C'est la fin d'une époque : Bombardier se défait de son programme d'avions amphibies, l'un des plus célèbres de l'histoire aérienne canadienne.

« Le programme d'avions amphibies ne s'inscrivait plus aussi bien dans notre stratégie qu'à une certaine époque », a expliqué hier à La Presse Stéphane Villeneuve, vice-président responsable des avions spécialisés chez Bombardier, en reconnaissant que les avions-citernes étaient une « icône » de l'entreprise.

L'acheteur est Viking Air, une entreprise de Victoria, en Colombie-Britannique, qui avait déjà acquis sept programmes d'avions auprès de Bombardier en 2006, dont les vénérables Beaver et Twin Otter. En 2007, Viking a relancé la production du Twin Otter, un appareil conçu dans les années 60 par l'avionneur torontois de Havilland, acquis par Bombardier en 1992. La valeur de la transaction d'hier concernant les avions amphibies n'a pas été divulguée.

« C'est une décision qu'on a mûrie très longuement, a indiqué M. Villeneuve. On pense que c'est la meilleure décision dans les circonstances parce qu'on a en Viking un partenaire qui a une longue expérience de collaboration avec Bombardier et qui est focalisé sur ce marché-là. C'est le meilleur partenaire possible pour prendre la relève et assurer la pérennité de la flotte. »

Près de 170 CL-215 et Bombardier 415 sont actuellement en exploitation dans 10 pays, dont 60 au Canada.

« Cette acquisition permettra à Viking de se diversifier dans un autre créneau vital de l'aviation et de faire en sorte qu'une innovation canadienne unique et importante demeure au Canada », a déclaré dans un communiqué le PDG de l'entreprise, David Curtis.

UNE INVENTION QUÉBÉCOISE

Conçu par Canadair grâce à une aide financière du gouvernement du Québec et entré en service en 1969, le CL-215 est l'un des avions les plus connus mondialement dans la lutte contre les incendies de forêt. En 1994, il a été remplacé par le CL-415, rebaptisé par la suite Bombardier 415, qui demeure le seul avion occidental conçu spécifiquement à cette fin.

Ces avions robustes aux lignes droites sont aisément reconnaissables à leur livrée jaune et rouge. Il leur suffit de 12 secondes pour écoper de 5000 à 6000 litres d'eau en effleurant à haute vitesse la surface d'un lac ou même de l'océan. Le gouvernement du Québec en possède 14, dont 8 CL-215 livrés au début des années 70.

Les composants du Bombardier 415 étaient fabriqués à l'usine de Bombardier dans l'arrondissement de Saint-Laurent, tandis que l'assemblage final était effectué à North Bay, en Ontario. La production était suspendue depuis décembre dernier, faute de commandes. Les 50 salariés de Bombardier affectés aux avions amphibies seront mutés dans d'autres secteurs.

Pour l'instant, Viking Air, fondée en 1970, n'a pas l'intention de reprendre la production du 415.

« C'est un appareil fiable et l'objectif est de faire en sorte que la flotte actuellement en service puisse le rester par l'entremise de pièces de rechange et de services d'entretien. » - Trevor Zeck, porte-parole de Viking Air

Viking prévoit embaucher jusqu'à 40 personnes à Calgary et à Victoria pour assurer le soutien des avions amphibies.

La transaction ne sonne pas pour autant le glas de la division des avions spécialisés de Bombardier. Celle-ci continuera à offrir des versions modifiées des avions commerciaux et des jets d'affaires de l'entreprise pour des missions spéciales comme la recherche et le sauvetage, le transport de dignitaires, le soutien logistique, l'évacuation médicale et les essais en vol.

TORONTO : ENTENTE AVEC LES SYNDIQUÉS

Bombardier a finalement réussi à convaincre ses syndiqués torontois d'accepter le transfert d'une partie de la production des avions turbopropulsés Q400 à l'extérieur du pays, ce qui devrait lui permettre de réduire ses coûts.

À terme, les ailes seront fabriquées au Mexique et le poste de pilotage, en Chine. Le fuselage est déjà produit en Chine depuis plusieurs années.

Pour rallier les travailleurs, l'employeur a allongé la période de transition, qui passe de deux à six ans. Le transfert devrait donc être terminé d'ici 2022.

La décision touchera les quelque 200 travailleurs de l'usine de Toronto affectés aux ailes et au cockpit. La plupart d'entre eux partiront à la retraite, mais des licenciements pourraient avoir lieu, a admis hier à La Presse le président de la section locale 112 du syndicat Unifor, Scott McIlmoyle. Il s'inquiète du transfert de la fabrication des ailes au Mexique en raison des problèmes que Bombardier connaît actuellement là-bas dans le cadre du contrat des tramways de Toronto.

« Nous voyons [le transfert] comme une étape positive pour la viabilité à long terme non seulement du Q400, mais de toute l'entreprise », a commenté hier une porte-parole de Bombardier Avions commerciaux, Marianella de la Barrera.

Depuis plusieurs années, le Q400 se fait damer le pion par les appareils plus abordables du constructeur européen ATR, qui ont reçu la plus grande part des commandes du marché des avions turbopropulsés.

AVIONS CRJ : COMMANDE DE 472 MILLIONS US POUR BOMBARDIER

Bombardier a annoncé hier avoir reçu une commande pour 10 jets régionaux CRJ900 de la part d'un client qui a requis l'anonymat. Au prix courant de l'appareil, la commande se chiffre à 472 millions US. Depuis le lancement de cette famille d'avions dans les années 90, Bombardier a reçu des commandes pour 1902 appareils. Il y en a environ 75 à livrer à l'heure actuelle. Construit à Mirabel, le CRJ900 peut transporter jusqu'à 90 passagers.

EN CHIFFRES

1969Le gouvernement du Québec refuse de prendre possession des CL-215, jugeant que la performance de leurs moteurs Pratt & Whitney était inférieure à celle prévue au contrat. Le litige sera réglé en 1970 après l'élection de Robert Bourassa comme premier ministre.

1994Après avoir lancé une version améliorée du CL-215 en 1987, Bombardier décide au début des années 90 de redessiner l'appareil et de le rebaptiser CL-415. L'entreprise en vendra 95 (contre 125 pour le CL-215).

Sources : Bombardier, Association des retraités du service aérien gouvernemental

1978Faute de commandes, Canadair suspend la production des CL-215 après avoir livré 65 appareils. La chaîne d'assemblage redémarrera l'année suivante après un regain d'intérêt des clients.

1962Le gouvernement du Québec tient une première rencontre avec Canadair pour discuter du remplacement des avions amphibies PBY Canso, qui remontaient aux années 30.

1966Le gouvernement du Québec fait une commande pour 20 CL-215. Le gouvernement français suivra avec une commande pour 10 appareils.