(Ottawa) Le ton monte entre les prétendants au contrat pour le remplacement des avions militaires de surveillance d’Ottawa. Si Boeing est convaincu de sa supériorité, il ne devrait avoir « aucun problème » à soutenir un appel d’offres, suggère Bombardier — un terrain sur lequel le géant américain n’ose pas s’aventurer.

« Allons dans le processus, vous [Boeing] allez sûrement gagner, n’est-ce pas ? lance Jean-Christophe Gallagher, responsable du secteur de la défense de l’avionneur québécois, dans un entretien avec La Presse. La raison pour laquelle ils veulent court-circuiter le processus, c’est qu’ils savent très bien qu’ils ont un avion en fin de vie. »

Le salon militaire CANSEC, qui se termine ce jeudi à Ottawa, a été le théâtre d’offensives distinctes de Bombardier et de Boeing dans le dossier du remplacement des 14 Aurora CP-140 vieillissants de l’Aviation royale canadienne (ARC), un contrat dont la valeur globale pourrait se chiffrer à 9 milliards. Après l’offensive de Boeing la veille, c’était au tour de son rival de répliquer, mercredi.

Jusqu’à présent, le Poseidon P-8A de Boeing, qui s’apparente à la famille d’avions 737 et qui peut lancer des torpilles anti-sous-marines, a été désigné par Ottawa comme le seul appareil capable de répondre aux exigences de l’ARC. Jusqu’à 16 exemplaires du P-8A pourraient être commandés. Bombardier demande un appel d’offres afin d’avoir une chance de présenter une version modifiée de son jet privé Global 6500. Cet appareil est plus petit que le Poseidon, mais la multinationale québécoise fait le pari que l’espace y est suffisant pour tout accueillir.

Dans l’espoir d’inciter le gouvernement Trudeau à changer son fusil d’épaule, l’avionneur québécois s’est associé au géant de la défense General Dynamics. C’est sa filiale canadienne qui installerait les systèmes et les capteurs dans le Global 6500. Elle serait en quelque sorte responsable du système nerveux de l’appareil. C’est la technologie de General Dynamics qui a été retenue pour prolonger la vie des CP-140 canadiens. Elle est donc déjà certifiée auprès des pays alliés.

« On aura d’autres partenaires canadiens, assure M. Gallagher. On demande un appel d’offres pour montrer que nous avons le meilleur avion. Vous n’avez pas besoin de nous croire tout de suite. Mais donnez-nous la possibilité d’en faire la démonstration. »

Incomparable

Dans un entretien, mardi, Ted Colbert, chef de la direction de Boeing Défense, avait témoigné de sa confiance en affirmant ne pas considérer Bombardier et General Dynamics comme des rivaux pour le remplacement des CP-140. Rien n’arrive à la cheville du P-8A, avait affirmé M. Colbert, en soulignant que l’avion était déjà en service, contrairement à l’autre option sur la table.

Lisez « Boeing clame que rien ne lui arrive à la cheville »

Malgré tout, le responsable de Boeing n’a pas voulu se prononcer sur l’aspect de la concurrence. Invité à dire s’il serait approprié de lancer un appel d’offres, M. Colbert a répondu que cette décision revenait au gouvernement Trudeau.

À son avis, aucun autre appareil capable d’effectuer des missions de surveillance et de lutte anti-sous-marine n’est en mesure d’être livré vers 2030, lorsque les avions canadiens commenceront à être mis au rancart. Pour concevoir le P-8A, Boeing a dû modifier les moteurs sous les ailes de l’appareil afin qu’ils soient capables de fournir l’énergie nécessaire à tous les équipements à l’intérieur. Il fallait aussi s’assurer que l’on puisse installer des missiles sous les ailes, ce qui a demandé des modifications.

La réplique de Bombardier ? Il y a peu de « développement pur » à effectuer pour adapter le Global 6500 aux exigences canadiennes. Les coûts ne seraient pas pharaoniques, assure l’entreprise. D’autres versions du jet privé ont déjà été achetées par les États-Unis et l’Allemagne pour effectuer des missions de surveillance.

« Les moteurs de l’avion, dans leur version standard, génèrent suffisamment d’énergie pour alimenter tous les systèmes installés, explique M. Gallagher. Oui, il y a de nouveaux aspects [la partie sous l’avion capable d’accueillir des torpilles], mais ils sont minimes par rapport à ce que nous avons déjà acquis. Quand on ajoute les systèmes de General Dynamics, on respecte tous les critères publiés par le gouvernement canadien. »

Puisque la version du Global 6500 proposée par Bombardier et General Dynamics n’a pas encore été assemblée en usine, les deux partenaires se sont tournés vers la réalité virtuelle pour donner un exemple de la capacité de l’avion. Il peut accueillir jusqu’à six postes de travail pour effectuer notamment de l’analyse acoustique, selon les images présentées.

Le Poseidon de Boeing est assemblé aux États-Unis, mais plusieurs entreprises implantées au Québec et dans le reste du pays agissent comme fournisseurs. Parmi celles-ci, on retrouve CAE, GE Aviation, qui exploite une usine à Bromont, ainsi que Raytheon Canada, conglomérat notamment propriétaire de Pratt & Whitney Canada.

Silence radio

En lever de rideau du rendez-vous annuel dans la capitale fédérale, la ministre de la Défense, Anita Anand, s’est retenue d’aborder le dossier du remplacement des CP-140 Aurora. Elle a préféré mettre l’accent sur l’importance de moderniser les Forces armées canadiennes dans un contexte mondial bousculé par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mme Anand a évoqué les investissements de son gouvernement, les capacités navales du pays ainsi que l’achat des avions de combat F-35, essentiellement. En marge de son allocution, la politicienne n’a pas répondu à une question visant à savoir s’il y aurait un appel d’offres en bonne et due forme pour remplacer les CP-140 Aurora.

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  • 500
    Nombre de jets privés construits par Bombardier modifiés pour des usages militaires ou spéciaux (surveillance, rescousse, transport gouvernemental)
    Source : Bombardier