Le Panier bleu vient d’écrire l’ultime chapitre de sa courte histoire. Les revenus insuffisants générés par la plateforme québécoise de vente en ligne, qui a cessé ses activités mercredi, ont contraint le conseil d’administration à prendre cette décision « difficile ».

Qu’est-ce que le Panier bleu ?

Lancé en avril 2020 sous forme d’organisme à but non lucratif par le gouvernement de François Legault, Le Panier bleu est passé aux mains du privé en juin 2022 en devenant la propriété de la Plateforme Agora inc. Cette société privée, fondée en février 2021, selon le Registraire des entreprises du Québec, est constituée d’actionnaires minoritaires, dont Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ, l’entreprise Lightspeed, qui se spécialise dans le commerce électronique, et le gouvernement du Québec (Investissement Québec). La place de marché est devenue transactionnelle il y a plus d’un an, soit en octobre 2022. La nouvelle version du site – maintenant inactif – a représenté un investissement total de 22 millions de dollars. À titre d’OBNL, le site avait reçu 4,4 millions en subventions de la part de Québec.

« Nous aurions aimé poursuivre notre mission de favoriser l’achat local et de proximité, mais nous sommes confiants que les marchands d’ici sont plus que jamais outillés pour réussir dans l’environnement numérique », a déclaré Sylvain Prud’homme, président du conseil d’administration du Panier bleu, dans un communiqué publié mercredi en fin d’après-midi. Il a été impossible de parler à l’un des membres de l’organisation. Alors que le site était en fonction toute la journée, un message de remerciements est finalement apparu moins d’une heure après l’annonce.

« Les choses qui marchent moins bien vont être éliminées et l’argent va être mis dans les choses qui marchent mieux. […] [Pour Le Panier bleu], on s’est dit peut-être que l’argent serait mieux investi ailleurs », a dit le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, en entrevue avec La Presse Canadienne. Selon lui, après avoir investi plus d’une vingtaine de millions, le gouvernement aurait dû encore injecter 20 millions de plus pour que la plateforme soit viable. « C’est quand même beaucoup d’argent. »

M. Fitzgibbon avait déjà laissé entendre la semaine dernière que les jours du Panier bleu étaient comptés et qu’il serait sans doute bientôt débranché. « Effectivement, on peut se questionner sur Le Panier bleu, avait-il reconnu sur les ondes d’ICI Première. Le Panier bleu a été un élément pour permettre aux commerces d’avoir une plateforme électronique. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie Pierre Fitzgibbon

Amazon, pour moi, c’est une très bonne plateforme. Beaucoup de compagnies québécoises veulent être là. Peut-être qu’à la sortie de la pandémie, Le Panier bleu est moins important qu’il l’était.

Pierre Fitzgibbon, ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie

Le gouvernement de François Legault va accorder encore 6 millions pour fermer l’entreprise « de façon ordonnée ». « On pense que ça va coûter probablement un peu moins que ça », a précisé le ministre à La Presse Canadienne. Ce montant servira à payer les indemnités de départ des 39 employés, à payer les fournisseurs et à rembourser les commandes non livrées.

Une initiative critiquée

Créé au début de la pandémie par le gouvernement de François Legault pour stimuler l’achat local, Le Panier bleu a essuyé de vives critiques, en étant notamment comparé aux pages jaunes. Le site, qui au départ n’offrait pas la possibilité de faire des achats en ligne, n’était en quelque sorte qu’un répertoire regroupant des marchands d’ici. Le Panier bleu est passé aux mains du privé en juin 2022. La place de marché est finalement devenue transactionnelle en octobre de la même année. Le directeur général de l’époque, Alain Dumas, a dû souvent justifier la raison d’être de la place de marché. En mai 2023, il signait d’ailleurs une lettre ouverte dans les médias où il martelait que Le Panier bleu n’était pas un « échec ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le Panier bleu est passé aux mains du privé en juin 2022, avec, à l’époque, Alain Dumas comme directeur général.

Les efforts de M. Dumas, qui a refusé de commenter mercredi, n’ont visiblement pas donné les résultats escomptés.

Selon l’organisation, plus de 600 marchands figuraient sur le site qui affichait 250 000 produits dont 2500 produits certifiés Les Produits du Québec et Aliments du Québec. Avis aux consommateurs : « L’ensemble des commandes non livrées seront remboursées », indique le communiqué. Les marchands pourront également être accompagnés.

« À la lumière de la récente fermeture du Panier bleu, Lightspeed, dont le siège social est situé à Montréal, tient à réaffirmer son engagement à soutenir l’écosystème dynamique du commerce de détail au Québec », a commenté par courriel JD St-Martin, président de l’entreprise qui compte parmi les actionnaires minoritaires de la place de marché. « Notre approche, qui vise à offrir une technologie de gestion d’entreprise évolutive pour les détaillants et les restaurateurs, fait en sorte que nous sommes plus qu’une simple plateforme ; nous sommes un partenaire soucieux d’assurer la croissance durable de chaque entreprise avec qui nous travaillons. Lightspeed est solidaire de la communauté d’affaires locale pendant cette transition, prête à aider et à innover pour un environnement de vente au détail plus fort, plus connecté et plus compétitif au Québec. »

« Un gros manque »

Déjà la semaine dernière, la déclaration du ministre avait semé l’inquiétude chez certains marchands qui comptaient sur Le Panier bleu pour générer des ventes en ligne et bénéficier d’une certaine visibilité. « Je ne pensais pas que ça irait si vite », a lâché au bout du fil Danièle Lalonde, propriétaire de Gourmande boutique à Sherbrooke. Bien qu’elle se soit doutée, à la lumière des déclarations du ministre, que le sort du Panier bleu serait bientôt scellé, Mme Lalonde avait du mal à cacher sa surprise et son incompréhension en apprenant la nouvelle, mercredi en fin d’après-midi.

« J’ai eu plusieurs commandes provenant du Panier bleu toute la journée », a-t-elle raconté. La survie de son épicerie fine ne dépend pas de la plateforme, mais celle-ci avait un impact positif sur son chiffre d’affaires. « Ça va être un gros manque. Je voyais vraiment le site comme un complément. Il va falloir que je travaille fort pour récupérer ce que je perds avec Le Panier bleu. »

CAPTURE D’ÉCRAN LA PRESSE

Alors que le site était en fonction toute la journée, un message de remerciements est finalement apparu moins d’une heure après l’annonce.

À Québec, le député libéral Frédéric Beauchemin a rapidement réagi sur X. « Quel cafouillage et gaspillage de notre argent ! Le ministre dit qu’Amazon est une bonne plateforme. 400 produits identifiés vs 2500 pour le Panier Bleu. Des millions investis et la CAQ laisse encore tomber nos PME. La CAQ doit rendre des comptes. »

Selon des experts interrogés par La Presse la semaine dernière, l’identification des produits d’ici sur Amazon à la suite d’une entente de collaboration entre le géant des ventes en ligne et l’organisme Les Produits du Québec aura sans doute été « le dernier clou planté dans le cercueil » du Panier bleu. « Il y a une donnée qui vient de changer et c’est l’entente qui est survenue entre Amazon et Les Produits du Québec [qui permet aux consommateurs de repérer rapidement les produits locaux] », avait souligné Bruno Guglielminetti, spécialiste des médias numériques et animateur de l’émission balado Mon carnet. C’est l’élément clé qui fait que, à partir de ce moment-là, Le Panier bleu perd de sa pertinence. »

Il rappelait également que, selon les dernières données de NETendances, 7 % des ventes en ligne au Québec se font sur Le Panier bleu, contre 46 % sur Amazon.

Avec La Presse Canadienne