Si Bombardier (T.BBD.B) ne parvient pas à revitaliser sa division d'avions commerciaux avec la CSeries, elle pourrait toujours la vendre aux Chinois.

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C'est la suggestion de l'analyste américain Richard Aboulafia, de Teal Group, dans son billet mensuel.

Dans le passé, la Chine a accueilli des programmes marginaux comme le MD-80 de McDonnell Douglas et le 728Jet de Fairchild Dornier. Une société chinoise vient d'acquérir le petit manufacturier d'avions d'affaires Cirrus.

«La division des avions d'affaires et la division ferroviaire de Bombardier vont très bien, mais l'avenir de la division des avions commerciaux est incertain, écrit M. Aboulafia. Le programme des biréacteurs régionaux CRJ est en perte de vitesse et la CSeries constitue un énorme pari. Elle n'a pas encore de client de lancement, et après trois ans, elle n'a toujours que trois clients (Lufthansa, Republic et Lease Corporation International). Si j'étais Bombardier, je penserais à un plan B. Comme pour d'autres programmes marginaux, la Chine pourrait constituer une porte de sortie.»

En entrevue téléphonique avec La Presse Affaires, M. Aboulafia a précisé qu'il ne s'agissait que d'une solution de dernier recours et que la CSeries n'était pas condamnée.

«Ce n'est pas mon hypothèse pour l'instant, a-t-il indiqué. Mon hypothèse de base, c'est que la CSeries va faire du millage avec un nouveau client, comme Delta, et faire sa place dans sa petite niche.»

La réaction des deux géants de l'aéronautique, Airbus et Boeing, aura cependant un impact majeur sur le sort de la CSeries. Or, Airbus s'est montrée particulièrement dynamique avec le lancement d'une version remotorisée de l'A320, le Neo.

Avec 150 places, cet appareil est plus gros que la CSeries et n'est donc pas un concurrent direct. Par contre, sa version raccourcie, l'A319, avec 124 places, joue sensiblement sur le même terrain que la CSeries.

«Bombardier a mis le pied sur un nid de guêpes, a lancé M. Aboulafia. Airbus a annoncé qu'elle accélérera le développement d'un A319 Neo et elle a commencé à parler directement avec Republic et Lufthansa. Il sera très difficile de se battre contre cela.»

Airbus pourra offrir son A319 à un prix très bas parce qu'elle a déjà construit des milliers d'appareils de cette famille et que les coûts marginaux sont peu élevés.

«Bombardier est nouvelle sur le marché, elle essaie de se faire un nom auprès des clients et des financiers, a poursuivi M. Aboulafia. Cela requiert des rabais agressifs, ce qu'elle n'est peut-être pas prête à donner.»

Bombardier a souvent fait valoir que même remotorisés, les appareils d'Airbus seront moins efficaces que la CSeries. L'A319, notamment, est plus lourd que l'appareil de Bombardier parce qu'il s'agit d'une version raccourcie de l'A320. L'A319 n'est donc pas optimisé pour transporter 124 passagers: ses ailes, ses moteurs, ses trains d'atterrissage, tout est prévu pour transporter un poids supérieur. Tout est donc plus lourd que nécessaire.

«Je ne suis pas prêt à dire que la CSeries est un échec, a affirmé M. Aboulafia. Par contre, il ne faut pas tomber dans l'illusion classique voulant que lorsqu'on a un produit supérieur, on va nécessairement réussir.»

Pour illustrer ses propos, il a rappelé le sort des cassettes vidéo bêta, qui ont perdu la bataille devant les cassettes VHS malgré une technologie qu'on disait plus avancée.

Bombardier a resserré ses liens avec la Chine en mars dernier en concluant une entente stratégique avec le géant chinois COMAC. Cette entente prévoyait notamment une collaboration pour la mise au point de nouvelles gammes d'appareils. M. Aboulafia a toutefois rappelé qu'une première entente stratégique conclue avec l'avionneur chinois AVIC I en 2007 n'avait pas eu beaucoup de retombées: aucun transporteur chinois n'a passé de commandes pour la CSeries et le biréacteur régional chinois ARJ21-900, qui devait faire l'objet de collaboration, a été relégué à l'arrière-plan.

Par contre, les sociétés chinoises ne se sont pas gênées par acquérir des programmes ou des entreprises dans le domaine aéronautique, a soutenu l'analyste de Teal Group. Il a précisé que les Chinois ne fermeraient pas nécessairement les usines de Bombardier en Amérique du Nord s'ils devaient acheter la division des avions commerciaux de l'entreprise.

«Ils auraient à obtenir à nouveau toutes sortes de certifications», a-t-il expliqué.