Pendant que quelques centaines de leurs collègues se rendaient à Québec pour réclamer une intervention du gouvernement, une poignée de travailleurs licenciés d'Aveos qui ne décolèrent pas occupaient toujours le boulevard de la Côte-Vertu devant les installations d'Air Canada.

Ils sont encore une quarantaine, et un médiateur de la police de Montréal tente de les convaincre que, même s'ils ont toutes les raisons du monde de s'indigner, ils doivent libérer la voie publique, seul accès possible vers les bureaux d'Air Canada.

Mais la quarantaine de chômeurs présents n'en démordent pas. Air Canada est l'unique responsable de leur malheur. Parce que le transporteur a créé Aveos il y a huit mois quand il s'est départi de son service d'entretien, et qu'il était encore un actionnaire important d'Aveos. Et c'est Air Canada qui a cessé de se prévaloir des services d'Aveos pour l'entretien des composantes de ses avions. On voudrait se tourner vers le El Salvador, où Aveos a des installations, et vers la Chine, où des moteurs auraient déjà été envoyés.

Tout cela malgré une loi qui, en 1988, lors de la privatisation du transporteur, stipulait qu'il devait maintenir ses activités d'entretien à Montréal, Mississauga et Winnipeg.

Convaincus que leur licenciement découle d'un plan bien orchestré d'Air Canada pour définitivement se départir d'eux, les travailleurs disent qu'ils piquèteront tant et aussi longtemps que des responsables d'Aveos et Air Canada ne viendront pas les éclairer.

«La semaine passée, des cadres nous assuraient que l'entreprise faisait toujours de l'argent. Samedi, on a fait entrer deux moteurs de Delta. On devait en entretenir 55 au total. Et il y a encore pour 325 millions de dollars en matériel d'Air Canada dans les hangars. Ce sont des avions qui ne peuvent voler, et du matériel qui ne peut être réassemblé sans nous», déplore Marc Dessureault.

Son collègue Camille Garabed y voit carrément une «fraude pour nous liquider et nous reprendre à bas prix».

«On craint qu'ils repartent sous un autre nom une fois la faillite réglée, et qu'ils nous rappellent pour nous dire, on a des jobs pour vous, mais au lieu de 30$ l'heure, ce sera 17$», renchérit M. Dessureault.

Jusqu'à maintenant, les hommes d'Aveos travaillaient dans des locaux loués à Air Canada. Mais il note que dans la dernière année, les nouveaux locaux de l'entreprise sur la rue Alfred-Nobel, situés dans l'ancien immeuble de Nortel, ont été entièrement équipés.

«Ils ont tout équipé les hangars, avec des testeurs pour les unités moteurs. Et bien plus. Il y a en a pour 100 millions de dollars, et il n'y aurait pas de dette là-dessus», raconte M. Dessureault, qui se demande si cela n'accrédite pas sa crainte.

Autre préoccupation majeure, ils ne savent pas s'ils recevront, et si oui quand et comment, le fruit de leurs années de cotisation à leur fonds de pension.

Si cette fermeture-surprise d'Aveos est tragique pour tous les travailleurs, les plus âgés, trop jeunes pour la retraite, croient qu'ils écoperont doublement.

«Si vous avez une entreprise, embaucherez-vous un vieux de 50 ans?», lance M. Garabed.

«Nous, on n'a pas forcément des DEC. On a appris sur le tas. Va-t-on devoir retourner à notre âge sur les bancs d'école?», se demande Marc Dessureault, qui a 23 ans d'ancienneté chez Air Canada puis Aveos.

Il est père de trois enfants. Sa femme travaillait aussi chez Aveos, au département moteurs comme lui. Leur drame est double.

«Je ne peux même plus garantir un toit et la bouffe de la famille. J'ai été obligé de dire à mon fils de 18 ans, qui travaille, mets ton argent de côté, ça va peut-être devoir servir», admet-il, la voix tremblante.

Son collègue François Murphy, qui a 21 ans d'ancienneté, abonde dans le même sens.

«Ça va changer la vie des enfants au complet. La maison est à vendre. Il y a plein de maisons à vendre dans notre groupe», déplore-t-il.

Ces travailleurs ont jadis aimé Air Canada. Ils se sentent trahis et ont le moral à plat.

«J'ai lu que des gens chez Air Canada disent que de toute façon, notre travail n'était pas bon. Ils crachent sur nous et crachent sur eux en même temps. Nous sommes avec eux depuis plus de 20 ans. Il n'y a jamais eu un accident. J'en suis presque à leur en souhaiter un... Pas un mortel, mais un problème de landing gear à l'atterrissage», chuchote presque Camille Garabed, visiblement démoli.

Sur la chaussée du boulevard Côte-Vertu, les travailleurs ont étendu des vêtements de travail aux couleurs d'Air Canada. Chaque voiture d'employé y passant pour récupérer ses effets personnels roulant sur l'effigie du transporteur qu'ils ont jadis tant aimé.

Finalement, les protestataires ont quitté les lieux sur l'heure du midi, dans le calme.