À l'aube de la prise de contrôle de la C Series par Airbus, l'architecte de Bombardier, Laurent Beaudoin, avoue avoir un pincement au coeur de voir un avion conçu au Québec passer dans les mains d'un joueur étranger.

«Définitivement, a-t-il lancé, jeudi, au cours d'une mêlée de presse en marge de l'assemblée annuelle de l'entreprise, à Montréal. Dans le meilleur des mondes, il aurait été préférable de [garder la C Series] parce qu'on l'a développée nous-mêmes.»

Au terme d'une carrière de 55 ans, M. Beaudoin a néanmoins quitté le conseil d'administration de Bombardier en estimant que le ciel était plus dégagé pour le constructeur d'avions et de trains après quelques années de tourmente.

D'ici la fin du deuxième trimestre, Airbus deviendra l'actionnaire majoritaire du programme, qui a coûté environ 6 milliards $ US, sans avoir à verser un seul sou. La C Series pourrait d'ailleurs changer de nom pour adopter celui de son nouveau propriétaire.

Bombardier est néanmoins de retour sur la voie de la croissance, a estimé M. Beaudoin, qui soufflera bientôt ses 80 bougies. Il a estimé que l'arrivée d'Airbus aux commandes de la C Series allait offrir un «potentiel plus grand» à l'appareil.

Le gendre de Joseph-Armand Bombardier a eu droit à une longue ovation de la part des actionnaires de la multinationale québécoise au terme d'un hommage dans lequel ses nombreuses réalisations ont été soulignées.

«On ne ressent pas l'âge que l'on a, mais il faut le réaliser à un moment donné que l'on n'a plus 50 ans», a analysé M. Beaudoin dans une vidéo qui a été diffusée à la fin du rendez-vous annuel.

En dépit des turbulences des dernières années, qui ont fait en sorte que Bombardier a frôlé la faillite, l'homme d'affaires a dit ne jamais avoir réellement été inquiété pour l'entreprise qu'il a transformée au fil des ans.

Il a donné en exemple la crise énergétique de 1973, qui a été beaucoup plus difficile à surmonter, étant donné que les motoneiges constituaient la pierre angulaire de l'entreprise.

«C'est à ce moment que nous sommes arrivés dans le transport en commun, a raconté M. Beaudoin aux journalistes. C'est souvent dans ces moments difficiles que l'on prend les meilleures décisions.»

À la suite d'une suggestion de l'ex-maire de Montréal Jean Drapeau, Bombardier a soumissionné pour le contrat du métro de Montréal, qui a été remporté en 1974, permettant à la société de se lancer dans la construction de matériel roulant.

La percée dans l'aéronautique est survenue en 1986 à la suite de l'achat de Canadair. Depuis, l'entreprise est devenue le troisième constructeur d'avions commerciaux en importance et le plus important du côté des jets d'affaires.

À la défense des actions

Le gendre de Joseph-Armand Bombardier a par ailleurs justifié la nécessité des actions à droit de vote multiples, ce qui, à son avis, a permis de protéger l'entreprise lorsqu'elle était plus vulnérable.

«En laissant aller ces actions, je crois que vous ne seriez pas ici, a-t-il répondu lorsqu'interrogé sur le sujet. Bombardier ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui.»

La famille Beaudoin-Bombardier a parfois été la cible de critiques en raison de son contrôle exercé sur Bombardier grâce à ses actions de catégorie A, qui confèrent chacune 10 droits de vote.

Toutefois, c'est grâce à cette structure que la multinationale a pu demeurer dans sa forme actuelle tout en préservant le siège social à Montréal, a estimé le professeur Karl Moore, du département de gestion de l'Université McGill.

«Je ne crois pas que la C Series serait dans le ciel aujourd'hui sans la famille», a-t-il dit.

M. Moore, qui était présent à l'assemblée, a qualifié M. Beaudoin de grand entrepreneur qui a su transformer une compagnie en multinationale reconnue à travers le monde.

L'homme d'affaires aura toutefois eu de la difficulté à se trouver un successeur, a ajouté le professeur de McGill, faisant référence aux passages de Robert Brown, Paul Tellier et Pierre Beaudoin - avant l'arrivée d'Alain Bellemare - à la barre de l'avionneur.