Excédé par le piètre bilan d'Air Canada en matière de bilinguisme, le commissaire aux langues officielles demande désormais aux parlementaires des outils pour forcer le transporteur aérien à se soumettre à ses obligations.

Graham Fraser voulait s'assurer de marquer le coup: dans un geste très inhabituel, il a déposé mardi un rapport spécial au Parlement, portant uniquement sur Air Canada.

Le transporteur est un mauvais élève en ce qui a trait au bilinguisme, et rien ne semble fonctionner pour qu'il améliore ses notes, se désole le commissaire aux langues officielles. Conséquence: il demande des modifications à la loi pour lui donner plus de dents.

«Mes prédécesseurs et moi avons utilisé tous les outils à notre disposition pour tenter d'aider Air Canada à améliorer sa conformité à la Loi. Cependant, force est de constater qu'après 45 ans, les mêmes problèmes se répètent», déplore le commissaire.

Les plaintes qui arrivent sur le bureau du commissaire se suivent et se ressemblent: unique agent de bord unilingue anglophone pour le vol entre Montréal et Rouyn-Noranda; pas de service en français entre Montréal et Bathurst; une agente unilingue au comptoir d'embarquement, qui refuse d'aller chercher l'aide d'un collègue parlant français sous prétexte qu'elle ne travaille pas pour «Air Québec»...

Et ce qui transforme un client mécontent en un plaignant est le manque de respect à son égard et le mépris manifesté lorsqu'il demande des services en français, note M. Fraser.

«Je pense que la première fois que j'ai entendu la phrase »sorry, I don't speak French, c'était sur un vol d'Air Canada«. C'est souvent une question d'attitude», soulève-t-il.

Dans un cas extrême, un agent de bord a même menacé d'appeler la police lorsqu'un client s'est montré trop insistant à obtenir un service en français.

Des employés francophones du transporteur enregistrent par ailleurs des plaintes quant à leur langue de travail, la supervision et la formation n'étant souvent offertes qu'en anglais.

Quatre options

Pour serrer la vis à Air Canada, M. Fraser propose quatre pistes de solution, dont l'imposition d'amendes en cas de non-respect de son obligation à fournir des services bilingues.

La Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada pourrait également être modifiée pour permettre à la cour d'imposer des dommages-intérêts en cas d'infraction, sans avoir à prouver un préjudice. La mise en place de sanctions pécuniaires administratives pour favoriser le respect de la loi est une autre possibilité. Enfin, le commissaire pourrait avoir le pouvoir de signer des ententes exécutoires avec Air Canada sur la question.

M. Fraser demande aux parlementaires d'étudier ces quatre options «de toute urgence et de façon prioritaire» à l'un des deux comités sur les langues officielles.

Pour l'instant, le gouvernement libéral n'indique pas s'il entend apporter des modifications législatives, mais assure qu'il étudiera le rapport avec attention.

«On accueille ce rapport du commissaire des langues officielles avec intérêt. On va lire le rapport attentivement et regarder les prochaines étapes qu'on va leur faire», signale le premier ministre Justin Trudeau.

Mélanie Joly, ministre du Patrimoine et responsable des langues officielles, assure qu'elle travaillera avec le ministre des Transports, Marc Garneau, pour s'assurer que les choses changent. «C'est inacceptable qu'Air Canada ne respecte pas ses responsabilités en matière de langues officielles», tranche-t-elle.

«Air Canada, quand elle a été privatisée, a eu l'obligation - et on n'a rien changé avec la loi C-10 - concernant son devoir d'appliquer la Loi sur les langues officielles», insiste M. Garneau.

Les partis d'opposition, eux, veulent s'assurer que le gouvernement ne se contente pas d'étudier la question, mais agisse de façon concrète dans le dossier.

«Il y a un vide juridique pour obliger Air Canada à respecter la loi, et je veux que ce vide juridique-là soit comblé. Je veux que ce soit un engagement ferme», presse le néo-démocrate François Choquette.

Le Bloc québécois juge quant à lui que toute la politique des langues officielles est un échec. «Ce n'est pas une surprise, ça fait 45 ans qu'Air Canada trône au panthéon des institutions canadiennes qui méprisent les francophones», accuse le bloquiste Mario Beaulieu.

Aux yeux d'Air Canada, le dépôt d'un rapport spécial - une mesure qui n'a été utilisée qu'une autre fois par le passé - n'était pas justifié. L'entreprise signale par ailleurs que le nombre de plaintes contre le transporteur est demeuré stable, oscillant autour de 50 chaque année, alors que son nombre de passagers est en hausse.

«Les mesures punitives visant Air Canada suggérées dans ce rapport sont mal orientées, dépourvues de justification crédible et ne contribueraient pas à faire la promotion du bilinguisme au Canada ni à améliorer le niveau de services offerts dans les deux langues officielles aux voyageurs canadiens», écrit la direction du transporteur dans un communiqué. L'entreprise se plaint par ailleurs d'être la seule société assujettie à la Loi sur les langues officielles.

Ce rapport spécial devrait être le dernier déposé aux Communes par Graham Fraser, qui termine son mandat en octobre après 10 ans.