Le Québec compte de nombreuses petites entreprises plus que centenaires, longtemps ou toujours détenues par la descendance du fondateur. Durant le temps des Fêtes, nous racontons trois de ces histoires de famille.
Aujourd’hui : Groupe Charbonneau, 105 ans.

Lucien Charbonneau a longtemps compté plus d’enfants que d’employés. Les premiers lui fournissaient d’ailleurs la plupart des seconds.

Il a fondé sa petite entreprise en 1917 et sa famille trois ans plus tard, quand il a épousé Robertine Lacombe.

« Au début, c’était de la chaudronnerie, et rapidement, c’est devenu une entreprise de plombier », relate son petit-fils Jean Charbonneau, président du Groupe Charbonneau.

Lucien avait ouvert sa modeste plomberie dans son quartier, Côte-Saint-Paul, où son travail rigoureux lui a bientôt valu une avantageuse réputation.

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Lucien Charbonneau et sa fille aînée, Lucienne, devant la plomberie originale

Un travail trop rigoureux, peut-être. Lucien est mort à 49 ans d’une crise cardiaque, le 25 janvier 1945, alors qu’il répondait par grand froid à un appel de service dans le secteur qu’il desservait depuis plus de 25 ans.

Âgée de 50 ans, Robertine a pris vigoureusement les choses en main.

« Il n’y avait pas beaucoup de femmes dans le domaine de la plomberie, dans ces années-là, souligne Jean Charbonneau. Mon père me disait : “Ta grand-mère n’avait pas le choix, elle avait 11 bouches à nourrir.” »

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Claude Charbonneau, le père de Jean, actuel président de l’entreprise

Cinq de ces bouches étaient déjà attachées à l’entreprise familiale. Jean-Paul, Denis, Claude, Robert et Germain, tous plombiers.

« Ils étaient en âge de travailler, 16, 17, 18 ans. Le plus vieux était dans la vingtaine, je crois », poursuit le président.

« Ma grand-mère faisait la gestion. Elle faisait la répartition des appels de service, c’est elle qui gérait le bureau. Ses gars travaillaient sur la plomberie. »

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Robertine, au centre de la rangée supérieure, avec ses cinq garçons et ses six filles

Robertine leur a peu à peu confié la direction de l’entreprise, qu’ils occuperont successivement jusqu’au milieu des années 1960.

À leur instigation, l’entreprise élargit son champ d’action au-delà du quartier d’origine. Lucien Charbonneau ltée pose des drains sur les voies surélevées du boulevard Métropolitain en construction, travaille sur l’échangeur Turcot, installe la plomberie et le chauffage de plusieurs pavillons d’Expo 67.

  • Lucien Charbonneau, comme l’entreprise s’appelait à l’époque, a travaillé sur le chantier de construction de l’échangeur Turcot, au milieu des années 1960.

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    Lucien Charbonneau, comme l’entreprise s’appelait à l’époque, a travaillé sur le chantier de construction de l’échangeur Turcot, au milieu des années 1960.

  • Jean-Paul Charbonneau, oncle de Jean et gestionnaire de l’entreprise durant plusieurs années, vraisemblablement sur le chantier de l’échangeur Turcot

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    Jean-Paul Charbonneau, oncle de Jean et gestionnaire de l’entreprise durant plusieurs années, vraisemblablement sur le chantier de l’échangeur Turcot

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« Ils ont eu de belles années, enchaîne Jean Charbonneau. Quand Montréal s’est développé, ils ont fait partie de ce développement. »

Robertine s’est éteinte en 1971. « J’ai un souvenir d’elle, mais rien de très précis, confie-t-il. Dans les dernières années, elle était très malade. »

Au début des années 1980, l’entreprise est dirigée par les trois fils de Lucien toujours actifs, Denis, Jean-Paul et Claude.

La troisième génération cogne alors à la porte.

La lettre

L’unique garçon des quatre enfants de Claude, Jean Charbonneau, avait entamé à la fin des années 1970 des études collégiales en administration.

« Après une année, je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi, l’administration. Je suis allé faire un DEC en mécanique du bâtiment au cégep de Saint-Hyacinthe. »

Il travaillait depuis un an pour un bureau d’ingénieurs-conseils quand le fils de son oncle Denis, son cousin Daniel, qui s’était déjà joint à l’entreprise familiale depuis un an, l’a invité à dîner.

« Il m’a dit : “Écoute, il faut que tu t’en viennes avec moi, il faut qu’on remonte ça, cette business-là, on est capables.” »

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Jean et Daniel dans les bureaux de la rue Hadley, quelques années après avoir pris la relève de leurs pères

Plongé dans le bain par son cousin, il a décidé de foncer.

« J’ai envoyé une lettre à mon père pour lui dire que je commençais dans deux semaines dans l’entreprise. »

Les deux cousins à la barre

Son père, « quelqu’un de très patient et de très déterminé », n’avait jamais mis de pression pour la plomberie familiale.

« Il était content. Je pense qu’un père est fier que son gars soit intéressé et s’en vienne dans l’entreprise pour la continuer. Mais on ne dit jamais : “J’aimerais que tu t’en viennes”, parce qu’au bout du compte, il faut donner à notre enfant le choix de décider. »

Jean appliquera le précepte à son propre fils.

Nos pères respectifs, à mon cousin Daniel et moi, nous ont donné la possibilité de grandir, de faire grandir l’entreprise, et de l’amener à un autre niveau. C’est un cadeau exceptionnel. Même si c’était tout petit, Charbonneau était un nom connu, quand on l’a pris.

Jean Charbonneau, président du Groupe Charbonneau

La plomberie avait un peu de plomb dans l’aile quand les deux cousins ont acquis l’entreprise des mains de leurs pères respectifs, en 1991. Lucien Charbonneau montrait alors un chiffre d’affaires d’environ 900 000 $ et comptait à peine une quinzaine d’employés.

« On a injecté un peu d’adrénaline dans l’entreprise, narre Jean Charbonneau. Nos pères étaient quand même d’un certain âge. C’était normal pour eux de vouloir courir moins de risques. Quand on est arrivés, on a ouvert les vannes. » Un geste naturel, en plomberie.

« On est allés dans ce qu’on connaissait, l’institutionnel et le commercial. »

Une fois les vannes ouvertes, les deux cousins ont étendu le circuit en multipliant les branchements. Ils ont acquis en 2001 L’Heureux Mongeau J. C. Lauzon, spécialisée dans le gaz naturel, puis la Plomberie Christie en 2004, qui desservait les tours du centre-ville.

À la même époque, ils ont commencé à associer dans l’entreprise quelques employés clés.

Au moment de la mort du père de Jean, au début des années 2010, « l’entreprise faisait près d’une quarantaine de millions, à peu près ».

En 2017, le Groupe Charbonneau s’est « positionné sur la Rive-Nord » avec l’acquisition de la Plomberie Daniel Côté, à Laval.

La quatrième génération s’est alors pointée.

La relève

Le fils de Jean, David, ne lui a écrit ni lettre ni texto pour lui annoncer son arrivée imminente. « Non, il était un peu plus destiné à s’en venir chez nous. »

Comme son père, David avait travaillé comme apprenti plombier dans l’entreprise familiale avant d’entreprendre un DEC en mécanique du bâtiment à Saint-Hyacinthe. Il a alors fait connaître son intérêt à le rejoindre.

« Je lui ai dit : “David, ton DEC en mécanique du bâtiment, c’est beau, mais mes associés sont des ingénieurs. Il va falloir que tu ailles un peu plus loin qu’un DEC.” Il m’a répondu qu’il le savait et qu’il allait chercher son cours de génie. »

Hormis ce tuyau, aucune pression.

« Si mon garçon ne s’en venait pas dans l’entreprise, ce n’était pas grave. J’avais déjà mes associés, j’avais déjà préparé ma relève. Quand David est entré dans l’entreprise, c’est parce qu’il le voulait, pas parce qu’il avait une obligation d’être la quatrième génération dans une entreprise familiale. »

David est chargé de projet chez Charbonneau depuis 2015.

« Il fait partie des plans pour diriger un jour l’entreprise, mais est-ce que ce sera le prochain ? Je ne crois pas. Parce qu’il y a quand même des gens qui sont avec nous depuis plusieurs années comme associés. Mais un jour, David va être la relève de l’entreprise, c’est sûr. »

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Photo d’équipe lors de l’emménagement dans les nouveaux bureaux rue Cabot, au début des années 2000

Nouvelle ère

Jean Charbonneau, qui disait que l’administration n’était pas pour lui, préside l’entreprise depuis 2018, à la suite de son cousin.

La petite plomberie fondée par Lucien Charbonneau compte maintenant quelque 330 employés, avec un volume d’affaires qui taquine les 100 millions.

« On fait de tout, du petit appel de service pour aller installer un lavabo à une job de 30 millions de plomberie », décrit-il avec une fierté qui s’attache peut-être davantage au lavabo.

« Il faut regarder d’où on vient, dit-il. L’expérience nous a montré qu’il y aura toujours un volume important dans le service, ça ne change presque jamais d’année en année. »

Il regarde aussi où il va. Le 1er décembre dernier, encore, le Groupe Charbonneau a annoncé un investissement de 8 millions du Fonds de solidarité FTQ « pour [sa] croissance et [ses] acquisitions ».

Tout dernier débouché pour la vieille plomberie : Charbonneau vient d’élargir ses activités aux services de ventilation avec l’acquisition, en vigueur le 1er janvier 2023, de Climatisation Nouvel-Air.

Une nouvelle ère, en effet.

Mais toujours familiale.

L’entreprise : Groupe Charbonneau

Spécialité : plomberie résidentielle, commerciale et industrielle, mécanique du bâtiment
Fondation : 1917
Âge : 105 ans

Quelques jalons

1907

Lucien Charbonneau ouvre dans le quartier Côte-Saint-Paul une petite plomberie de quartier.

1945

Mort de Lucien Charbonneau à 49 ans. Sa femme Robertine prend l’entreprise en main. Ses fils Jean-Paul, Denis, Claude, Robert et Germain, tous plombiers, travaillent avec elle.

1971

Morte de Robertine. La direction échoit à son fils Jean-Paul.

1981

L’entreprise est dirigée par les trois fils de Lucien toujours actifs, Denis, Jean-Paul et Claude. Daniel, fils de Denis, se joint à l’entreprise. Jean, fils de Claude, le suit l’année suivante.

1991

Les cousins Daniel et Jean acquièrent les parts de leurs pères et sont seuls actionnaires.

Daniel est président.

1997

La division Lucien Charbonneau et Plomberie Charbonneau forment Le Groupe Charbonneau.

2001

Acquisition de L’Heureux Mongeau J. C. Lauzon, spécialisée dans le gaz naturel.

2004

Acquisition de la Plomberie Christie.

2017

Acquisition de la Plomberie Daniel Côté, à Laval.

2018

Jean succède à Daniel à la présidence.

2022

Annonce d’une participation majoritaire dans Climatisation Nouvel-Air, en vigueur le 1er janvier 2023.