Pas plus tard qu’en mars dernier, le ministère de l’Environnement a bloqué le projet immobilier du précédent propriétaire des terrains de l’ex-usine d’explosifs CIL parce qu’il portait « atteinte à la conservation de la biodiversité ». C’est à cet endroit, sur la Rive-Sud, que Northvolt veut bâtir une méga-usine de cellules de batteries.

Six mois après ce refus, l’entreprise suédoise veut obtenir le feu vert pour intervenir dans les milieux humides considérés par des fonctionnaires comme un « écosystème dynamique d’une composition complexe qui permet de maintenir une grande diversité d’habitats ».

Cette analyse se trouve dans l’avis du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Northvolt, qui a déposé sa demande d’autorisation ministérielle pour la première phase de ses travaux en septembre dernier, espère pouvoir commencer les travaux d’ici la fin de l’année. Le gouvernement Legault veut voir ce chantier aller de l’avant.

L’ex-propriétaire, Quartier MC2 – un consortium dans lequel on retrouve l’homme d’affaires Luc Poirier –, avait dû patienter près de trois ans avant de se heurter à un refus du Ministère. Ce promoteur ambitionnait de construire plus de 2400 habitations dans le cadre d’un lotissement de type Transit Oriented Development (TOD), près de la gare de train de banlieue de McMasterville.

Ce que Québec reprochait au consortium : des mesures d’atténuation insuffisantes des répercussions sur les milieux humides ainsi que pour la biodiversité de ce site encore en partie contaminé et marqué par plus de 120 ans d’activité industrielle lourde – de 1878 à 1999.

« Il ne faut pas oublier que ce n’est pas un terrain de la SEPAQ [Société des établissements de plein air du Québec] », a lancé le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, vendredi dernier, devant le Conseil des relations internationales de Montréal, en faisant référence au passé industriel du site. « C’est probablement un endroit où les poissons ont trois yeux. »

Stéphanie Pellerin, professeure associée au département des sciences biologiques de l’Université de Montréal et spécialiste des milieux humides, a consulté les analyses ministérielles à notre demande. Elle estime que les conclusions du ministère de l’Environnement « à l’époque » sont toujours pertinentes. La spécialiste n’est visiblement pas sur la même longueur d’onde que le ministre Pierre Fitzgibbon.

« Bien que certains milieux humides soient issus des activités de décontamination, il est, pour moi, clair qu’à l’origine (avant 1900) ce site était un milieu humide », ajoute-t-elle en mentionnant la proximité de la rivière, et la rapidité avec laquelle des milieux humides se sont créés sur le site.

L’immense terrain de plus de 170 hectares, qui chevauche Saint-Basile-le-Grand et McMasterville, compte plus de 21,6 hectares de milieux humides. Quartier MC2 prévoyait d’empiéter sur 6,5 hectares de milieux humides.

Selon la Loi sur la qualité de l’environnement du Québec, tout milieu humide ayant les caractéristiques recherchées mérite d’être sauvegardé, même ceux créés par l’intervention humaine.

« La perte encourue par le projet correspond à 81 % des milieux humides restants trouvés sur le territoire de McMasterville et 25 % de ceux répertoriés à Saint-Basile-le-Grand », dénonce l’avis des fonctionnaires.

En comparaison, l’immense complexe de Northvolt en touchera deux fois plus, soit 13 hectares de milieux humides. « Les empiétements permanents représentent 60 % de la superficie totale de milieux humides sur le site », écrit l’entreprise dans sa demande d’autorisation ministérielle.

L’habitat du petit blongios

Dans sa réponse à Quartier MC2, le Ministère s’est montré particulièrement attentif au sort du petit blongios, un oiseau considéré comme une espèce vulnérable dont la présence a été détectée à trois reprises depuis 2016.

« Cette espèce est donc réputée être présente sur le site », tranche le MELCCFP.

Selon le même document, d’autres espèces vulnérables ou menacées fréquentent le site, dont la chauve-souris brune, en voie de disparition. Des rapaces sans statut et des batraciens communs ont aussi été observés, à l’instar de la tortue serpentine et de la tortue molle à épines.

PHOTO WIKICOMMONS

Le petit blongios est considéré comme une espèce vulnérable au Québec.

Afin de sauver l’habitat du petit blongios, le Ministère impose l’établissement d’une zone tampon de 500 mètres autour d’un marais de quenouilles de 2,4 hectares que l’on retrouve dans la portion nord-ouest du site ; l’oiseau nichant à l’abri des milieux urbanisés. Le demandeur, Quartier MC2, s’est opposé à cette zone. Il plaide que la nidification du petit blongios dans le secteur n’a jamais été confirmée. Il mentionne en outre que celle-ci s’effectue dans des marais d’au moins cinq hectares.

Bien que le site soit un bon exemple, et non un exemple parfait d’habitat du petit blongios, notamment dû à sa proximité des zones urbaines, il présente une grande importance pour le rétablissement de l’espèce dans le contexte actuel.

Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, dans sa réponse à Quartier MC2

Dans sa demande ministérielle, Northvolt soulignait que son « plan final » permettait d’éviter « tout empiétement » dans certains milieux humides, notamment ceux qui « représentent l’habitat le plus important pour le petit blongios ».

« Notre demande tient compte des contraintes du site, dont la présence de milieux humides générés par les travaux de réhabilitation du terrain devenus nécessaires après 120 ans d’exploitation industrielle lourde », affirme le porte-parole de la compagnie, Laurent Therrien.

La zone tampon exigée par l’Environnement pourrait néanmoins donner des maux de tête à Northvolt puisque son projet d’usine prévoit l’empiétement de plus de la moitié de cette zone de 500 mètres, constate-t-on à la lecture de sa demande.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette

Le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, a envoyé plusieurs signaux positifs à l’endroit du chantier en attente.

« La réglementation est respectée et on va souhaiter la réalisation de ce beau projet », a-t-il notamment déclaré dans une mêlée de presse en marge d’une annonce économique à Montréal à la mi-novembre. « Il n’y a aucun passe-droit accordé à l’entreprise et elle collabore bien pour chacune des exigences », avait-il assuré.

« L’établissement d’un projet manufacturier sur un site industriel est cohérent avec les lois et règlements en vigueur », avait également indiqué son cabinet au Devoir. « Pour ce qui est des milieux humides et naturels du site, l’entreprise devra satisfaire aux exigences du ministère de l’Environnement, en plus de fournir toutes les assurances et les compensations nécessaires », avait précisé le cabinet.

Disparition des milieux humides

À cause du développement urbain et agricole, les milieux humides sont devenus rares dans l’ensemble de la Montérégie, où ils couvrent « moins de 5 % du territoire », avait également souligné l’analyste du Ministère.

Le MELCCFP n’utilise pas de manière efficace les mécanismes prévus pour assurer la protection et l’utilisation durable des milieux humides et hydriques, malgré les pertes importantes de ces milieux que le Québec a connues depuis plusieurs décennies.

Extrait du rapport de la Commissaire au développement durable

Consultez le rapport de la Commissaire au développement durable

« C’est une peau de chagrin, le nombre de milieux humides qui restent en Montérégie. Les points de bascule sont en train de virer au rouge et nous, on va encore donner un permis de construire dans des milieux qui ont une valeur écologique ? », déplore Jean-François Girard, biologiste et avocat spécialisé en droit de l’environnement chez DHC Avocats.

« Ce qui me choque le plus dans ce dossier, c’est qu’on donne la défaite de dire : “On va créer des industries vertes, donc on devrait accepter de détruire des environnements naturels d’importance écologique” », relève pour sa part Stéphanie Pellerin.

D’après elle, « dans l’esprit du gouvernement, le projet est fait ».

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

L’histoire jusqu’ici :

3 mars 2023 : L’ancien propriétaire du terrain de Northvolt, Quartier MC2, se fait refuser par Québec sa demande d’intervention en milieux humides.

13 mai : La Presse révèle que le terrain de l’ancien complexe de la Canadian Industries Limited (CIL) est le site privilégié au Québec pour sa méga-usine.

Septembre : Northvolt dépose sa demande d’autorisation ministérielle pour effectuer des travaux.

28 septembre : L’entreprise suédoise confirme son implantation au Québec.

1er novembre : Northvolt devient propriétaire du terrain en Montérégie. La transaction est de 240 millions.

En savoir plus
  • 7 milliards
    Coût estimé de la première phase du complexe que souhaite construire Northvolt
    Source : Northvolt
    3 milliards
    Somme avancée par Québec et Ottawa pour financer la construction de la méga-usine