Les consommateurs qui débarquent au centre commercial sont désormais « en mission ». Après avoir fait leur lèche-vitrine en ligne, ils arrivent sur place avec en tête des destinations précises. Résultat : en 2023, les clients restent moins longtemps dans les galeries marchandes qu’avant la pandémie. Pour « redynamiser » l’endroit et faire en sorte que les gens déambulent davantage, il faut donc les attirer en leur offrant du pain et des jeux : supermarchés, restaurants et divertissements.

Les ventes générées dans les centres commerciaux ont atteint les niveaux de 2019 et bien souvent les surpassent, assurent les gestionnaires interrogés. Mais le lèche-vitrine semble être un loisir moins populaire. Par exemple, dans les centres régionaux gérés par le Groupe Mach comme Place Longueuil, Place de la Cité, Le Carrefour de l’Estrie et Le Centre des Rivières, le temps moyen d’une visite variait de 90 à 120 minutes avant la pandémie. Maintenant les escapades de magasinage durent de 60 à 90 minutes. Cette tendance à la baisse s’observe dans plusieurs autres centres, en ville ou en région, affirme Jean-François Grenier, directeur principal du Groupe Altus. Selon lui, en moyenne dans les centres régionaux et suprarégionaux, le temps consacré aux emplettes sur place est passé de 70 à 50 minutes.

Pour étirer la durée des visites des clients, il faut ramener les épiceries, qui avaient déserté les galeries commerciales, constatent les bailleurs et les gestionnaires interrogés. Restaurants et divertissements sont également de mise. Selon les bailleurs, ces efforts – qui font en sorte que les consommateurs déambulent partout – permettront de redonner au centre commercial cette « vocation rassembleuse » qui le caractérisait davantage avant la pandémie. Une augmentation des dépenses devrait également suivre. « Ça augmente la fréquence de visites dans le centre commercial », souligne M. Grenier.

« Est-ce qu’on fait la bonne affaire ? » Cette question a longtemps taraudé Pierre Lapointe, président et chef de la direction du Groupe Mayrand Alimentation, lorsqu’il a décidé d’ouvrir un magasin au Mail Champlain, à Brossard, en avril 2020.

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À l’image de cet IGA Extra installé à la Place Longueuil, les supermarchés font depuis quelque temps leur retour dans les centres commerciaux.

Alors qu’il y a 40 ans, les supermarchés occupaient une place de choix dans les centres commerciaux, se rappelle-t-il, ils en sont ensuite sortis, en raison des hausses de loyer. Ainsi, bon nombre d’enseignes sont devenues des commerces de proximité. Mais voilà qu’elles recommencent à s’y installer, comme l’ont fait notamment au cours des dernières années Avril aux Promenades St-Bruno, à Place de la Cité à Québec et aux Galeries Rive Nord à Repentigny, ainsi qu’IGA Extra au Centre Rockland, Mont-Royal. La chaîne de supermarchés asiatiques T & T ouvrira pour sa part une succursale au DIX30 à l’automne 2024.

Et force est de constater que leur présence génère du trafic. Ainsi, les appréhensions de Pierre Lapointe ne se sont pas concrétisées. Son magasin du Mail Champlain fonctionne. Oui, il a fait la bonne affaire, confirme-t-il maintenant sans hésitation. Son épicerie est le commerce qui attire le plus de clients au Mail Champlain, soutient-il.

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Pierre Lapointe, président et chef de la direction du Groupe Mayrand Alimentation

Les gens ne s’achètent pas des vêtements chaque semaine, mais ils font leur épicerie chaque semaine.

Pierre Lapointe, président et chef de la direction du Groupe Mayrand Alimentation

Groupe Mayrand Alimentation, qui se spécialise notamment dans la vente de gros formats, compte quatre magasins dans la grande région de Montréal. L’épicerie de Brossard figure parmi celles qui fonctionnent le mieux « au pied carré », affirme le grand patron.

« Dans les très grands centres, historiquement, il y avait des supermarchés. Ils ont été sortis. Mais là, c’est en train de revenir », constate aussi Jean-François Grenier.

« La majorité des propriétaires de centres commerciaux essaient de réintroduire un peu plus de restauration et de commerces de proximité, là où il se fait moins d’achats en ligne », ajoute-t-il.

Au Groupe Mach, on fait également le même constat, selon Alexandra Bélanger, directrice du marketing. La société de capital d’investissement privé est par ailleurs « en discussion » pour attirer davantage de commerces de proximité, comme les supermarchés et les magasins Dollarama.

Dans certains projets, les détaillants en alimentation sont même partie prenante des nouvelles transformations, comme c’est le cas à Québec avec le centre commercial Fleur de Lys. Les promoteurs, les frères William et Jonathan Trudel, qui souhaitent modifier le site pour en faire un lieu de vie avec des logements et des espaces verts, assurent que les populaires magasins Walmart et Maxi – déjà sur place – sont intégrés dans la métamorphose.

« On crée des destinations »

Au-delà des commerces où les clients se rendent fréquemment, les lieux de divertissement permettent également d’ajouter des minutes au compteur des visites.

Ainsi, en juin, Place Fleur de Lys a inauguré Préski, un centre de glisse intérieur ouvert toute l’année. Il y a deux ans, Clip’n climb, consacré à l’escalade, s’installait au Mail Champlain.

Le Royalmount, futur centre commercial en construction à l’angle des autoroutes 15 et 40, accueillera pour sa part une salle de spectacle et un aquarium.

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Le Time Out Market se distingue des traditionnelles foires alimentaires par son offre culinaire.

La restauration joue également un rôle crucial pour attirer les gens. Il n’est pas question ici de la traditionnelle foire alimentaire réunissant des chaînes de restauration rapide, mais de concepts permettant de bien manger et même de boire un verre.

Le Time Out Market, hall gastronomique situé au Centre Eaton, en plein centre-ville de Montréal, en est un bon exemple, souligne Johanne Marcotte, vice-présidente exécutive, gestion de portefeuille, commerce de détail, de JLL, qui gère notamment le Centre Eaton, les Galeries d’Anjou et la Place Laurier à Québec.

Traditionnellement, des concepts comme le Time Out Market auraient eu pignon sur rue. Maintenant, on les intègre à la galerie commerciale. Je pense que c’est la bonne chose à faire. On crée des destinations et tous les détaillants en profitent.

Johanne Marcotte, vice-présidente exécutive, gestion de portefeuille, commerce de détail, de JLL

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Sylvain Lafrance, président du Groupe Marie-Claire

Et pour plusieurs détaillants, les affaires ont repris de plus belle dans les centres commerciaux. Pour survivre, il faut sans cesse renouveler ses magasins, estime Sylvain Lafrance, président du Groupe Marie-Claire. Et pour cause, près de 60 % des boutiques de l’entreprise (Marie Claire, Grenier, Claire France, San Francisco, Livøm et Dans un Jardin) sont situées dans un centre commercial.

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La boutique Livøm des Galeries Rive-Nord

Au cours de la dernière année, une trentaine d’entre elles ont été rénovées. « Pour nous, les centres commerciaux, ç’a toujours été notre business principale. »

Et que répond-il à ceux qui prédisent leur mort ? M. Lafrance rejette cette idée d’un revers de main. « Dans certains centres commerciaux, on commence à augmenter les loyers. » Signe indéniable, selon lui, qu’il y a un regain.