(Calgary) L’homme embauché pour redresser la situation de Suncor Énergie a dit mardi qu’il pensait que l’entreprise s’était trop concentrée ces dernières années sur la transition énergétique et devait revenir à une stratégie commerciale centrée sur le pétrole.

Le chef de la direction Rich Kruger, qui a pris les rênes du géant de l’énergie de Calgary ce printemps, a déclaré aux analystes lors d’une conférence téléphonique que le conseil d’administration de l’entreprise était d’accord avec lui sur la nécessité d’une « orientation et d’un ton révisés » au sein de l’entreprise.

Il a dit qu’il croyait que Suncor avait négligé « les moteurs commerciaux d’aujourd’hui » dans la poursuite d’activités énergétiques axées sur l’avenir, propres et à faible émission de carbone.

« Nous accordons une importance un peu disproportionnée à la transition énergétique à long terme », a affirmé M. Kruger, ajoutant que si ces activités sont importantes, elles ne sont pas ce qui rapportera de l’argent aux actionnaires aujourd’hui.

« Aujourd’hui, nous gagnons en créant de la valeur grâce à notre vaste base d’actifs intégrés étayée par les sables bitumineux. »

M. Kruger, l’ancien patron de la filiale canadienne d’ExxonMobil, Imperial Oil, a été tiré de la retraite cette année pour diriger une restructuration chez Suncor à la suite d’une série de défis opérationnels et financiers de grande envergure au sein de l’entreprise.

L’objectif déclaré de Suncor de se recentrer sur ses actifs de sables bitumineux intervient alors même que la société s’est publiquement engagée à atteindre des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles d’ici 2050.

Ses commentaires sont également formulés à la fin d’un été au cours duquel les températures mondiales ont atteint des sommets inégalés et les incendies de forêt, exacerbés par le changement climatique, ont fait des ravages sur toute la planète.

« Il est bon d’entendre un PDG du secteur des combustibles fossiles être honnête sur ses intentions – extraire jusqu’à la dernière goutte de pétrole du sol, même si cela signifie cuire notre climat et nuire aux communautés dans le processus », a commenté Laura Ullman, responsable de la campagne climatique de Greenpeace Canada.

Mais elle a ajouté que M. Kruger semble doubler aveuglément le statu quo face à la nécessité de plus en plus urgente d’une transition rapide vers les énergies renouvelables.

« Il est difficile de comprendre comment quelqu’un qui a vu la dévastation absolue des incendies, des inondations et des fuites (de sables bitumineux) de cet été peut continuer à faire pression pour l’expansion des combustibles fossiles », a déclaré Mme Ullman dans un courriel.

Suncor n’est pas la seule à avoir adopté cette stratégie, a déclaré Duncan Kenyon, directeur de l’engagement des entreprises au sein du groupe de défense des actionnaires Investors for Paris Compliance. Depuis la flambée des prix du pétrole à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie l’année dernière, ajoute-t-il, les entreprises du secteur de l’énergie se sont concentrées sur la maximisation des profits tirés du pétrole.

Le géant européen de l’énergie Shell, par exemple, a provoqué la colère des défenseurs du climat au début de l’année en abandonnant son plan de réduction de la production de pétrole de 1 à 2 % par an jusqu’à la fin de la décennie.

Le géant britannique de l’énergie BP a également revu à la baisse ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à la suite des bénéfices records réalisés l’année dernière grâce au pétrole, tandis que le chef de la direction d’ExxonMobil s’est vanté de « s’appuyer » sur les produits pétroliers qui sont aujourd’hui demandés.

« La décision de Suncor est conforme à l’orientation prise par presque toutes les grandes sociétés pétrolières dans le monde », a observé M. Kenyon.

« Elles se concentrent toutes sur la performance de leur bilan à court terme. »

L’an dernier, Suncor a vendu ses actifs éoliens et solaires, se retirant du secteur des énergies renouvelables dans lequel il était impliqué depuis plus de deux décennies.

À l’époque, l’entreprise avait déclaré qu’elle se concentrerait plutôt sur le développement de carburants à faible teneur en carbone (notamment le carburéacteur durable) ainsi que sur le déploiement à l’échelle commerciale de la technologie de captage du carbone.

La société a également renforcé sa présence dans les sables bitumineux du Canada cette année, en acquérant 100 % de la mine de sables bitumineux de Fort Hills, dans le nord de l’Alberta, en rachetant les parts des partenaires précédents, Teck Resources et TotalEnergies.

Suncor est également membre de la Pathways Alliance, un consortium d’entreprises canadiennes de sables bitumineux qui ont toutes pris l’engagement de carboneutralité et ont proposé de travailler ensemble pour construire un énorme centre de captage et de stockage du carbone dans le nord de l’Alberta afin d’aider à réduire les émissions provenant de la production de sables bitumineux.

M. Kruger a déclaré mardi que l’entreprise restait engagée dans Pathways, ajoutant que le groupe espérait finaliser les discussions avec les gouvernements fédéral et albertain au sujet d’un cadre fiscal pour les projets de capture du carbone dès cet automne.

Cependant, M. Kenyon pense que l’accent mis par Suncor sur le pétrole ne tient pas compte du risque d’« érosion de la demande » auquel l’entreprise est confrontée à mesure que le rythme d’adoption des véhicules électriques s’accélère et que les acheteurs recherchent des barils moins coûteux et moins polluants à l’avenir.

« Ils essaient de gagner de l’argent à court terme, a-t-il déclaré. Mais je ne vois aucune reconnaissance du risque qu’il y a à continuer à faire comme si de rien n’était. »

Lors de la conférence téléphonique de mardi, M. Kruger a annoncé que les investisseurs peuvent s’attendre à en savoir plus sur la nouvelle orientation de Suncor dans les mois à venir. Mais il a indiqué que dès le deuxième trimestre, la société a fait des « progrès importants » vers son nouvel objectif de se concentrer sur les éléments fondamentaux. En juin, Suncor a annoncé qu’elle réduirait son effectif de 20 %, soit 1500 personnes, d’ici la fin de l’année afin d’éliminer le travail inutile ou « inabordable ».

Au 1er août, 535 de ces suppressions d’emplois ont déjà eu lieu, a indiqué M. Kruger, entraînant une réduction des coûts d’environ 125 millions jusqu’à présent.

« Ces actions ne sont pas faciles et ne sont certainement pas prises à la légère, mais elles sont nécessaires à notre compétitivité », a-t-il affirmé.

Suncor Énergie a dit mardi avoir engrangé 1,88 milliard au deuxième trimestre de 2023, contre environ 4 milliards à la même période l’an dernier lorsque les prix du pétrole étaient plus élevés.

Le géant de l’énergie établi à Calgary a déclaré avoir pris des frais de restructuration de 275 millions au cours du trimestre liés aux plans de suppression d’emplois annoncés précédemment.

À la suite de cette charge de restructuration, Suncor a indiqué que ses fonds d’exploitation ajustés pour le trimestre clos le 30 juin 2023 s’élevaient à 2,7 milliards ou 2,03 $ par action, contre 5,3 milliards ou 3,80 $ par action au trimestre de l’année précédente.

La société a subi un incident de cybersécurité très médiatisé en juin, mais affirme que la violation n’a pas eu d’effet sur ses résultats financiers pour le trimestre.