(Ottawa) Boeing n’y va pas par quatre chemins : si Ottawa penche vers elle pour remplacer ses vieux avions militaires de surveillance, c’est parce que rien ne lui arrive à la cheville – pas même Bombardier, qui demande une chance d’obtenir ce contrat multimilliardaire.

Le raisonnement du géant américain se résume ainsi : on compare des pommes avec des oranges. Son Poseidon P-8A sillonne le ciel depuis une décennie, est privilégié par les « Five Eyes » – une alliance de services de renseignements dont fait partie le Canada – et comporte une touche canadienne. En contrepartie, la proposition de Bombardier n’en est qu’à ses balbutiements.

« Je ne vois pas cela [le projet de Bombardier] comme un rival », affirme Ted Colbert, chef de la direction de Boeing Défense, dans un entretien, mardi, à Ottawa. « Je ne le considère même pas dans la même catégorie. Il y a une raison pour laquelle les Five Eyes ont choisi le P-8A. »

À la veille du rendez-vous annuel du secteur de la défense à Ottawa – le salon CANSEC –, Boeing a fait les choses en grand, mardi, pour vanter son Poseidon et les retombées qu’il génère à travers le Canada. L’évènement ne se voulait pas une réplique aux récentes sorties de Bombardier, assure l’avionneur américain, même si son déroulement pouvait laisser cette impression.

Boeing a mis toute la gomme. Sur le tarmac de l’aéroport d’Ottawa, à proximité de l’endroit où se tient le salon militaire, un P-8A a été mis en évidence. La Presse a pu avoir accès à l’appareil. De plus, des fournisseurs canadiens de l’avion s’étaient déplacés dans la capitale fédérale pour vanter les fruits de leur collaboration avec la multinationale. Même l’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen, était sur place. Le nom de Bombardier n’a pas été prononcé au cours de la présentation, mais cela n’a pas empêché M. Colbert de décocher quelques flèches à son concurrent.

« Nous avons l’option la plus abordable pour le Canada parce que c’est un avion déjà disponible et pas quelque chose qui est en développement, a-t-il dit. C’est une machine déjà performante. »

Dossier politique

Le remplacement des 14 Aurora CP-140 vieillissants de l’Aviation royale canadienne (ARC), un contrat dont la valeur globale pourrait atteindre 9 milliards, s’est transformé en dossier politique. Le ministère de la Défense n’est pas chaud à l’idée d’acheter les avions de Bombardier. Le Poseidon P-8A de Boeing – un avion qui s’apparente à la famille d’avions 737 et qui peut lancer des torpilles – a été identifié comme l’unique appareil qui pourrait répondre aux exigences canadiennes.

  • Le P-8A peut transporter jusqu’à cinq torpilles anti-sous-marines.

    PHOTO FOURNIE PAR BOEING

    Le P-8A peut transporter jusqu’à cinq torpilles anti-sous-marines.

  • En plus de l’équipement de surveillance, le P-8A transporte quelque 170 sonars qui peuvent être déployés pour repérer un sous-marin sous l’eau.

    PHOTO FOURNIE PAR BOEING

    En plus de l’équipement de surveillance, le P-8A transporte quelque 170 sonars qui peuvent être déployés pour repérer un sous-marin sous l’eau.

  • À droite, des postes destinés aux membres de l’équipage qui effectuent de la surveillance

    PHOTO FOURNIE PAR BOEING

    À droite, des postes destinés aux membres de l’équipage qui effectuent de la surveillance

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Bombardier, qui cherche à accroître son exposition au secteur militaire, demande une chance de faire valoir son projet. L’avionneur québécois exhorte le gouvernement Trudeau à lancer un appel d’offres, ce qui lui permettrait de proposer une version du jet d’affaires Global 6500 capable d’accomplir la même tâche que les CP-140, soit lancer des torpilles. L’entreprise québécoise s’est récemment associée au géant de la défense General Dynamics dans le but d’inciter le gouvernement Trudeau à changer son fusil d’épaule. Ce tandem devrait par ailleurs offrir plus de détails sur ses intentions, ce mercredi, au salon CANSEC.

Pour Boeing, la décision de lancer un appel d’offres revient au gouvernement Trudeau.

« Ce n’est pas ma décision, répond M. Colbert, interrogé sur cette question. Mais si c’est le cas, je suis convaincu que nous gagnerions. »

La réplique de Bombardier n’a pas tardé. L’entreprise estime que son rival cherche désespérément de nouvelles commandes parce que sa chaîne de montage du P-8A, située aux États-Unis, pourrait manquer de travail après 2025.

« La population canadienne mérite une meilleure solution qu’une vente de feu visant à liquider les derniers modèles, affirme l’avionneur québécois, dans une déclaration. Notre gouvernement a été amené à croire qu’il est urgent d’acheter maintenant. »

Contenu canadien

En citant les résultats d’une étude commandée à la firme Doyletech Corporation, Boeing estime pouvoir aider à sécuriser plus de 3000 emplois par année si elle décroche le contrat de remplacement des CP-140. Des entreprises bien enracinées au pays comme CAE, GE Aviation ainsi que le conglomérat propriétaire du constructeur de moteurs Pratt & Whitney Canada figurent parmi les fournisseurs.

Par exemple, à l’usine de GE Aviation à Bromont, on fabrique notamment les compresseurs qui se retrouvent dans les moteurs situés sous les ailes du P-8A. L’entreprise compte aussi Bombardier parmi ses clients. Daniel Verreault, directeur de la filiale des systèmes militaires au Canada, est conscient de l’aspect politique du dossier.

« C’est toujours émotif, les ventes militaires, dit-il, dans un entretien. Parfois on gagne, parfois on ne gagne pas. Le gouvernement canadien a déterminé que c’est le P-8A qui était le seul appareil répondant aux critères de l’ARC. C’est pour cela que je suis ici. »

Selon Boeing, on retrouve pour l’équivalent de 11 millions de pièces fabriquées au Canada dans un Poseidon.

L’histoire jusqu’ici

2022

Ottawa met en place un processus pour remplacer ses avions de surveillance Aurora CP-140, dont la mise en service remonte aux années 1980.

27 mars 2023 

Le Poseidon P-8A de Boeing est identifié comme l’unique appareil qui réponde aux exigences canadiennes. Le contrat pourrait être accordé de gré à gré.

18 mai 2023

Bombardier, qui milite depuis des mois pour le lancement d’un appel d’offres afin d’offrir une version modifiée de son Global 6500, s’associe à General Dynamics.

En savoir plus
  • 155
    Nombre de P-8A livrés par Boeing et en service dans le monde
    Source : BOEING
    81
    Nombre de fournisseurs canadiens du Poseidon
    Source : BOEING