Mener une entreprise, c’est avant tout une affaire de stratégie. Des dirigeants révèlent quelques éléments de leur plan de match et de leur vision.

Le Québec est en voie d’accueillir le seul producteur de concentré de lithium en Amérique du Nord. C’est une société méconnue, Sayona, qui en est le propriétaire.

Filiale de Sayona Mining, d’Australie, Sayona va exploiter au premier trimestre 2023 la mine du Complexe Lithium Amérique du Nord (LAN) à La Corne, en Abitibi.

La société vient d’ailleurs d’obtenir le dernier des 130 permis requis pour démarrer la production. La minière emploie déjà plus de 100 personnes sur le terrain. À l’ouverture de la mine dans quelques mois, ils seront entre 150 et 200 travailleurs.

Il s’agit en fait d’une relance de l’exploitation d’un gisement pour lequel les tentatives précédentes ont échoué.

La mine en sera en effet à sa troisième vie depuis le début des années 2010. Elle a été exploitée sous le nom de Québec Lithium (2012-2014) puis de North American Lithium (2016-2019). Cette dernière appartenait aux Chinois Jien International et CATL.

Préférés par Investissement Québec, Sayona (75 %) et son partenaire américain Piedmont Lithium (25 %) ont racheté les actifs de North American Lithium (NAL) dans le cadre d’un processus judiciaire le 1er août 2021. NAL s’était auparavant placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Depuis, Sayona a investi 350 millions au Québec dans l’acquisition de diverses propriétés minières et dans la relance de LAN.

Pourquoi Sayona réussira-t-elle ?

« D’abord, les fondateurs de Sayona sont des exploitants miniers ayant déjà mené à bon port un projet similaire en Australie du nom d’Altura », a répondu Guy Laliberté, conseiller stratégique de Sayona, quand La Presse lui a posé la question. « Deuxièmement, nous allons aussi nous servir du gisement Authier, de meilleure qualité, en ayant moins de fer, pour alimenter le concentrateur de La Corne. »

L’ancien directeur de projet pour ArcelorMittal et pour SNC-Lavalin avance également que l’industrie automobile en 2022 est davantage prête à prendre le virage électrique qu’en 2014. M. Laliberté en est à son quatrième projet de mine après ceux de la terre de Baffin, de la Sierra Leone et du Liberia.

Un premier producteur de lithium en Amérique du Nord
  • Guy Laliberté, conseiller stratégique de Sayona, propriétaire de la mine de lithium de La Corne, en Abitibi

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Guy Laliberté, conseiller stratégique de Sayona, propriétaire de la mine de lithium de La Corne, en Abitibi

  • Sur la photo, une carotte de lithium extraite de La Corne et de la farine de spodumène, du lithium concentré à 6 %

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Sur la photo, une carotte de lithium extraite de La Corne et de la farine de spodumène, du lithium concentré à 6 %

  • Cindy Valence, cheffe de la direction développement durable de Sayona, et Guy Laliberté, conseiller stratégique

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Cindy Valence, cheffe de la direction développement durable de Sayona, et Guy Laliberté, conseiller stratégique

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La rencontre s’est déroulée au siège social de Sayona, au centre-ville de Montréal. Étant donné que la quasi-totalité de l’actif de Sayona Mining se trouve au Québec, le bureau montréalais a des airs de siège social. Le patron de la société mère australienne, Brett Lynch, était à Montréal au moment de notre passage.

Dans l’immédiat, Sayona Mining surfe sur la vague du prix du lithium. Le prix du spodumène, genre de farine de lithium, est passé de 800 $ la tonne en 2017 à plus de 5000 $ US cette année, propulsé par la popularité des véhicules électriques dans le monde.

Il y a trois ans, Sayona valait 10 millions à la Bourse. Ce mois-ci, on vaut un peu moins de 2 milliards.

Guy Laliberté, conseiller stratégique de Sayona

Si Sayona était inscrite au parquet torontois, elle aurait une capitalisation boursière supérieure à celle de la Banque Laurentienne ou de Champion Iron, exploitant de la mine de fer du lac Bloom, près de Fermont.

Depuis 2019, Sayona se développe autour de deux pôles : le pôle de l’Abitibi et le pôle de la Baie-James. Selon M. Laliberté, Sayona détient 35 % des ressources de lithium en Amérique du Nord avec plus de 100 millions de tonnes.

Pôle Abitibi

Le pôle tourne autour du concentrateur de La Corne, dont le redémarrage a nécessité un investissement de 100 millions. L’équipement permet de traiter le minerai contenant environ 1 % de lithium afin de produire un concentré de lithium à 6 %, aussi appelé spodumène. Le minerai viendra aussi du gisement Authier, près d’Amos. La capacité annuelle de production atteindra 226 000 tonnes de concentré.

« Sayona a récupéré un projet sur le plan industriel le plus équipé au Québec, puisque les propriétaires précédents avaient mis en place une usine qui va jusqu’aux installations de carbonate de lithium », dit le professeur de géologie Michel Jébrak, coauteur du livre Objectif lithium : réussir la transition énergétique. Il a visité le gisement La Corne en octobre dernier.

Le carbonate de lithium sert d’intrant à la fabrication de cathodes, un des deux pôles de la batterie lithium-ion utilisée dans les véhicules électriques. L’hydroxyde de lithium joue le même rôle pour les véhicules luxueux.

« On songe à continuer le secteur carbonate. Les études de faisabilité par Hatch sont en cours », précise M. Laliberté. À la différence des Chinois, le Québec a l’avantage de pouvoir transformer le lithium avec une énergie propre.

Si l’étude est concluante, l’objectif est d’y produire 23 000 tonnes de carbonate, potentiellement en 2026. Le projet nécessitera des fonds de 300 à 350 millions. Le carbonate se vend ces jours-ci à 40 000 $ la tonne.

Pôle Baie-James

En parallèle, une filiale, nommée Sayona Nord, détient le gisement de Lac-Albert à 100 % et, depuis mai 2021, 60 % du gisement Moblan. L’autre tranche de 40 % appartient au gouvernement provincial par le truchement d’Investissement Québec.

Il est considéré d’installer un concentrateur sur le site de Moblan. « On pourrait ainsi faire de l’hydroxyde à partir des quantités qu’on va sortir du concentrateur de Moblan », indique M. Laliberté.

Le concentrateur de Moblan pourrait coûter entre 400 et 500 millions. Le potentiel est de produire 100 000 tonnes d’hydroxyde de lithium à compter de 2027, quantité correspondant aux besoins de Tesla ou de Ford dans une année. L’hydroxyde se vend à 50 000 $ US la tonne.

D’ici 2030, Sayona a identifié des projets d’une valeur de 2,7 milliards. Investissement Québec sera un partenaire de choix pour la suite de ses projets de deuxième transformation du lithium, souligne M. Laliberté.

Forces

– Exploitant minier d’expérience

– Installations de carbonate déjà à moitié achevées à La Corne 

– Son partenaire, Piedmont Lithium, est intégré dans la chaîne nord-américaine de production automobile.

Faiblesses

– Taille de l’entreprise somme toute modeste

– Peu d’expertise pour transformer le spodumène en carbonate et en hydroxyde

– Besoins financiers considérables d’ici 2030