La décision de Québec permettant à Northvolt d’abattre des arbres et d’empiéter sur des milieux humides sur le terrain de sa méga-usine de cellules n’était pas « déraisonnable », tranche la Cour supérieure du Québec, qui rejette la demande d’injonction provisoire du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) visant à contraindre l’entreprise à suspendre ses travaux.

Dans la foulée de cette décision rendue vendredi par le juge David R. Collier, l’entreprise a aussitôt annoncé la relance de son chantier de 7 milliards de dollars. Les activités étaient à l’arrêt depuis une semaine en raison de la démarche judiciaire.

« Les demanderesses n’ont pas réussi à faire valoir des arguments sérieux permettant de douter, à première vue, de l’autorisation ministérielle et du permis municipal [de Saint-Basile-le-Grand] », écrit le magistrat, dans son jugement de 13 pages.

Un délai supplémentaire aurait été « fatal » pour Northvolt et le « projet dans son entièreté » aurait été « compromis », avait plaidé l’avocate de l’entreprise, Nathalie-Anne Béliveau, mercredi, lors des audiences.

Le CQDE alléguait que le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) avait donné carte blanche à Northvolt en l’autorisant puisqu’il n’avait pas en main tous les engagements de l’entreprise en matière de compensation pour la perte de milieux naturels.

Le promoteur a trois ans devant lui pour présenter son plan, déplorait l’organisme, qui souhaitait obliger Québec à réétudier l’octroi de son autorisation.

D’après le magistrat, l’audience a pu permettre au CQDE « d’apprécier les termes de l’entente conclue entre le Ministère et Northvolt ». En échange du feu vert du MELCCFP, la jeune pousse suédoise s’est engagée à « créer », « restaurer » ou « préserver » des milieux naturels sur une zone de 30 à 50 hectares – jusqu’à 90 terrains de football – dans la région.

« L’argument des demanderesses est loin de démontrer que le ministre abdique ses responsabilités ou exerce sa discrétion de façon déraisonnable en reportant à plus tard l’élaboration d’un plan de restauration de milieux humides », écrit le juge Collier, qui reconnaît toutefois que le chantier engendrera la « perte d’un milieu naturel à la fois rare et important pour l’environnement de la région ».

Plusieurs répercussions

Sur le terrain de 170 hectares qui chevauche Saint-Basile-le-Grand et McMasterville, la première phase des travaux préparatoires prévoit l’abattage d’environ 14 000 arbres vivants ou morts. Le chantier affectera notamment 13 hectares de milieux humides. Le site – où se trouvait autrefois l’usine d’explosifs de la Canadian Industries Limited – abrite entre autres une zone de nidification du petit blongios, un oiseau considéré comme une espèce vulnérable dont la présence a été détectée à trois reprises depuis 2016.

Dans sa demande d’injonction, le CQDE rappelait qu’un important projet immobilier avait été rejeté au même endroit par Québec parce qu’il « portait atteinte à la conservation de la biodiversité ». Ces deux dossiers sont différents, estime le juge Collier.

« Le projet immobilier proposé par le promoteur Quartier MC2 aurait eu pour effet de détruire 66 % des terres humides utilisées par ces petits oiseaux, un impact jugé inacceptable par le ministre, peut-on lire. Or, les travaux approuvés dans le cas de Northvolt ne prévoient pas la destruction de l’habitat du petit blongios. »

Lisez « Un projet immobilier bloqué au printemps »

De plus, ajoute le magistrat, le pouvoir discrétionnaire du MELCCFP d’accorder ou non des autorisations s’exerce au « cas par cas ». Rien ne l’empêche de délivrer une autorisation sur un site après avoir refusé un projet au même endroit, note le juge.

Le CQDE remettait aussi en question la validité du permis d’abattage d’arbres délivré par Saint-Basile-le-Grand en affirmant que la municipalité avait pris sa décision en effectuant une interprétation erronée d’un « règlement de contrôle intérimaire » de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Le juge Collier estime qu’il n’y « a pas lieu d’intervenir et de suspendre le permis » étant donné qu’il n’y a pas de « démonstration » que l’interprétation de la Ville fut « manifestement déraisonnable ou erronée ».

Malgré sa déception, le CQDE n’a peut-être pas dit son dernier mot. L’organisme pourrait revenir à la charge avec le dépôt d’une injonction interlocutoire après avoir analysé la décision du juge Collier. La tournure des évènements met « beaucoup de pression » sur le CQDE pour « agir le plus rapidement possible », a reconnu son avocat, Marc Bishai.

Ce qu’ils ont dit 

Northvolt 

« Il importe de rappeler que pour aller de l’avant, Northvolt a dû faire la démonstration rigoureuse et sérieuse auprès des experts du MELCCFP et de Saint-Basile-le-Grand que notre projet respectait la réglementation environnementale en vigueur. Nous reviendrons dans un avenir rapproché avec de l’information supplémentaire sur le projet […], mais aussi sur notre approche d’information avec la communauté d’accueil. »

CQDE 

« Une vive inquiétude demeure. À moins que l’entreprise et le gouvernement ne prennent conscience de l’importance au Québec de la participation du public dans l’étude des grands projets industriels portant atteinte à l’environnement et décident de faire passer ce projet par le BAPE, tout porte à croire que la destruction de milieux naturels sensibles se poursuivra rapidement. »

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette 

« Nous continuerons de défendre ce projet porteur pour le Québec. Nous possédons l’un des cadres d’évaluation environnementale des plus rigoureux en Amérique du Nord. L’analyse environnementale réalisée par mon ministère n’y fait pas exception. »

François-Philippe Champagne, ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie 

« Je respecte beaucoup les gens qui expriment leur point de vue, évidemment la cour a statué, mais il ne faut pas perdre de vue que l’objectif d’amener Northvolt chez nous, c’était de faire entrer le Québec dans l’industrie automobile du XXIe siècle. Je pense qu’on a toujours un devoir d’expliquer. Moi, je prends toujours un peu de recul dans ces questions-là, je me dis : il faut bien expliquer. »

Avec Mylène Crête, La Presse

En savoir plus
  • 2,75 milliards
    Sommes offertes par Québec et Ottawa pour financer la construction de l’usine québécoise de Northvolt
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    4,6 milliards
    Somme maximale des subventions à la production offerte à l’entreprise par les deux ordres de gouvernement
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