(Montréal) Revenu Québec doit cesser de s’entêter à réclamer des déclarations de revenus de ses citoyens les plus pauvres pour l’année 2020 et simplifier la fiscalité de ceux-ci dans les années à venir.

C’est là l’essence de l’appel lancé mercredi par une cinquantaine de groupes communautaires de partout à travers la province, qui ont fait valoir que les services bénévoles d’aide à l’impôt ont tout le mal du monde à s’organiser en marge de la crise sanitaire.

« Avec la pandémie, ça a été une année extrêmement difficile. Les personnes pauvres sont encore plus pauvres et il faut demander une exemption claire pour 2020, une exemption d’avoir à produire un rapport d’impôt pour toutes les personnes qui vivent de prestations gouvernementales et que ce soit fait sans pénalité, que les gens aient accès à leurs crédits d’impôt », a déclaré Pascale Brunet, l’une des porte-parole de la conférence de presse virtuelle tenue par les organismes.

« À plus long terme, on pense qu’il est nécessaire qu’il y ait la mise en place d’un mécanisme qui facilite la production du rapport d’impôt, que ce soit un mécanisme simplifié », a-t-elle ajouté, faisant référence notamment au service mis sur pied par Ottawa l’an dernier qui a grandement facilité la préparation des déclarations de personnes vulnérables.

« Qu’il mette ses culottes »

Sylvain Bergeron, qui œuvre au sein d’un organisme de Saguenay, affirme que le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, s’est montré très ouvert à cette approche, mais que le ministère répond que « ça bloque surtout au ministère du Revenu ».

Exaspéré, il demande au ministre Boulet « qu’il se lève debout, qu’il mette ses culottes et qu’il dise : moi je suis responsable de la solidarité sociale ; ce ne sont pas des hauts fonctionnaires qui vont venir me dire comment je dois faire mon travail. Et le conseil des ministres doit mettre ses culottes et dire : c’est ça qu’on va faire maintenant et ce ne sont pas les hauts fonctionnaires de Revenu Québec qui vont venir nous dire quoi faire. »

Les porte-parole ont souligné au passage que, contrairement à presque tous les secteurs de la société, les plus démunis n’ont reçu aucune aide durant la pandémie, alors que le coût des produits essentiels a connu une hausse difficile à absorber pour ces personnes. L’augmentation de la fréquentation des banques alimentaires durant la pandémie n’est d’ailleurs pas étrangère à cette diminution du pouvoir d’achat des plus démunis.

Une dette envers les plus pauvres

De plus, ils dénoncent le fait que le gouvernement économise sur le dos des pauvres puisque plusieurs personnes qui ne réussissent pas à remplir une déclaration de revenus se trouvent à perdre les nombreux crédits d’impôt, allocations et autres avantages auxquels ils ont pourtant droit.

Camille Bonenfant, du Comité des personnes assistées sociales, dénonce ce qu’elle qualifie de « fiscalisation des droits ». Elle fait valoir que les aides disponibles par le biais de la fiscalité — crédits d’impôt, aides diverses, allocations — sont un droit dont on prive les personnes qui n’arrivent pas à remplir une déclaration pour de multiples raisons : difficulté à lire ; incapacité physique ou déficience intellectuelle ; ou, tout simplement, parce que c’est beaucoup trop compliqué et qu’elles n’ont pas les moyens de payer quelqu’un pour le faire.

« Près de 45 000 prestataires ne produisent pas de rapport pour diverses raisons et comme ils ne font pas leurs impôts, ils n’ont pas accès aux crédits remboursables auxquels ils ont droit et qui font une grosse différence dans leur budget. […] Le gouvernement a une dette envers les personnes les plus démunies. Toutes les personnes qui n’ont pas demandé leur crédit de solidarité, toutes les personnes qui n’ont pas demandé leurs allocations, ce sont des gros montants et c’est de l’argent que l’on doit aux personnes les plus pauvres », a-t-elle martelé.

Selon eux, les citoyens qui vivent de prestations gouvernementales ne devraient pas avoir à faire le bilan de leurs revenus puisque l’État connaît déjà très bien leur situation financière. « Le gouvernement a déjà toutes les informations fiscales sur ces personnes, souligne Pascale Brunet. Les personnes sur l’aide sociale sont plus scrutées au niveau fiscal que n’importe quelle autre personne. »

Cercle vicieux

Elle ajoute que la pandémie peut difficilement servir d’excuse pour ne rien faire.

« S’il y a bien une chose que l’année qui s’est écoulée nous a montrée, c’est qu’on est capables de faire différemment quand il faut. »

Selon elle, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale est « au courant que c’est indécent de priver les gens de leurs prestations », mais ne peut rien faire si Revenu Québec ne bouge pas.

Pendant ce temps, Michal Savard, de la Table des groupes populaires de la Côte-Nord, voit s’installer un cercle vicieux chez plusieurs personnes.

« On sait qu’il y a des gens l’année passée qui n’ont pas fait leur rapport d’impôt et qui ne le feront probablement pas cette année non plus. Ils vont être embarqués dans une espèce de deuxième vague où il n’y aura pas de rapport d’impôt. Ces gens-là, comment vont-ils faire pour pouvoir revenir dans la roue s’il n’y a pas une intervention assez rapide des deux paliers de gouvernement ?

« Même s’ils ne font pas leurs rapports d’impôt, ils savent qu’ils se mettent à risque de ne pas recevoir les crédits qui viennent avec, donc de s’appauvrir davantage. On ne parle pas de gros montants, mais ça peut faire toute la différence dans ton quotidien », ajoute-t-il.

Michel Savard souligne que dans sa région, sur la Côte-Nord, il y a de nombreux petits villages et petites municipalités qui n’ont pas d’organisme communautaire offrant un service bénévole de préparation de déclaration de revenus.