants, solidarité) et à d’autres allocations. Avec le prix des aliments qui bondit, le moindre 20 $ compte.

Ces constats ne sont pas nouveaux. Mais après deux saisons des impôts marquées par la pandémie, le problème s’est aggravé.

Car pour venir en aide aux plus démunis, bon nombre d’organismes communautaires organisent des « cliniques » d’impôt, même si ce n’est pas leur mission. Ce service fonctionne grâce à la générosité de bénévoles, généralement des personnes âgées. En pleine pandémie, vous ne serez pas surpris d’apprendre que le recrutement est archilaborieux.

Les cliniques tournent donc au ralenti. Avec les conséquences qu’on imagine.

« Le modèle des cliniques est inadéquat, c’est un programme qui ne fonctionne pas », tranche Camille Bonenfant. Ça requiert trop de temps, de ressources. Il faut des bras, des ordinateurs, une connexion internet fiable, un local, des repas. À elle seule, l’inscription des bénévoles auprès du fisc est d’une complexité inouïe, déplorent les organismes.

« C’est une vraie patate chaude dans le milieu communautaire », résume Mme Bonenfant.

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Maintenant qu’Ottawa offre un service téléphonique simple et efficace qui répond aux besoins, Québec devrait l’imiter. On sait que c’est techniquement possible.

On pourrait même carrément exempter les personnes qui touchent l’aide sociale du fardeau de la déclaration de revenus. Le gouvernement a déjà en main toutes leurs informations fiscales.

Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, s’est montré ouvert à cette approche. Mais ça bloquerait au ministère du Revenu. « Qu’il se lève debout, qu’il mette ses culottes ! », plaide Sylvain Bergeron, de l’organisme LASTUSE, à Chicoutimi.

Il y a un an, l’Institut économique de Montréal (IEDM) a publié un rapport qui disait exactement la même chose que les groupes communautaires. Le fait que de nombreux citoyens aux revenus modestes ne réclament pas « les sommes considérables auxquelles ils ont droit » y était qualifié de « situation troublante ».

Selon ce groupe de réflexion sur les politiques publiques, c’est surtout le résultat d’« un système fiscal trop complexe ». Et les choses ne s’améliorent pas. La Loi de l’impôt sur le revenu s’est allongée de 37 % depuis 2005. Elle compte plus de 1,1 million de mots, contre 4000 à l’origine (en 1917).

« En plus de présenter des coûts importants pour l’ensemble des contribuables, la complexité du régime fiscal canadien affecte de façon disproportionnée les plus vulnérables d’entre nous », concluait l’IEDM.

Alors que la pandémie accroît la précarité des plus pauvres, n’est-il pas désolant que la fiscalité leur ajoute une couche de stress ?

> (Re)lisez l’article : « Une cinquantaine d’organismes demandent un répit fiscal pour les plus démunis »